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Comment Carlo Ancelotti a transformé Everton
Porté par le meilleur début de saison de son histoire, Everton accueille Liverpool samedi pour un derby bouillant et récolte actuellement les fruits progressivement plantés par Carlo Ancelotti. Chronique d’une évolution stylistique.
Si un psychanalyste devait se plonger dans les dédales de la cervelle d’un supporter d’Everton, il ne lui faudrait sans doute pas dix minutes pour poser sa démission et balancer au feu sa thèse de fin d’étude. Sur l’échelle du sadomasochisme, filer tous les quinze jours à Goodison Park a longtemps ressemblé à une drôle d’aventure, qui ferait passer le Sexodrome de Pigalle pour Disneyland. Chaque saison, le même enchaînement : lumière, espoir, chute. Puis, quelques jours avant le Noël 2019, Carlo Ancelotti est sorti du sapin, avec son sourcil joueur, son gros CV et ses idées. Pendant sept mois, l’Italien a ensuite tourné et retourné Everton dans tous les sens, histoire de bien comprendre où il avait foutu les pieds, et a décidé pour de bon, fin juillet, dans la foulée d’une défaite humiliante à domicile face à un Bournemouth déjà relégué (1-3), qu’un coup de serpillère était obligatoire sous peine de voir les fans des Toffees gober une nouvelle saison sans goût. Résultat, le bon Carlo, qui a dirigé cet été sa première préparation au club, a filé dans le bureau de son proprio, Farhad Moshiri, et lui a demandé une nouvelle série de chèques, l’homme d’affaires irano-britannique ayant déjà balancé plus de 200 millions d’euros sur le marché des transferts depuis son arrivée en février 2016. Verdict : six recrues ont déboulé en ville (Allan, James Rodríguez, Niels Nkounkou, Abdoulaye Doucouré, Ben Godfrey, Robin Olsen) et quelques hommes ont été mis à la porte, à commencer par Morgan Schneiderlin, trop peu créatif et transféré à Nice. Et conséquence : Everton a raflé ses sept premiers combats de la saison toutes compétitions confondues, surfe sur le meilleur début de saison de son histoire, est seul leader de Premier League et tourne à une moyenne de trois buts par match en championnat. Pas mal à l’heure de défier Liverpool, qui a encore les joues rougies par les torgnoles reçues sur la pelouse d’Aston Villa (7-2) avant la trêve, et assez pour entrouvrir la porte d’un premier succès dans le derby depuis dix ans.
Allan, le nœud tactique
Le premier exploit d’Ancelotti est d’avoir filé à chacun de ses joueurs l’envie de se jeter dans un pogo, ce qui n’était pas gagné lorsqu’on voyait les Toffees balancer si facilement les armes au sol au premier coup de vent la saison dernière. Deux événements ont changé pas mal de choses ces dernières semaines. Le premier : un match amical joué à Blackpool mi-août, lors duquel Everton a encaissé trois buts en onze minutes avant de se faire secouer sévèrement par Carlo Ancelotti à la pause (l’Italien a raccourci son discours de mi-temps à cinq minutes et a laissé ses hommes seuls pendant dix minutes ensuite, N.D.L.R.) et de sauver finalement l’affaire (3-3). Le second : un moment de vie, raconté récemment par l’Athletic, lors duquel le capitaine de la bande, Seamus Coleman, a réuni l’intégralité du groupe afin de lui projeter une vidéo sur l’histoire d’Everton, où les joueurs ont pu revoir les images des deux titres arrachés dans les années 1980 avec le phare Howard Kendall et s’imprimer une citation de Peter Reid dans le crâne : « Il y a quelque chose d’unique avec Everton, l’esprit qu’il y a dans ce club vous saisit et une fois qu’il vous a attrapé, il ne vous quitte plus. » Puis, certaines choses ont également changé sur le terrain, à commencer par le système : exit le 4-4-2 sans vie, place à un 4-3-3 au fonctionnement assez simple.
En phase défensive, Everton se replie généralement en 4-1-4-1 comme ici face à Tottenham. Allan est alors seul devant une ligne de quatre, alors que Calvert-Lewin traîne devant sans s’interdire un pressing défensif.
Offensivement, Everton devient généralement un 2-3-5 avec des ailiers (James et Richarlison) qui rentrent à l’intérieur entre les latéraux et les axiaux adverses afin de libérer les côtés pour Digne et Coleman.
Sur attaque placée, certains réflexes reviennent : Digne, deuxième plus gros centreur de Premier League derrière Alexander-Arnold, cherche rapidement Richarlison en profondeur, qui remonte ensuite le ballon dans l’axe tout en se replaçant aux côtés de Calvert-Lewin afin de laisser le côté gauche à Digne. À droite, James Rodríguez vient se situer en 10 et va laisser le côté à Coleman et Doucouré.
C’est ce que l’on retrouve sur cette séquence, sur laquelle James Rodríguez va sortir une merveille d’ouverture pour Richarlison. Au bout, Calvert-Lewin inscrira le quatrième but des Toffees.
Grâce à cette volonté de toujours placer une ligne d’au moins cinq ou six (lorsqu’un relayeur – Gomes ou Doucouré – vient s’intégrer) sur toute la largeur du terrain offensivement, Everton pose de nombreux problèmes à ses adversaires et affiche aujourd’hui le deuxième meilleur taux de conversion d’occasions de Premier League (55%, 24% la saison dernière). Ce changement d’approche est d’abord la conséquence de l’arrivée d’Allan, qu’Ancelotti installe en sentinelle et qui est souvent le premier joueur recherché par la paire Keane-Mina (93,3% de passes réussies en moyenne par le duo) dans les sorties de balle. Le Brésilien permet surtout aux Toffees de gagner en variété – il peut être seul pivot, double pivot (avec Doucouré ou André Gomes) ou troisième défenseur selon les situations – et est le nœud tactique d’Ancelotti tout en étant le plus gros tacleur du championnat après quatre journées.
Contre-pressing, James solaire et projections
Deux autres éléments sont aussi notables dans le 2-3-5 qui se forme en phase offensive. D’abord, la formation de triangles des deux côtés du terrain composés à chaque fois du latéral, de l’ailier et du relayeur (donc Digne-Gomes-Richarlison à gauche et Coleman-Doucouré-James à droite). Exemple avec le premier but inscrit par Everton à Crystal Palace (1-2).
Exemple avec le triangle à droite face à Crystal Palace.
Et sa conséquence : trouvé dans l’espace par un éclair de James, Coleman peut centrer.
Derrière, Calvert-Lewin ouvre le score.
Ensuite, le pressing à la perte, qui est déjà un marqueur du Everton 2.0 d’Ancelotti et qui a amené deux buts aux Toffees face à Brighton. Simple : après quatre journées, Everton est l’équipe de Premier League qui a réussi le plus d’interceptions par match (15,3/match) et la deuxième équipe qui a réussi le plus de tacles derrière Leeds.
Trouvé plein axe, Harry Winks est directement encerclé par Gomes, Doucouré et Calvert-Lewin.
Confirmation face à Brighton où la cible est devenue Alzate – le poumon technique des Seagulls –, qui va perdre le ballon sous la pression. Au bout, James va inscrire le troisième but d’Everton.
Bis repetita vingt minutes plus tard, nouveau contre-pressing et nouvelle punition.
Dès la récupération du ballon, Everton explose de partout : Calvert-Lewin devient un appui pour Doucouré, et James va inscrire un doublé au bout du mouvement.
Autre élément majeur du début de saison d’Everton : la force sur coup de pied arrêté, les Toffees ayant déjà planté cinq buts sur ce type de phases. Cet élément permet d’évoquer la forme étincelante de Calvert-Lewin, qui en est déjà à six buts en quatre rencontres et qui vient de marquer en sélection, et le début d’exercice solaire de James, qui a déjà planté trois fois, lâché deux passes décisives et qui tourne à trois passes-clés par match en moyenne. Souvent à droite au début des mouvements, le Colombien finit constamment plein axe et vient défendre balle au pied l’idée que les numéros 10 peuvent encore exister dans le foot moderne. Si l’on ajoute à tout ça le fait qu’Everton possède la meilleure défense du championnat en matière de xGA (2,75), le tableau est complet et Ancelotti peut voir grand si ses Toffees réussissent à maintenir cette exigence collective, sachant que l’Italien possède quelques armes sur son banc (Iwobi, Sigurdsson, Davies, Delph…). Le profil de cet Everton peut aussi faire mal à un Liverpool fragile défensivement et friable dans le dos de ses latéraux. Et si c’était vraiment l’heure, enfin ?
Par Maxime Brigand