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Comment Bordeaux va enfin remplir le Zénith
C'est une belle ironie : alors que Bordeaux attend depuis vingt ans la création en son cœur d'une salle de spectacle digne des plus grands artistes de cette planète, les Girondins devront aller en Russie pour trouver leur Zénith. Un truc de vieux, paraît-il.
Vingt ans à se tourner autour, à se manquer, à se déchirer, à se caresser la joue en essuyant une larme, et puis adieu. De 1998, date de naissance du premier embryon d’idée dans le crâne d’Alain Juppé, au 25 janvier 2018, jour de la cérémonie d’ouverture de la Bordeaux Métropole Arena, la belle endormie n’aura jamais hébergé ses concerts dans une salle de spectacle digne de ce nom. Pendant vingt ans, tout se passait à la patinoire. On disait : « On va à Mériadeck » comme un professeur organiserait des sorties pédagogiques pour ses élèves de CM2.
L’histoire de Bordeaux avec son Zénith, celui qu’ont toutes les grandes villes, est celle d’un rendez-vous amoureux manqué, d’un besoin jamais assouvi, mais surtout d’une anomalie : la ville de 246 000 habitants a, pendant vingt ans, été la dernière grande métropole française qui n’avait pas la possibilité d’accueillir de grands artistes internationaux. Shakira, les Harlem Globe Trotters, Nicky Minaj et Imagine Dragons – tous au programme en 2019 – préféraient Paris, voire Lille, Toulouse et Marseille. Alors, dix mois très précisément après l’ouverture de son écrin de 12 000 places tant attendu, la rencontre du soir révèle une belle ironie : les Bordelais ont attendu vingt ans que Bordeaux accueille un Zénith, et c’est aujourd’hui le Zénith qui accueille Bordeaux.
« Le Zénith, c’est un label de l’Antiquité… »
Au bout du fil, Rudy Ricciotti fait chanter son accent varois. Le célèbre architecte du Mucem à Marseille et de « l’Arena » bordelaise, comme il aime à l’appeler, n’hésite pas à décrire le Zénith comme « un label de l’Antiquité, qui était en vogue dans les années 1980. Mais ils avaient le défaut d’être faibles en niveau de performance. » Vrai : bon dernier du championnat de Russie en 1967 et seulement sauvé de la relégation sur décision des pouvoirs publics, le Zénith Leningrad remporte en 1984 le titre de champion et la Supercoupe d’URSS, seuls résultats notables avant 1999 et une Coupe nationale. « Aujourd’hui, on n’a plus du tout les mêmes exigences, poursuit Ricciotti, en matière de sécurité incendie, d’accès au public, d’acoustique ou même de confort… » Manière de dire que l’équipe que s’apprêtent à affronter les Girondins n’a plus rien de son lustre d’antan, comparable même selon lui à une équipe « en tôle » , contrairement « au béton que l’on a utilisé à Bordeaux » . Attention, emporté par son allant, notre spécialiste aura sans doute oublié de jeter un œil aux statistiques défensives des deux clubs cette saison : Bordeaux a encaissé 16 buts en 12 matchs depuis le début de saison, contre 10 buts en 13 matchs pour le Zénith. Subjectivité du supporter, excusable.
De fait, le Zénith n’accueille en général que des spectacles de seconde zone. On y voit Bénabar comme on y voit Bordeaux, on voit Zaz comme on verrait Malmö. Le club n’a en effet plus participé à la Ligue des champions depuis la saison 2015-2016, et là encore, on peut y trouver à redire en matière de prestige : Valence, Lyon, La Gantoise, Benfica, excusez du peu. Ce n’est pas là que Johnny aurait pu être hélitreuillé par Michel Drucker, mais voilà un parfait endroit pour recevoir des Girondins en tout point similaires à des artistes de variété quelconques cantonnés à la deuxième division des salles de spectacle. « J’ai imaginé l’Arena de Bordeaux comme un espace surréel, presque au sens dadaïste du terme, surenchérit Rudy Ricciotti. On a la Garonne, et un galet en béton blanc qui en est sorti, à l’échelle de la rivière. C’est une image poétique. » Et le sous-texte est clair : Bordeaux compte être le petit caillou dans la chaussure de son adversaire du soir.
Le retour des grandes tournées internationales
Le jour de l’inauguration de l’Arena – qu’il faut désormais appeler Arkéa Arena, mais ne vous aventurez pas à la nommer ainsi devant Ricciotti, il sera furax – sur les coups de 22h30, Nicolas, 42 ans, se baladait avec les mains dans les poches et le sifflement léger. Il sortait tout juste du concert inaugural, celui de Depeche Mode, et le voilà soudain à l’extrémité d’un micro tendu par un journaliste de Rue89 Bordeaux, au nez aquilin et à la calvitie bien avancée. Il est censé dire quelque chose d’intelligent, alors il y va : « On y voit de partout, comme dans un amphithéâtre. Et on n’a pas froid aux pieds comme à la patinoire. Grâce à ça, Bordeaux revient dans les grandes tournées internationales. »
Les ressemblances pointées par Nicolas sont troublantes. La météo de Saint-Pétersbourg prévoit deux degrés dans la soirée, ce qui doit sensiblement faire grelotter les petons, et Bordeaux compte bien s’appuyer sur les cendres du Zénith pour donner un coup de boost à sa campagne européenne, après n’avoir pris aucun point en deux matchs. Inspiré, Ricciotti tient le mot de la fin : « Regardez les autres grandes salles qui ont été faites en France ces dernières années ! C’est de la grande qualité par rapport au Zénith. » Nice et son Allianz Riviera de 35 000 places ne diront pas le contraire, mais reste encore à prouver cela en Ligue Europa.
Par Théo Denmat
Tous propos recueillis par TD, sauf mentions.