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Cologne et Gladbach, opposés du Rhin
Hennes Weisweiler est un mythe de Cologne. Mais dans les années 60-70, il a aussi fait du Borussia Mönchengladbach l'une des plus grandes équipes d'Allemagne. Et créé, ainsi, l'un des derbys les plus chauds du bassin rhénan. Car au-delà des titres, c'est l'héritage d'Hennes qui se joue.
C’était il y a dix-huit mois. Le 14 février 2015, une vingtaine de supporters de Cologne craquent après la défaite de leur équipe au Borussia-Park. Tout de blanc vêtus, ils forcent le maigre cordon de stadiers et font irruption sur la pelouse. Le temps de lancer quelques invectives contre le bloc des supporters de Gladbach, d’envoyer un fumigène sur la pelouse et ils rebroussent chemin lorsque les CRS arrivent enfin pour remettre de l’ordre. Si, sur la pelouse, les hools de Cologne ne savent rapidement plus ce qu’ils font et paraissent ridicules, la scène marque par sa violence symbolique. Elle rappelle aussi que le match entre ces deux équipes n’est pas anodin. D’une ville à l’autre, il n’y a que soixante kilomètres, une grosse heure de train et une rivalité sans faille depuis les années 60, même quand tout ne va pas pour le mieux.
Fiers comme des boucs
Un homme tient cette rivalité chevillée au corps, en parvenant à être aimé par les deux ennemis : Hennes Weisweiler. Pour le Effzeh, Weisweiler incarne une figure emblématique pour les débuts du club, créé en 1948. Dans les années 50, sa licence d’entraîneur en poche avec la bénédiction de Sepp Herberger, son professeur, il termine sa carrière de joueur en passant en même temps du côté des techniciens… et de la mascotte. Seulement, Hennes a du caractère. À la suite de de multiples embrouilles avec Franz Kremer, le président de l’époque, il quitte le club en 1958. Six ans plus, sur les recommandations de Sepp Herberger, le Borussia Mönchengladbach décide de le faire venir. À l’époque, Gladbach n’est qu’un club de division régionale, à l’heure où Cologne remporte la première édition de la Bundesliga. Sous l’impulsion de Weisweiler, bien décidé à faire payer ses anciens dirigeants d’avoir été n’importe comment, la situation va s’inverser. Sévère, exigeant, parfois fou, Weisweiler transforme les Poulains en une machine à renverser l’ordre établi et la logique. Le football est offensif à souhait. Les lignes explosent. Gladbach enchaîne les résultats d’une largeur improbable avec des talents offensifs à toute épreuve.
Pendant ce temps, Weisweiler continue de vivre chez lui, près du stade du Cologne, mais avec la ferme intention de battre l’ancien club chéri. Chaque Rheinderby est le moment de remettre à leur place les dirigeants de Cologne et leur exposer la grandeur de leur erreur. « Pour lui, c’était tout simplement le match le plus important. Et nous étions toujours motivés jusqu’au coup d’envoi » , témoignait Rainer Bonhof sur le site de la DFB en février dernier. « Il faut comprendre que nous avions avec Hennes Weisweiler un entraîneur de Cologne, qui vivait à Cologne et qui y était maître de conférence à la fac de sport. Il ne voulait pas perdre la face. » Il donne alors la leçon à ses anciens dirigeants. Car même si la DFB-Pokal est remporté par les Geißböcke en 1968, le titre leur échappe, lui, régulièrement ; tandis que Gladbach s’impose dans les premiers rôles et se permet une rivalité de premier plan avec le Bayern Munich.
La rivalité prend forme, même si Bonhof l’atténue volontiers du point de vue des joueurs et du public. « Ce n’était pas une rivalité qui se retrouvait en dehors du terrain.[…]Quand le FC était reçu à Gladbach ou quand nous jouions à Cologne, les supporters des locaux demandaient toujours des autographes à l’équipe adverse. » Le pic de rivalité, dans un derby toujours plus chaud au rythme des années et des saillies de Weisweiler, est atteint au cours de la finale de Pokal en 1973. Alors que les deux équipes sont à 1-1 à l’issue des 90 minutes, Günter Netzer décide de se faire entrer durant la prolongation à la place de son coéquipier Christian Kulik, blessé, alors que Weisweiler l’avait mis exprès sur le banc pour cause de méforme – et de transfert arrangé vers le Real Madrid. À la 94e minute, il offre la victoire aux Poulains. Un succès de plus pour Hennes Weisweiler, qui part deux ans après avec le sentiment du devoir accompli : il a fait la nique à son ex-préférée.
Le match intégral
Essoufflés comme des Poulains
Si Weisweiler part, c’est pour le Barça. Mais là-bas, ça ne va pas comme il veut. La cohabitation avec Johan Cruyff est difficile. Alors il revient au pays et à sa ville, Cologne. Sous sa houlette, le 1.FC remporte la Coupe d’Allemagne en 1977, puis en 1978. Cette année-là, le club rhénan réalise même le doublé, en remportant le championnat quatorze ans après, lors de la dernière journée, grâce à une meilleure différence de buts que le… Borussia Mönchengladbach (+45 contre +42), alors que les Poulains avaient écrasé Dortmund 12-0 lors de l’ultime rencontre. Depuis, les deux clubs ont perdu de leur éclat et brillent par une certaine inconstance, avec notamment beaucoup d’ascenseur entre la 1. et la 2. Bundesliga. Seulement, au-delà d’une rivalité, la période des années 70 a laissé la marque d’une véritable haine entre les deux camps.
Une haine qui s’estompe légèrement lorsque les clubs s’essoufflent et passent plus de temps dans la deuxième partie de tableau que dans les places européennes, mais qui connaît un retour de flamme à la fin des années 2000, comme le Bonhof. « En 2008, un drapeau de nos supporters a été volé par des supporters de Cologne, et finalement brûlé dans le kop [lors d’un match de Gladbach au RheinEnergieStadion, en D2]. » Depuis, l’ambiance est de nouveau très chaude entre les deux groupes : d’un hack de page d’accueil à un caillassage d’un bus sur l’autoroute, les ultras des deux camps se cherchent des noises régulièrement, et le match a pris sa place parmi ceux « à haut risque » dans le bassin du Rhin, avant même les événements de février 2015. L’ambiance et la rivalité est d’autant plus chaude que si Gladbach a eu de l’avance sur Cologne, le retard est en passe d’être comblé. Pour la première fois depuis bien longtemps, c’est même le Effzeh qui est en position de force au moment d’aborder le derby. Sans pour autant lutter pour la première place, l’héritage de Weisweiler n’est pas complètement perdu.
Par Ali Farhat et Côme Tessier