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Supportérisme en France : les tribuns avec nous ?
Dans le cadre du colloque « Quel supportérisme pour demain ? » qui s’est tenu ce lundi au Sénat, une quinzaine d’intervenants s’est réunie pour phosphorer sur l’état actuel des tribunes françaises et explorer des pistes pour tenter de pacifier une situation toujours ardente. On y était.
À quoi ça sert le Sénat exactement ? Si la question se repose lors de chaque élection sénatoriale, l’article 24 de la Constitution française rappelle qu’il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et que « le nombre de membres ne peut excéder 348 », en plus du fait qu’il « est élu au suffrage indirect ». Super. Mais le Sénat, il sert aussi, par exemple, à parler de supportérisme. Comme en recueillant en 2022 le témoignage de supporters de Liverpool et du Real Madrid après le fiasco de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. Ou en rassemblant autour de la table des acteurs des pouvoirs publics, des instances et des clubs, comme c’était le cas ce lundi après-midi dans la salle Clémenceau du palais du Luxembourg. Quatre heures durant et devant un peu plus d’une centaine d’inscrits, près d’une quinzaine d’intervenants se sont posés autour de deux tables rondes pour échanger autour d’une question courte, mais complexe : « Quel supportérisme pour demain ? »
Une question venue rappeler que le terme « supportérisme » a trop souvent tendance à ne trouver un écho médiatique que lorsqu’il s’agit d’évoquer des incidents graves, qu’ils aient lieu dans les stades ou à l’extérieur. Et des incidents, il y en a eu cette saison, puisqu’on recense déjà pas moins de dix faits de caillassage de bus adverses, ceux du 29 octobre dernier envers les joueurs et des supporters de l’Olympique lyonnais étant encore dans toutes les mémoires. Encore un coup de ces fameux « pseudo-supporters » ? Pas sûr, puisque selon Jean-Jacques Lozach, sénateur de la Creuse, « faire du supportérisme un objet en dehors de la société serait terriblement réducteur et reviendrait à stigmatiser le sport. Il faut donc s’en emparer à l’échelle de la société française. » Mais pour ça, il faut « des moyens et de l’éducation, surtout des plus jeunes », car « il est évident que quand on aura fait reculer la violence dans la société, on l’aura fait reculer dans les stades et à leurs abords ».
Les sanctions collectives ne sont pas la solution
Si les modèles anglais et allemand de gestion des supporters sont souvent cités en exemple de par leur capacité à désescalader les tensions inhérentes à un match de football, plusieurs participants ont appuyé l’idée qu’il fallait que le pendant français se développe selon ses propres spécificités, plutôt que de copier ce qui se fait ailleurs. Or, à l’heure actuelle, le modèle français pourrait se résumer en deux points : les interdictions de stade, qu’elles soient administratives ou commerciales, et les sanctions collectives, matérialisées le plus souvent par des interdictions de déplacement ou la fermeture de tribunes entières. Et c’est là que le bât blesse, même si le commissaire Thibaut Delaunay, directeur de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) précise que son instance est entrée « dans une phase moins répressive et plus tournée vers la prévention ». À la suite du meurtre d’un supporter nantais en décembre dernier lors de la réception de l’OGC Nice, un moratoire avait fait exploser le nombre d’interdictions de déplacements pour les matchs censés présenter un risque (on en dénombre actuellement 27 depuis le début de la saison, soit 5% des rencontres). « Cependant, nous sommes actuellement sur une tendance baissière et une volonté de limiter strictement ces interdictions de déplacements pour privilégier les encadrements avec des points de rendez-vous et des escortes de police », assure le commissaire Delaunay.
Du côté des pouvoirs publics, tout le monde semble donc en avoir pris conscience, y compris la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, invitée à ouvrir les débats : « Les interdictions de déplacements de supporters, c’est parfois nécessaire, mais c’est toujours une défaite », admet-elle. De l’avis général des participants, les sanctions collectives, véritable « exception française en Europe », apparaissent de toute façon comme un échec car, non seulement elles n’ont jamais réussi à endiguer la violence, mais, de plus, elles participent à créer un sentiment général d’injustice du fait de quelques individus, pour ne pas dire qu’elles sont « inacceptables en démocratie ». « Ne croyez pas que cela amuse la Ligue de devoir prononcer des sanctions collectives », s’exclame pour sa part Arnaud Rouger, directeur général de la LFP. Et après ? « Là encore se pose la question des moyens mis en place, appuie Laurence Harribey, sénatrice de la Gironde et coorganisatrice du colloque. Lors des débats, on a parlé de l’importance de la vidéosurveillance, qui permet d’identifier plus facilement les fauteurs de troubles et aide à faire le nécessaire, même si l’on ne peut pas non plus parler de solution miracle. Mais je retiens également la suggestion d’avoir un substitut du procureur au stade, ce qui permettrait de pouvoir procéder directement à une interpellation et arrangerait pas mal de choses. »
Celle qui, enfant, a découvert les stades à l’initiative de ses parents pour « comprendre le phénomène de la foule » en est convaincue : les Jeux olympiques donneront lieu à des expérimentations qui pourraient ensuite être reprises dans le cadre des matchs de football : « Cela peut se traduire par l’utilisation de drones et de billets équipés de codes-barres, ce qui permettrait de savoir si le ticket est affecté à une personne interdite de stade ou fichée S par exemple. » Pour Ronan Evain, président de l’association Football Supporters Europe (FSE), la question de la billetterie nominative vient rappeler que les supporters de football subissent un traitement à part du reste de la société : « Quand vous allez à l’opéra, au restaurant ou au cinéma, l’organisateur de l’événement ne va pas connaître le nom de chaque participant, illustre-t-il. Il est donc difficile de comprendre la plus-value démocratique que cela applique au stade, à moins que l’on ne veuille s’inspirer de la Russie, de la Turquie ou de l’Azerbaïdjan. Il faut donc se débarrasser de cette pensée magique selon laquelle des solutions techniques seraient la solution à tous les problèmes. »
L’humain d’abord
Dès lors, que faire ? Si Ronan Evain salue le fait que l’Instance nationale du supportérisme (INS), un groupe de travail parlementaire auquel participent les instances, les clubs et les supporters, « existe depuis dix ans sans rupture de dialogue », il insiste sur la nécessité de « professionnaliser l’organisation des rencontres ». Et, de l’avis global, cela passe notamment par la formation des stadiers, mais aussi une revalorisation des référents supporters, dont le statut reste flou à l’heure actuelle et, surtout, inégal selon le club. « À l’Olympique lyonnais, nous en avons trois, crâne Xavier Pierrot, directeur général adjoint d’OL Groupe. Ils représentent un schéma indispensable de notre organisation depuis que Jean-Michel Aulas les a intégrés en 2004. Sans eux, il n’y a pas de dialogue ou de confiance possible entre les pouvoirs publics, les supporters et le club. » L’idée serait désormais, en plus, de développer la fonction de policier référent, pour compléter l’organigramme. Une idée qui apparaît comme un moyen d’appuyer la volonté de la DNLH de développer un volet préventif et moins répressif. Face au témoignage d’un supporter qui lui raconte les échanges quasi amicaux qu’il a eus avec des flics de Newcastle lorsque le PSG s’y est déplacé en octobre dernier, le commissaire Delaunay répond qu’il souhaite à présent emmener ses chefs de police « à l’étranger, afin qu’ils soient témoins d’une autre approche ». Finalement, on retiendra quatre heures de belles paroles et de vœux pieux.
Pour la mise en pratique, on devrait assister en juin prochain à l’« initiative d’ampleur » promise par la ministre Oudéa-Castéra, afin de trouver, en compagnie de ses homologues de la Justice et de l’Intérieur, des solutions concrètes aux incidents rencontrés en marge des matchs. En attendant, le conditionnel reste de mise et laisse une certaine amertume en bouche. Lors du cocktail offert dans le salon pourpre du Sénat, certains participants ne cachaient cependant pas leur déception : « J’ai l’impression qu’on se pose encore les mêmes questions qu’il y a cinq ans », dit l’un. « Moi, je ne me suis pas senti représenté, répond l’autre. Il n’y a que des politiques qui ont parlé. Où sont les supporters ? » Peut-être seront-ils invités à présenter une contribution lors d’un prochain colloque. D’ici là, on les retrouvera sans aucun doute sur leur terrain de jeu de prédilection : au stade.
Par Julien Duez, à Paris
Tous propos recueillis par JD.
Photos : Kin-Wai Yuen