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Coleman, du football gaélique à la Premier League
Il est des trajectoires qui vont crescendo et d'autres dont l'inclinaison est plus difficile à suivre. Élu joueur par les fans d'Everton et membre de l'équipe type de la Premier League en 2013/2014, Séamus Coleman est désormais une valeur sûre outre-Manche. Mais avant d'en arriver là, l'international irlandais a connu un parcours atypique. Récit de son histoire entre football gaélique, blessure sérieuse et simplicité.
Son livre d’histoires personnelles foisonne de chapitres. Alors quand il s’agit de conter son parcours aux contours singuliers, Séamus Coleman choisit plutôt la sobriété en guise de réponse. « J’aime à penser que mon histoire peut aider les enfants qui commencent à jouer, racontait-il modestement au Sunday World, en mars dernier. En Irlande, les gamins doivent parcourir un long chemin avant d’entrer dans un club de Premier League. Heureusement, les choses ont bien fonctionné pour moi, mais je sais combien il est difficile aujourd’hui pour les jeunes de percer. » Dans la bouche de l’international irlandais (26 sélections), les mots ont une résonance particulière. Plus d’épaisseur, plus de sens aussi. Car avant d’arriver à Everton en 2009, avant de faire partie de l’équipe type de la Premier League lors de l’exercice 2013/2014 et d’être élu Player of the Year par ses coéquipiers et ses supporters la même saison, l’enfant de Killybegs a connu une route sinueuse.
Le football gaélique, son premier amour
Considéré désormais comme l’un des meilleurs latéraux du championnat d’Angleterre, Séamus Coleman régale par ses courses et la pugnacité dont il fait preuve à chaque match. Pourtant, ce n’est pas sur les terrains de ballon rond qu’il a commencé à gambader, mais sur les pelouses de football gaélique. Mélange atypique entre du rugby à XV et du football, le « Caid » est le sport le plus populaire en Irlande. Jusqu’à ses dix-sept ans, l’actuel défenseur des Toffees l’a pratiqué, notamment au CLG Na Cealla Beaga, équipe de sa ville natale. « Le football gaélique a toujours été mon premier amour, martelait-il dans un entretien au Guardian en 2011. Je jouais quelques matchs de football à l’époque, mais je n’ai jamais pris ça au sérieux. Je jouais au football gaélique tout le temps et j’aimais ça. J’étais dans des équipes de comté et nous avons rencontré beaucoup de succès. C’était difficile de laisser derrière moi tout ça, car je ne voulais pas quitter mes amis… » Ce n’est qu’à l’occasion d’un match amical de football où il joue avec l’équipe locale St. Catherine’s of Killybegs contre Sligo Rovers, formation évoluant en première division irlandaise, que son destin va basculer.
Séduit par l’activité de Coleman, le Sligo Rovers l’enrôle en lui offrant un modeste contrat de 150 euros par semaine. Sauf que les premiers émois en matière de ballon rond ne se révèlent pas aussi réjouissants que prévu. La faute à l’entraîneur de l’époque, Rob McDonald, qui souhaite s’en séparer et ne voit pas en lui l’étoffe d’un joueur de haut niveau. Il faudra la venue de Paul Cook comme manager, en mars 2007, pour qu’il « se sente comme le meilleur joueur du championnat » et confirme son potentiel entrevu. Malgré des lacunes évidentes en raison du manque de formation, le bonhomme s’accroche, apprend son métier et finit par faire ses preuves. « J’ai apprécié mon expérience là-bas. Je n’avais pas toutes les bases comme ceux qui avaient le même âge que moi. Mais j’ai beaucoup appris du manager et des joueurs à Sligo, je n’aurais pas voulu changer cela » , confiera-t-il des années plus tard à Evertonian, magazine officiel du club d’Everton. Alerté par ses prestations, Willie McStay, ancien coéquipier de David Moyes, suggère son nom au manager des Toffees. Et l’Écossais, lui aussi sous le charme, flaire le bon coup et le fait signer pour environ 80 000 euros en janvier 2009.
Amputation d’un orteil évitée de justesse
Mais, là encore, les débuts dans son nouveau club se veulent éminemment compliqués. D’abord parce que lors de la tournée de pré-saison 2009/2010 avec le club de la Mersey, l’Irlandais est passé tout près de l’amputation de l’un de ses orteils. « Nous sommes allés à une tournée de pré-saison en Amérique et j’avais une ampoule sur mon pied. Au moment où nous sommes arrivés là-bas, c’était vraiment douloureux et infecté, expliquait-il toujours dans le Guardian. Le personnel médical a essayé de régler ça en quelques jours, mais ça n’a pas marché et j’ai dû aller à l’hôpital. Ils ont fait un trou dans mon orteil et ont essayé de vider ce qu’il y avait à l’intérieur. J’ai ensuite subi une opération lors de mon retour à Liverpool et c’est seulement après qu’ils m’ont dit combien c’était sérieux. Ils ne me l’ont pas dit à l’époque parce qu’ils ne voulaient pas que je m’inquiète, mais on m’a dit que j’aurais pu perdre mon orteil. C’était fou. C’était juste une ampoule sur le haut de mon orteil ! » Remis rapidement de cette mésaventure qui aurait pu lui coûter sa carrière, Coleman effectue en octobre 2009 sa première rencontre avec Everton en Ligue Europa, face à Benfica. Mais le baptême du feu tourne au carnage pour les Toffees et lui qui prennent un 5-0 net et sans bavure de la part de Di María, Aimar et Saviola.
Sauf que, loin d’être abattu par cette démonstration, le latéral droit montre du caractère comme à Sligo Rovers et fait preuve de patience avant qu’on ne lui offre sa chance. Celle-ci viendra quelque temps après, en décembre, à l’occasion de la réception de Tottenham. Ce jour-là, Coleman remplace Joseph Yobo au quart d’heure de jeu et livre une copie remarquable, permettant à Everton d’arracher le match nul (2-2), après avoir été mené 0-2. « Pour moi, c’est vraiment là que ma carrière à Everton a démarré » , dira-t-il bien plus tard. Son court prêt de quelques mois à Blackpool en 2010, où il participe activement à la montée du club en Premier League, lui permet également de mieux s’acclimater au jeu britannique. « On a vécu la montée ensemble, c’était quelque chose de beau, témoigne Hameur Bouazza, son ancien coéquipier chez les Seasiders et aujourd’hui au Red Star. Franchement, il avait fait une très bonne demi-saison. Il a joué un rôle majeur. On pouvait sentir que c’était un joueur confirmé. Il faisait vraiment ses matchs. On se demandait même ce qu’il faisait là… »
« Ce n’est pas Séamus Coleman le joueur de Premier League, c’est le mec avec lequel ils jouaient au football gaélique »
Après sa parenthèse éphémère mais fructueuse à Blackpool, Coleman retourne à Everton. Pour, cette fois, devenir un titulaire inamovible sous David Moyes. Depuis le remplacement de ce dernier par Roberto Martínez en juin 2013, il a continué sa progression. Avec comme point d’orgue la saison dernière, sans conteste la meilleure réalisée jusqu’ici dans sa carrière. Et même si celui-ci ne se montre pas aussi flamboyant cette année, à l’image d’une escouade d’Everton méconnaissable, Manchester United lui ferait les yeux doux (son contrat expire en juin 2019). Des présumées avances que Martinez a balayé d’un revers de la main en conférence de presse, en février dernier : « Je pense encore que Séamus peut aider et progresser avec Everton. Il s’est développé au fil des années, et je sens maintenant qu’il endosse un rôle plus important que par le passé. Ses prestations montrent qu’il est devenu un joueur important. C’est un joueur de classe mondiale, il l’a pleinement prouvé la saison dernière » .
Un cadre des Toffees, un talent reconnu à l’unanimité au sein du Royaume. Une ascension qui émane aussi des vertus du football gaélique. Ce premier amour qui n’a jamais cessé de l’accompagner. « Je pense que certains aspects de mon expérience en football gaélique m’ont été utiles. C’est un jeu difficile lorsque vous commencez, détaillait-il il y a quatre ans. Si on vous pousse, vous devez faire en sorte de tenir sur vos jambes. Vous n’avez pas à vous rouler par terre pour obtenir un coup franc, car vous n’aurez rien auprès de l’arbitre. C’est un vrai combat, rien de dangereux, mais il faut une détermination sans faille et je pense avoir amené ça avec moi » . Si « Seamie » a acquis de la notoriété et fréquente aujourd’hui les hautes sphères du football anglais, il n’en demeure pas moins une personne simple, viscéralement attaché à ses racines. « Je suis très fier d’où je viens, clamait-il au Irish Times en septembre 2013. Killybegs a connu des moments difficiles, en particulier avec la pêche. Certains de mes amis ont dû partir pour l’Angleterre, quelques-uns pour l’Amérique ou l’Australie. Je ne suis jamais traité différemment quand je reviens à la maison. C’est comme si j’avais été juste absent pendant un week-end. Ce n’est pas Séamus Coleman le joueur de Premier League, c’est le mec avec lequel ils jouaient au football gaélique. J’ai grandi avec, ils me permettent de garder les pieds sur terre. Ma famille aussi. Dès que je peux, je retourne ici. » À vingt-six ans, Séamus Coleman a encore de belles années devant lui pour faire un peu plus la fierté des siens. Seulement après, il pourra alors choisir de rentrer quand il le souhaite chez lui. Là où son premier amour l’attend toujours.
Par Romain Duchâteau