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Coach DD et coach FF
François Fillon l'a affirmé cet été, la capacité de Didier Deschamps à réformer l'équipe de France l'a impressionné. De là à dire que l'ancien Premier ministre a volé quelques astuces au sélectionneur des Bleus pour mener sa carrière politique, il n'y a qu'un pas.
Les vraies cuites ne passent pas en un jour. N’avoir mal au crane que le dimanche, c’est bon pour des étudiants de L1 à peine assez solides pour encaisser un week-end d’intégration ringard. La véritable mine vous terrasse. Vous la traînez jusqu’au lundi matin, et elle vous assomme encore au bureau quand vous répondez machinalement aux premiers mails de la semaine. Le mardi 12 juillet 2016, la France se réveillait dans cet état-là, deux jours après ce dernier verre portugais qui était si mal passé. Hagards, vides, sans aucune envie de profiter des vacances qui leur tendaient les bras, les Français pleuraient leur Euro envolé. Ce même jour, à Paris, au 241 boulevard Saint-Germain, à un souffle de l’Assemblée nationale, une petite équipe d’irréductibles fillonistes scrutaient l’écran. Il est tôt, mais leur champion est l’invité des 4 Vérités de France 2, et hors de question de le rater. Car au-delà de la débâcle de l’Euro, la troupe a d’autres soucis avec cette primaire qui n’en finit pas, et dans laquelle François Fillon est enlisé. Scotché à la barre des 10% dans les sondages, il ne décolle pas et paraît condamné à la quatrième place, celle du con, derrière ce frimeur aux yeux bleus de Bruno Lemaire. Mais face à Jeff Wittenberg, l’ancien Premier ministre ne se démonte pas et balance : « Nous avons assisté à la renaissance de l’équipe de France de football. Et pourquoi elle a réussi à redevenir populaire et à susciter de l’espoir ? Parce qu’elle s’est réformée, a changé radicalement son organisation, son état d’esprit, sous l’autorité de son sélectionneur. Si on veut de nouveau que les Français soient fiers de leur pays, il faut changer de modèle. »
Les sprinteurs
Quatre mois après cette plaidoirie, la très grande équipe de France, celle qui compte soixante-six millions de joueurs, vient peut-être de trouver son futur sélectionneur en la personne de François Fillon. Comme pour Deschamps, des succès de laboureurs de terrain venus tout droit de l’Ouest de la France, Le Mans pour l’un, Bayonne pour l’autre. La victoire de ceux qui ne se sont jamais précipités et que l’on a caricaturés comme des taiseux, des personnalités sans le charisme nécessaire aux fonctions auxquelles ils aspiraient. Et si, par son ascension tranquille, progressive et logique, Didier Deschamps avait réellement ouvert la voie à François Fillon, en lui indiquant le chemin à suivre pour mettre la main sur ce pays qui choisit parfois étrangement à qui il se donne. On a l’impression d’avoir affaire à deux gros moteurs misant sur leur endurance pour arriver à leurs fins, mais nous sommes en réalité face à des sprinteurs qui n’ont pas attendu bien longtemps avant de montrer qu’ils avaient les épaules solides. À tout juste vingt-trois ans, DD est capitaine de l’OM et mène sa troupe à la Ligue des champions, alors qu’il n’a toujours pas soufflé ses vingt-cinq bougies. Du côté du Palais Bourbon, François Fillon s’offre son premier mandat de député à vingt-sept piges. Un âge où, en politique, on traîne plus souvent dans des permanences miteuses à essayer de se faire un nom dans des réunions interminables que dans les salons dorés de la République. Quelques années plus tard, en arrivant à la tête des Bleus et du gouvernement, les deux hommes s’engageaient dans une mission tortueuse, qui pouvaient prendre fin à n’importe quel moment. Susceptibles d’être virés du jour au lendemain, Deschamps et Fillon se sont accrochés, enchaînant la prolongation de contrat pour l’un, survivant à tous les remaniements pour l’autre.
J’y crois encore
Mais ce que Fillon a surtout chipé chez Deschamps, de quatorze ans son cadet, c’est sa capacité à « cheffer » les groupes les plus agités. Il faut imaginer François Fillon se coltiner, chaque mercredi pendant cinq ans, des Conseils des ministres au casting absurde. Rama Yade dans un coin, ce pitre de Bernard Laporte dans l’autre, Christine Boutin et Fadela Amara sur les mêmes dossiers… Bref, l’enfer. Mais à choisir, vaut-il mieux diriger un gouvernement plein de grandes gueules, ou récupérer l’équipe de France post-Euro 2012 ? En tant que chef d’orchestre des Bleus, la Desch’ a dû gérer les cas Ribéry, Benzema et tant d’autres. De sacrés « couacs » , comme on dit dans les ministères. Avec à chaque fois la capacité à motiver les troupes jusqu’au bout, même quand le bras de fer bat son plein. DD a connu la victoire au forcing face à l’Ukraine pour voir le Mondial, FF a fait passer la réforme des retraites en envoyant de grands coups de machette. La devise reste la même, y croire encore et toujours. Croire que l’on peut défoncer le Real, Chelsea, et squatter la finale de Ligue des champions avec Gaël Givet en défense, et remporter la Ligue 1 en alignant Charles Kaboré. Croire que 2017 vous tend les bras en déclarant dès mai 2013 qu’on sera candidat à la primaire « quoi qu’il arrive » , et passer trois ans à écumer des salles de trente personnes. Dans les deux cas, une méthode simple : ne jamais parler pour ne rien dire, et placer les valeurs travail et autorité au-dessus de tout, quitte à paraître un brin rigide. Peu importe, l’essentiel reste l’efficacité. Mais attention à la fin du voyage. Le 10 juillet dernier, Deschamps a loupé la dernière marche, celle qui l’aurait rendu immortel. Au printemps prochain, ce sera sans doute au tour de Fillon de jouer sa finale. Avec une pelletée d’ Éder en puissance qui l’attendront un peu partout.
Par Alexandre Doskov