- Angleterre – Premier League – Fulham
Clint Dempsey, le Diable s’habille en Kappa
L’histoire de Clint Dempsey, c’est un mauvais feuilleton du mardi après-midi sur M6 : du drama, du trauma, des larmes, des rencontres, du travail et du happy end. Là-bas, sur le Nouveau continent, ils l’appellent le « Deuce ».
La saison dernière, il nous avait laissés avec un but digne d’un Bergkamp contre la Juve, en Europa League. Cette saison, à base de têtes plongeantes, de vitesse, de quelques boîtes et missiles, Clint Dempsey réalise à Fulham le meilleur exercice de sa carrière. La plongée dans les simples statistiques de la Premier League laisse songeur. Dans une équipe moyenne, Fulham, qui se crée environ 4,5 fois moins d’occasions que Man United et Arsenal, 3,5 fois moins que Man City, l’Américain est à l’aise avec ses 17 buts, derrière les machines Agüero, Rooney et Van Persie. Il marque un tiers des buts de son équipe, convertit un tiers aussi de ses occasions, alors qu’il n’est pas avant-centre, enfin rarement. Oui, car Clint dispose de plusieurs colts. Utilisé cette saison majoritairement dans le couloir gauche offensif, l’Américain a dépanné et de belle manière à trois autres postes : 5 buts en 5 matches en tant qu’avant-centre, 3 buts en 3 matches en milieu offensif axial et 1 but agrémenté d’une passe décisive en un match, au poste de milieu offensif droit.
Bateau et fusils de chasse
A 29 ans, Clint régale et se blinde (3 millions de dollars annuels). Dempsey offre même à son pays, friand de records, inutiles parfois à notre échelle, quelques belles traces de son passage sur la planète soccer : être le premier Américain à planter 50 buts en Premier League, être le premier et seul Américain à avoir mis un hat-trick sur les pelouses anglaises, le seul Ricain, avec Eric Wynalda, à avoir marqué dans deux Coupes du Monde, le premier à ridiculiser Robert Green et être le buteur le plus rapide de l’histoire de la sélection américaine (53 secondes lors d’un 8-0 contre les Barbades). Aujourd’hui, à un an de la fin de son contrat à Fulham, l’international américain est bankable. Le scout d’Arsène, Steve Rowley, a pointé l’Américain pour Arsenal, pour un prix envisagé à 10 millions de livres, qu’il ne récupèrera, vu l’âge du Texan, jamais.
Aux Etats-Unis, la story plaît à tout le monde. Le petit Dempsey part de très loin. Il vit dans un quartier de mobile-homes, qui n’est évidemment pas un quartier de résidences secondaires ou de vacances, en plein Texas. A passer son temps à jouer au foot dans la rue avec des Hispanos, Clint impressionne son père qui décide de se farcir trois heures de route pour montrer le gamin au club de Longhorns à Dallas. Plus tard, alors que son grand-frère Ryan passe un essai dans la réputée école de foot des Dallas Texans, Clint, en jonglant non-stop pour tuer l’ennui sur la ligne de touche, gagne son ticket pour les Texans. Trois jours par semaine, la tribu Dempsey (5 enfants) se coltine 6 heures de route. Maman Dempsey, sur ESPN, explique le fonctionnement : « On y parlait souvent, on y faisait les devoirs et on y chantait. Ça nous a beaucoup rapproché. (…) Nos seules vacances, c’étaient les tournois de foot en fait. » Les parents – Debbie, nounou, et Aubrey, ouvrier – ont financièrement du mal à assumer (125 dollars par semaine d’essence). Le paternel a même vendu son bateau et ses fusils de chasse. Leur plus grande, Jennifer, cartonne aussi au tennis et Clint, faute de sous, doit rentrer au bercail, en 1995.
Teigneux
En novembre, Jennifer, 16 ans, succombe d’une rupture d’anévrisme et réoriente tristement l’arbitrage financier des parents en faveur de Clint (qui lèvera plus tard deux doigts en l’air pour elle dans chaque célébration de but). Au printemps 96, le bal des trajets en caisse à six vers Dallas reprend. Et le petit Dempsey fait gentiment son trou, à Dallas, et interroge, conscient de leurs sacrifices, ses parents à chaque sortie d’entraînement ou de match : « Vous êtes fiers de moi ? » Aucun doute, le rejeton intègre le championnat universitaire avec les Paladins de Furman en Caroline du Sud, est drafté en huitième position par les New England Revolution en Major League Soccer où il est élu rookie de l’année en 2004. Il gagne dans le foot professionnel outre-Atlantique ses galons d’international, une réputation de teigneux aussi (deux bastons dont l’une avec l’un de ses coéquipiers) et un transfert inéluctable en Europe vers Fulham, le club qui s’y connaît en Américains (McBride, Keller ou Bocanegra dernièrement) fin 2006.
Avant de partir vers le Vieux Continent, il pense tout de même à laisser en héritage, avec l’aide de Nike, un titre de rap. Sur la pochette de Don’t Tread, The Deuce featuring Big Hawk et Xo sont annoncés. Le premier nommé – qu’on traduira par le diable – est bien Clint Dempsey. Sur ses terres texanes, avec en fil rouge un hommage à sa sœur Jennifer, le Diable pose son flow avec ses collègues et souhaite donner un coup de projecteur sur la sélection nationale avant le Mondial allemand 2006. Un voyage en Germanie qu’il paiera d’ailleurs à toute la famille Dempsey. Clint a aujourd’hui tout réussi. Son histoire plaît aux ménagères et le Don’t Tread capte les plus jeunes. Consécration suprême : sur Google, le Cottager est désormais proposé avant le Dempsey de Grey’s Anatomy. C’est peut-être ça, en fait, le rêve américain.
Le clip de Don’t Tread
Ronan Boscher