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Clermont : quand foot et rugby forment ensemble leurs jeunes
Les pensionnaires du centre de formation du Clermont Foot partagent leur quotidien avec les jeunes de l’ASM rugby : c’est le premier centre de formation partagé de France, et même d’Europe. Les deux clubs unissent leur force depuis 2017 à Clermont-Ferrand pour former les talents de demain. Un mélange de cultures qui fonctionne.
« L’Auvergne est comme la Suisse : discret, pragmatique, travailleur. C’est aussi une région très innovatrice. » Les mots de Jérôme Champagne, conseiller du président suisse du Clermont Foot Ahmet Schaefer et ancien secrétaire général adjoint de la FIFA, sonnent juste quand on jette un œil à la formation du CF63. Un bâtiment sorti de terre en 2017 pour accueillir les jeunes footballeurs clermontois des U17 au National 3… et les jeunes rugbymen de l’ASM rugby. Ce qui en fait le tout premier centre de formation partagé en France. Ici, les logos des deux clubs s’affichent côte à côte au-dessus de la porte d’entrée, et une devise : « Ensemble vers l’excellence ». Salle de musculation, espace balnéo ou encore salles de vie, la centaine de joueurs partage son quotidien dans les mêmes locaux d’entraînement.
Mutualisation des infrastructures
Cette mutualisation des infrastructures, mais aussi du staff médical, ne sert pas simplement à prendre des cafés le lundi matin entre coachs du foot et du rugby. La première motivation était financière. Ni le Clermont Foot, qui a obtenu l’agrégation par la fédération de son centre avec ce complexe partagé, ni leurs homologues de l’ASM n’avaient vraiment les moyens de se doter d’un écrin pareil. « Ça permet de mutualiser des coûts que le Clermont Foot n’avait pas les moyens d’assumer seul », reconnaît Jérôme Champagne. Le CF63, alors dépourvu d’une véritable structure de formation, a saisi l’opportunité quand son ancien président, Claude Michy, a entendu que ses collègues de l’ovalie cherchaient à s’émanciper de leur structure omnisports, pour disposer de leur propre terrain de jeu. « Ça nous a coûté deux fois moins cher que si on le faisait seul », réagit de son côté Bertrand Rioux, responsable du centre de formation de l’ASM. Les deux clubs se sont mis d’accord et ont lancé la machine. « Avant, on n’avait pas toutes ces infrastructures, on n’avait pas tout ça », explique Baptiste, au Clermont Foot depuis presque dix ans et qui a assisté à la création de ce centre de formation partagé.
La recette est gagnante sur le plan économique, mais qu’en est-il sur le terrain ? Le mélange de ces deux sports différents, véhiculant une image et une culture parfois divergentes, fonctionne-t-il ? « On était un peu fébrile d’associer ces deux sports, reconnaît Bertrand Rioux. Mais c’est une réussite. On a l’impression de faire partie de la même équipe, alors qu’on n’est pas sur le même terrain le week-end. C’est presque une ambiance de club. » Un mariage réussi et une coopération bien huilée. À l’issue de la première année d’existence du centre, trois joueurs ont signé avec l’équipe professionnelle du Clermont Foot : Lorenzo Rajot, Pierre Patron et Anthony Civet.
« C’est extraordinaire »
« Ça a permis à nos jeunes de découvrir une autre culture, ça permet de relativiser les choses, de sortir de son« ghetto », explique Jérôme Champagne. C’est extraordinaire », poursuit le conseiller helvète au sujet de l’impact de cet innovant concept. Eric Pégorer, arrivé il y a un an pour diriger la formation du Clermont Foot, admire « l’état d’esprit » qui anime les espoirs rugbymen. « Il y a une humilité, une discipline. Ça donne en exemple qu’être sportif de haut niveau, c’est cette notion de dépassement, plus visible chez les rugbymen », poursuit le coach des U19 nationaux. « Ça recentre nos joueurs sur leur activité. Il y a beaucoup d’argent dans le foot, c’est un sport très médiatisé… Le fait de vivre ensemble, de partager des locaux, ça nous met en face de certaines réalités. » Pour l’éducateur, l’impact de « l’état d’esprit rugby » sur ses joueurs est indéniable. « C’est bien de ne pas être qu’entre nous et de voir ce qui se passe à côté, confirme Bertrand Rioux, côté ASM. Pour Yohan, jeune 3e ligne des Jaune et Bleu, c’est une vraie richesse de pouvoir échanger avec un autre sport. « On n’utilise pas les infrastructures de la même manière, c’est intéressant de voir ça. »
S’il paraît difficile d’avoir des échanges purement techniques entre les deux sports, le rugby pourrait aussi inspirer le football d’une manière plus inattendue. « Le rugby a la particularité de disséquer les séquences de jeu. Ils ont un côté plus spécifique que nous, sur lequel on doit plus s’orienter », analyse Eric Pégorer. Mais le centre de formation bute encore sur des problèmes de moyens. « Il nous faudrait par exemple un entraîneur des attaquants, des milieux, etc. Je pense qu’il y a une évolution dans les protocoles d’entraînement qui nous fait aller dans cette voie. »
Le club ambitionne d’intégrer plus de jeunes issus de la formation dans l’effectif professionnel. Un impératif pour un club de Ligue 2, très proche de monter dans l’élite depuis plusieurs années. On ose même une comparaison avec… le Barça. « On veut inculquer une philosophie de jeu dès le plus jeune âge, ça commence à 6-7 ans, comme au Barça, sous l’égide de Pascal Gastien », lance la voix grave de Jérôme Champagne depuis son bureau en Suisse. Il est vrai que le coach du Clermont Foot, Pascal Gastien, élu meilleur entraîneur de Ligue 2 en 2019, s’est fait remarquer pour la qualité de jeu qu’il met en place depuis plusieurs années à Clermont. De là à copier les Blaugrana époque Xavi, Inestia ou Busquets ? « Il n’y a aucune raison qu’on ne voie pas éclore de gros joueurs. »
« Ça nous arrive de taquiner un peu »
La salle de musculation, dont la vue donne sur les terrains d’entraînement, symbolise parfaitement le lieu. « On n’a pas la même finalité, on est dans une logique d’évitement, eux ont besoin d’être forts à l’impact », explique Maximilien Ferret, préparateur athlétique des jeunes du CF63. Mais footballeurs et rugbymen se retrouvent ensemble, partagent et échangent quelques saillies de temps en temps. « On se chambre par rapport aux charges en musculation, confirme le polyvalent Oliver, 17 ans, au centre du Clermont Foot depuis un an. Ils font les beaux un peu… » Difficile pour les footballeurs de se mesurer à des grands gaillards qui enchaînent les séances de musculation. « Ils nous conseillent quelques trucs en muscu, ils peuvent nous corriger sur des positions », explique par exemple Baptiste. « Ça nous arrive de taquiner un peu, confesse presque gêné Yohan. Il nous taquine aussi sur quelques exercices, comme les tractions, on est plus lourds qu’eux, donc c’est plus difficile pour nous. »
« Ce n’est pas la même chose quand on est tout seul le matin ou quand tous les rugbymen nous regardent », renchérit Baptiste. Trêve de plaisanteries, la rigueur et l’intensité que mettent les rugbymen à l’entraînement a très vite été remarquée. « Les rugbymen ont cette culture de l’effort, de prendre soin de leur corps avant et après. Nos joueurs voient qu’ils bossent. Il y a eu une évolution des mentalités, ils sont plus dans une culture du travail », observe Maximilien. Quant aux staffs, eux aussi échangent. « C’est enrichissant de comprendre le cheminement, la réflexion de nos collègues, relate le préparateur physique. C’est bénéfique de pouvoir échanger. Je suis en formation au quotidien ! »
Un modèle pour d’autres clubs ?
Tous ces moments de vie et d’entraînement créent du lien entre les jeunes espoirs auvergnats. « On passe pas mal de temps ensemble, ça crée des liens », confirme Florian, jeune défenseur central. « On peut sympathiser avec les footeux, parler d’autres choses avec eux. On parle football, on fait des paris… Lorsque j’étais blessé, je passais du temps en salle de kiné, c’est sympa de pouvoir échanger avec eux », raconte Yohan. Si la plupart des rugbymen est calée niveau football, la réciproque était moins évidente. « Cette année, je suis allé voir pour la première fois un match de rugby », relève Oliver, qui, comme son coéquipier Karim, ne suivait pas vraiment le ballon ovale. « C’est enrichissant de mieux connaître leur sport. »
« Vu comment ça marche, il y a pas mal de clubs qui devraient s’en inspirer », selon Florian. « Je pense que ça pourrait fonctionner avec d’autres sports », projette même Karim. Le développement de structures de formation partagées serait également complètement souhaitable pour Eric Pégorer. Pour les synergies économiques, humaines, culturelles et aussi pour… l’environnement : « Il y a une évolution dans la société d’être dans une logique plus durable, on ne peut pas accumuler à outrance. » En avance sur leur temps ?
Par Guillaume Laclotre
Tous propos recueillis par GL