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Claudio Tamburrini, gardien de l’enfer

Par Ruben Curiel, à Buenos Aires
Claudio Tamburrini, gardien de l’enfer

Sous la dictature en Argentine, Claudio Tamburrini est arrêté pour ses activités politiques. Après quatre mois de torture, l'ancien gardien du club d'Almagro s'échappe avec quatre codétenus. Après un an dans la clandestinité, il s'exile en Suède et abandonne le football.

Au numéro 48 de la rue Blas Parera, à Morón (province de Buenos Aires) se trouve le centre omnisports Gorki Grana. Aujourd’hui, on y joue au football, sous le ciel grisâtre du début d’hiver argentin. Il y a trente-sept ans, on y enfermait et torturait des « opposants » , sous le regard atterré de tout un pays. Autrefois, le centre sportif se nommait « Mansión Seré » . Édifice de deux étages, la maison – un temps propriété de Jean Sère, immigrant franco-basque – servait de « centre clandestin de détention » lors de la dictature argentine. Claudio Tamburrini, gardien de but aux idées communistes incompatibles avec le gouvernement de Jorge Videla, y a passé cent vingt jours. Le 23 novembre 1977, la répression frappe à sa porte : « Deux hommes armés arrivent, et me demandent si je suis Claudio Tamburrini. Ils m’ont emmené dans une camionnette, en me disant qu’ils devaient faire des vérifications » raconte-t-il dans les colonnes du magazine chilienDe Cabeza. Quatre mois plus tard, après avoir été torturé à maintes reprises, l’ancien gardien du club d’Almagro s’échappe avec quatre autres détenus.

Torture et lueur d’espoir

Devenu titulaire en club à vingt ans, Tamburrini paie pour son engagement politique : « À l’époque, le sportif qui faisait de la politique s’en servait comme une sorte de moyen de dédoublement presque schizophrénique. On pouvait être footballeur d’un coté et militant de l’autre, sans que personne ne s’en rende compte » écrit-il dans son livre Pase libre, qui relate sa séquestration. Le gardien étudie la philosophie à l’université de Buenos Aires, intègre le parti communiste et participe à de nombreux mouvements sociaux. En 1974, une police anticommuniste est créée par Isabelita Perón, au pouvoir après la mort de son époux. Deux ans plus tard, après le coup d’État, la dictature militaire menée par Videla instaure le « plan de réorganisation sociale » . La répression s’accentue et se transforme en véritable chasse à l’homme, dans le but « d’éliminer tout élément subversif qui va à l’encontre du pays » . Claudio Tamburrini est arrêté après qu’un policier trouve son nom dans l’agenda d’un communiste qui l’avait invité à une réunion, lorsqu’il était au lycée, à 17 ans. « J’avais 23 ans lors de l’arrestation. Surtout, j’avais quitté le parti depuis longtemps » , raconte l’ex-footballeur.

Convaincu de son innocence, Claudio Tamburrini répète à ses compagnons qu’il a été arrêté par erreur et qu’il ne passera pas plus d’une semaine dans ce centre de détention. Mais le joueur d’Almagro ne bénéficiera d’aucun traitement de faveur : « On m’a torturé à plusieurs reprises, avec des décharges électriques, durant une période que je ne peux pas déterminer, car j’ai perdu toute notion du temps là-bas » , raconte le natif de Ciudadela (province de Buenos Aires). Et d’ajouter : « Ils avaient une blague récurrente : ils entraient et disaient : « Qui est le gardien d’Almagro ? » Je répondais, puis ils me frappaient très fort dans le foie et me disaient : « Alors tiens, arrête ça » en rigolant. » Les prisonniers sont torturés, dans le but d’obtenir des noms de communistes et de montoneros (organisation politico-militaire). « Quand on te torture, la peur de mourir inonde ton cerveau d’adrénaline et tu deviens lucide. Quand on te fout une décharge électrique sur les testicules, tu parles. Je leur donnais des noms de personnes mortes, ou qui ne vivaient plus dans mon quartier » , témoignait Tamburrini dans une interview pour La Vanguardia.

Forcés à travailler et sous-alimentés, les prisonniers vivent avec l’espoir de sortir : « J’étais dans une cellule avec quatre personnes. Un gardien nommé Lucas nous avait dit qu’on serait transférés dans une autre base, ce qui nous a donné de l’espoir. Fin janvier, ils ont sortis Jorge et Alejandro, deux de mes compagnons. On était heureux, c’était la preuve que nos situations allaient évoluer. » Tamburrini est alors loin d’imaginer l’horreur mise en place par la dictature argentine. « Quand le gardien est revenu un mois plus tard, il nous a demandé des nouvelles de Jorge et Alejandro. On lui a dit qu’ils étaient sortis. Il nous a répondu sarcastiquement : « Et vous y croyez ? Ils sont déjà sous terre. » » Un plan d’évasion improbable redonnera de l’espoir aux détenus.

Clandestinité et exil

Un clou trouvé en dessous d’un lit changera le destin des cinq codétenus. Guillermo, compagnon de cellule de l’ancien gardien argentin, réussit à ouvrir la fenêtre avec. « On s’est rendu compte que les gardes étaient dans la maison. On a fermé directement. Mais à partir de ce moment, on a commencé à élaborer le plan de fuite » , écrit Claudio Tamburrini. Mais les gardes se rendent compte de l’ébauche d’évasion des prisonniers et accentuent la torture : « Au lieu de leurs blagues, un garde m’a mis un pistolet sur la tête et m’a dit : « On sait que vous prépariez une fugue. On vous a laissés, pour vous tuer quand vous sortiriez. » » Malgré les menaces, les reclus sont déterminés à s’échapper. Un des détenus, Guillermo Fernández, devient la cible des gardes, après avoir donné de fausses informations. « Il nous répétait qu’ils allaient le tuer. On a donc mis en place la fuite pour le 24 mars » , raconte l’ancien joueur argentin. Sous une pluie torrentielle, les cinq détenus s’échappent, menottés et nus. Ils ouvrent la fenêtre avec le clou, et descendent en s’accrochant aux draps qu’ils avaient attachés ensemble. Les cinq fugitifs se réfugient dans une maison proche, grâce à l’aide de la propriétaire. « On a vu des hélicoptères qui nous cherchaient. On s’est séparés. Puis j’ai appelé des proches. D’abord, le père d’une ex, qui m’a donné de l’argent et m’a viré de chez lui. Pareil pour un cousin : il m’a donné des vêtements et m’a demandé de m’en aller. Un oncle m’a aussi aidé, avant de me laisser dans la rue. La peur est mère de toutes les misères » , raconte Tamburrini dans La Vanguardia.

L’ancien gardien d’Almagro vit pendant un an dans la clandestinité à Buenos Aires. Il abandonne le football et devient chauffeur de taxi. Claudio Tamburrini décide de quitter sa patrie et rejoint la Suède où il travaille dans le staff du club AIK Fotboll de Stockholm. En 1980, après avoir joué dans une petite équipe, Tamburrini est accepté à la faculté de philosophie de la capitale suédoise. Il abandonne alors le football : « Le football suédois manquait de professionnalisme. On s’entraînait deux fois par semaine et il n’y avait pas d’entraînements spéciaux pour les gardiens. C’était une si mauvaise expérience que j’ai préféré me concentrer sur mes études » , raconte-t-il. En Suède depuis 37 ans, le joueur retraité revient sur sa séquestration : « J’ai pris cet épisode comme une partie de la vie que j’ai aujourd’hui. S’ils ne m’avaient pas torturé, je n’aurais pas quitté l’Argentine. J’aurais pu faire carrière, mais ce n’était pas ce que je voulais » , explique t-il dans la revue De Cabeza. Aujourd’hui, Tamburrini est professeur de philosophie à l’université de Stockholm. Deux de ses compagnons de cellule ont disparu (les desaparecidos sont les victimes qui ont été secrètement arrêtées et tuées en Argentine pendant la « guerre sale » ). Les autres prisonniers de la « Mansión Seré » ont été « mis à disposition du pouvoir national » . Plus tard, la maison sera brûlée, pour ne laisser aucune trace des tortures effectuées pendant plus d’un an. Claudio Tamburrini a participé à l’inauguration du centre omnisports et d’un monument à la mémoire des disparus en 2014 : « C’est une bonne idée. Ils créent de la vie où la mort a existé. Personnellement, le footballeur Claudio Tamburrini est mort le jour de la fugue. Cet homme est aussi un disparu » , conclut-il.

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Par Ruben Curiel, à Buenos Aires

Propos recueillis dans le livre Pase libre, écrit par Claudio Tamburrini

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