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  • Disparition de Diego Maradona

Claudio Borghi : « C’était difficile d’être Diego Maradona »

Propos recueillis par Arthur Jeanne
10 minutes
Claudio Borghi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>C’était difficile d’être Diego Maradona<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Claudio Borghi jouait milieu offensif, a éclos à Argentinos Juniors quelques années après Diego Maradona et été champion du monde en 1986 avec le Pibe de Oro. Il a même été considéré comme le premier successeur du 10. Alors forcément, il a des choses à raconter sur son ancien coéquipier.

Comment se sent-on aujourd’hui, en tant qu’Argentin ex-coéquipier de Maradona ? Mercredi a été un jour très triste, complexe. C’est dur de recevoir la nouvelle, des rumeurs de la nouvelle et d’attendre la confirmation de sa mort. C’était une journée compliquée, mais aujourd’hui, incroyablement, cela va beaucoup mieux. Je suis surpris et reconnaissant de la pluie d’éloges, pas seulement dans mon pays, mais dans le monde entier. Le fait que le monde soit triste pour la mort de Diego me rend heureux, car je l’aimais beaucoup, Diego méritait de tels adieux. Tout le monde pleure, et c’est incroyablement émouvant pour tous les gens qui ont connu Diego, pour nous qui avons de l’affection pour lui. Un mythe vivant est mort et il va se convertir en un personnage historique, sa trace ne va pas s’effacer.

Diego Maradona et toi partagiez une histoire commune.On vient du même club. La première fois que j’ai rencontré Diego chez Argentinos Juniors, il avait treize ans et moi neuf. Pour moi, Diego, c’était Pelusa(la Peluche), pas Maradona. C’est ainsi qu’on le connaissait au club. Je connaissais sa famille, son père, ses frères. J’ai partagé des moments avec eux, nous n’étions pas amis, mais nous avions beaucoup d’affection l’un pour l’autre.

La seule fois que j’ai vu Diego libre, c’était à Los Angeles en 1985.

On t’a considéré comme le premier héritier de Maradona, comment on vit ça ?Maradona est comme Louis XV (Louis XV a eu dix enfants légitimes et une dizaine d’autres illégitimes, N.D.L.R.), il a eu une tonne d’héritiers, mais personne ne lui a jamais succédé. J’ai peut-être été le premier pour une raison simple : quand Maradona est vendu à Boca en 1981, je commence à jouer à Argentinos Juniors. Dès lors, la comparaison est immédiate : l’un s’en va, un nouveau 10 le remplace. Et puis, j’avais vingt ans et je brillais à Argentinos. On a gagné la Copa Libertadores en 1985, je fais un super match en finale de la Coupe intercontinentale face à la Juve et les comparaisons prennent de l’épaisseur. Mais en réalité, je ne me suis jamais senti proche de lui. Sportivement, j’avais parfaitement conscience que je ne pourrais pas jouer à son niveau ou même lui ressembler. L’imagination des gens fait qu’ils pensent que j’aurais pu atteindre son niveau, j’ai dû composer avec cette attente et cette comparaison. Pendant longtemps, j’ai ressenti un peu de colère face à cette impossibilité de lui ressembler et de frustration par rapport aux attentes suscitées. Et puis, à la fin de ma carrière, c’est la fierté qui a pris le pas.

Tu as dit que tu as réalisé très tôt que tu n’aurais jamais pu tolérer la pression avec laquelle Diego vivait au quotidien.J’ai eu une vie moins brillante et importante au niveau du football, beaucoup plus tranquille au niveau personnel. Je n’étais pas préparé pour le niveau d’exposition et le degré de pression auxquels il était confronté quotidiennement, à cette absence d’intimité dans la vie quotidienne. C’est très difficile d’être Maradona, il faut des qualités naturelles et un caractère hors norme pour supporter toute cette pression.

Diego a toujours été égal à lui-même. Il était incroyablement authentique, spontané et disait ce qu’il pensait.

À quel point c’était difficile d’être Maradona ? Quand tu es joueur et que tu es sur le terrain, tu es au centre de l’attention de tout le monde. Mais pour la plupart d’entre nous, dès lors que tu mets un jean, une paire de baskets et un T-shirt, tu vas dans la rue, et plus personne ne se rend compte que tu es là. Tu peux avoir une vie normale, prendre un café, t’asseoir dans un parc. Diego ne pouvait pas le faire. Ni pendant, ni après sa carrière. La seule fois que j’ai vu Diego libre, c’était à Los Angeles en 1985. Nous avions joué un match pour les victimes du tremblement de terre au Mexique, on était en face du Stade où les Lakers jouent et on se baladait. Les gringos, pour qui le soccer n’était pas quelque chose de spécial et qui ont cette culture de laisser les célébrités tranquilles, ne l’embêtaient pas. Diego était libre. Nous sommes allés voir le match, dîner en ville. Il était libre, complètement libre. C’est le seul moment où je l’ai vu ainsi. Sinon, à chaque fois qu’on voyageait, les gens voulaient le sentir, le toucher, être près de lui. Diego avait arrêté de jouer il y a longtemps. Normalement, dans le football, les mythes se diluent. Pour la majorité d’entre nous, tout s’arrête un jour, et nous reprenons une vie normale. Nous nous réhabituons à vivre. Lui n’a jamais connu ce changement, ce retour à la normalité. Jamais.

Il aimait cela, ou ça le dérangeait ? Il n’avait pas le choix. Diego ne connaissait pas d’autre vie, en fait. Il a appris à vivre avec cette attention permanente, et il ne savait pas faire autrement. Dès son enfance. Je me rappelle que lors du Mondial 1978 en Argentine, il avait 18 ans et tout le monde se demandait pourquoi il n’avait pas été convoqué. On ne parlait déjà que de lui, il vivait dans un monde où il était suivi et accompagné partout.

Pour toi, Maradona, c’était Pelusa. Pelusa et Maradona étaient deux personnes différentes ? C’est la grande question que beaucoup se posent. Diego était-il la même personne face à une caméra et dans sa vie quotidienne ? La réponse est oui, Diego a toujours été égal à lui-même. Il était incroyablement authentique, spontané et disait ce qu’il pensait. Une manière d’être qui lui a apporté autant de joie que de problèmes, et d’engueulades avec beaucoup de gens. C’était son essence, sa personnalité.

Diego avait ce talent de funambule, de jongleur associé à une capacité de réflexion et de décision très rapide.

Maradona est le joueur le plus fort que tu aies vu évoluer ?Maradona est le plus grand joueur que j’ai vu sur un terrain. Sans vouloir être irrespectueux envers Messi, qui est sans doute le plus grand joueur actuel. Diego était extraordinaire, il est impossible qu’un autre joueur comme ça existe.

Même si Messi gagne tout, il ne sera jamais considéré comme l’égal de Maradona ?Les titres ne te rendent pas meilleur. Pour moi, le plus fort n’est pas celui qui a gagné le plus de trophées. Platini n’a jamais été champion du monde, mais si tu me demandes le meilleur joueur français, je te dis Platini. Celui qui a le plus gagné est très différent de celui qui te plaît le plus. Qui est le joueur le plus titré du football argentin ? Le Cabezón Ruggeri. Est-ce qu’il était bon ? Non. Il faisait son boulot, mais ça n’était pas un bon joueur, simplement un bon défenseur.

La première fois que tu as vu jouer Diego, qu’est-ce qui t’a impressionné ?La grande différence entre lui et les autres, c’était sa vitesse mentale. C’est comme si devant un problème mathématique, tu trouvais la solution en trois minutes et moi en cinq minutes. Lui, il la trouvait en trente secondes. La vitesse mentale qu’il avait pour trouver des solutions en jouant était extraordinaire, c’est ce qui faisait de lui le meilleur. Ses qualités techniques peuvent être imitées : quand tu vas au cirque, tu vois des jongleurs qui font des trucs incroyables avec le ballon. Diego avait ce talent de funambule, de jongleur associé à une capacité de réflexion et de décision très rapide. Ces deux talents s’alimentaient, et le résultat était merveilleux.

Nous savions qu’en remportant ce Mondial, nous pouvions donner une grande joie au peuple.

Ce talent était quelque chose d’inné ?Diego a toujours été ainsi, on ne peut pas dire qu’il a appris avec le temps. Depuis tout petit, on voyait qu’il était différent de tout le monde. Ce qu’il avait peut s’améliorer ou se perfectionner, mais ça ne s’apprend pas. Aucun entraîneur ou professeur ne peut te les apprendre, ce sont des traits de génie totalement naturels.

Tu as été champion du monde en 1986 avec Diego, quels souvenirs gardes-tu du match contre l’Angleterre ? Historiquement, il n’y a que deux choses à retenir de ce match : le but du siècle, et la Mano de Dios. Ni nous, ni eux n’étions responsables de la guerre. Un stupide dictateur argentin a voulu faire la guerre à une grande puissance pour un morceau de terre que personne ne connaissait, beaucoup de jeunes gens sont morts par sa faute. Les Malouines, c’est perdu au milieu de nulle part, aucun Argentin n’y est jamais allé. Les gens pensaient qu’une manière de se venger des Anglais était de gagner un match de football, ce qui est une folie.

J’avais l’espoir qu’il enlève son costume, qu’il quitte son personnage de Maradona pour mener une vie plus tranquille.

Diego y croyait ? Non, il ne le croyait pas non plus. Mais nous savions que pour les gens, c’était un match important. Et pour nous, c’était une étape vers notre objectif. Nous savions qu’en remportant ce Mondial, nous pouvions donner une grande joie au peuple. L’Argentine sortait d’une guerre, d’une dictature. La situation économique était bonne, socialement aussi et il y avait beaucoup d’espoir. Pour le reste, le match contre l’Angleterre a acquis cette importance symbolique. Mais d’un point de vue purement sportif, la Belgique était un adversaire plus coriace. Intimement, nous avions beaucoup plus de respect pour la Belgique qui avait une superbe équipe.

Tu te souviens de la Mano de Dios ? Sur le terrain, je n’ai pas vu qu’il avait fait main. La seule chose dont je me souvienne, c’est que quand Diego saute et marque de la main, je ne le vois pas, mais quand il retombe, il regarde directement l’arbitre.

Si tu devais garder un seul souvenir du Maradona joueur, ça serait lequel ?Mon premier match avec lui en sélection, contre le Mexique. Je n’utilisais jamais de bandage à la cheville quand je jouais, Diego utilisait du tensoplast, un bandage qui comprimait vraiment le pied. À la mi-temps, il demande au kiné de lui enlever le bandage parce qu’il n’avait aucune sensibilité dans les pieds. Je me suis dit si ce mec n’a pas de sensibilité dans les pieds, alors je devais me faire amputer. Parce qu’il faisait un match incroyable, j’étais très loin de lui.

Le fait de ne pas avoir une vie normale fait que tu as besoin d’échappatoires pour te sentir bien.

À l’annonce de sa mort, tu as déclaré que tu aurais aimé que Diego vive une vie meilleure pour les dernières années de sa vie, mais que ça n’a pas été le cas. Tu voulais dire que sa fin de vie a été triste ? Aujourd’hui, à l’époque à laquelle nous vivons, un mec de 60 ans est encore un jeune homme. Les gens vivent vieux. J’ai eu très peur quand il s’est fait opérer. Une fois l’opération passée, j’avais envie qu’il ait une vieillesse plus digne et plus apaisée. J’avais l’espoir qu’il enlève son costume, qu’il quitte son personnage de Maradona pour mener une vie plus tranquille, d’amour familial sans les personnages néfastes de son entourage.

Ses excès et ses addictions, tu penses que c’était pour supporter cette vie ? C’est ce que je crois, mais je ne peux pas l’assurer de manière définitive. J’imagine que le fait de ne pas avoir une vie normale, ne pas pouvoir sortir, aller dans un parc, prendre un café fait que tu as besoin d’échappatoires pour te sentir bien. Pour t’évader de tout ça, pour ne plus être Maradona.

Dans cet article :
L’Angleterre pleure un champion du monde 1966
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Propos recueillis par Arthur Jeanne

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