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Claude Puel : « La France forme des joueurs magnifiques »
Aujourd'hui à Southampton, où il profite de la Premier League, Claude Puel nous a reçu au centre d'entraînement des Saints. Pour une heure de discussion passionnée. Zoom sur le moment où on l'a lancé sur la formation des joueurs...
Nice est aujourd’hui dans la course au titre en France. Sur place, beaucoup vous définissent comme celui qui a eu le courage d’appliquer en équipe première la philosophie mise en place chez les jeunes…Je suis heureux pour le club et les joueurs qui confirment à un très beau niveau. J’ai laissé beaucoup de gens que j’apprécie là-bas. Ce que je peux dire, c’est que pour moi, l’important, pas seulement à Nice, c’est d’essayer d’avoir des joueurs qui vont rentrer dans le jeu que l’on veut mettre en place. Des profils bien particuliers à chaque poste. À Lille, cela a été pareil, mais à Nice, cela a été exacerbé par un joueur comme Vincent Koziello qui est un peu l’emblème du profil technique, mais qui initialement ne pouvait pas exister en D1.
Comment lui a donc pu exister ?Pour que ce type de joueurs puisse s’exprimer, il faut d’autres joueurs autour qui pensent le même football, qui aient la même compréhension du jeu et le même bagage technique. Si des joueurs qui ont de la qualité, mais un profil atypique, on en vient à les isoler, soit ils ne vont pas percer, soit on va les retrouver à 28-29 ans et on va se dire : « Mais quel joueur, où il était avant ? » Il y a plein de joueurs fantastiques qui existaient, mais pour lesquels on n’a pas mis autour l’équipe qu’il fallait. Il faut identifier ce type de joueurs, et construire une équipe autour d’eux pour leur permettre de s’exprimer. J’ai des souvenirs de joueurs comme Jérôme Leroy, Benjamin Nivet, Julien Féret ou encore Mickaël Pagis, qui a terminé à Rennes. Un joueur de ballon, magnifique. Tous ces joueurs peuvent inventer des gestes, être performants, mais malheureusement, ces joueurs-là, on les découvre trop tard, car ils ont fait partie d’équipes où l’on a privilégié la densité physique au détriment de la créativité, de l’intelligence, de la technique.
Contrairement à votre OGC Nice…Ce que l’on a réalisé à Nice, on l’a construit avec des joueurs de grande qualité technique à chaque poste, même gardien, mais des caractéristiques manquantes au niveau physique. Des profils normalement « incomplets » pour la D1. J’ai dit à mes joueurs en pré-saison : « J’ai envie que l’on tente, le défi, cela va être d’exister avec vos qualités dans un championnat âpre, disputé, avec des contre-attaques, des lignes compactes, des gros blocs défensifs et des équipes qui privilégient les attaques rapides et le jeu direct. On va essayer d’exister en ayant le ballon, pour éviter les duels, et réussir. » Le challenge, c’était d’exister. Finalement, on a terminé à deux points de la deuxième place, on a dépassé tout ce que l’on espérait. Mais pour en revenir à la construction, si Koziello a pu s’exprimer, c’est parce qu’autour on a mis Mendy, Seri, Ben Arfa, Germain, Walter… Que des joueurs de ballon, et donc dans le circuit, on aura moins tendance à perdre le ballon, et donc à plus prendre confiance. Et à travers le jeu, à faire la différence. Alors bien sûr, le haut niveau demande à ce que l’on ait tout, comme en Angleterre. Ils ont la technique, la puissance, la vitesse, l’intelligence, tout. Ça, c’est le très très haut niveau.
Ce dont vous parlez finalement, c’est d’une prise de risques, de ne pas placer le résultat au-dessus de tout, mais beaucoup de formateurs se plaignent d’avoir dès les catégories de jeunes cette pression du résultat…(Il coupe) À Nice, c’était une vraie prise de risque. Quand je suis arrivé, quinze joueurs quittaient le club et neuf arrivaient de Ligue 2, on ne les connaissait pas, mais le club ne pouvait recruter à titre onéreux. Désormais, ils ont de plus larges perspectives, mais pour arriver à ce résultat, il fallait que toutes les recrues entrent dans notre cadre.
Mais ce risque, on peut le prendre dès les U15, afin de faire progresser les plus gros potentiels plutôt que de gagner avec les meilleurs à l’instant T. Or, la plupart des équipes mises sur la seconde option…On a la chance d’avoir en France un pays métissé, on a des blancs, des joueurs de couleur, des Maghrébins… On a toute la population avec des sensibilités différentes, ce qui fait la richesse de notre football. On arrive à sortir des joueurs magnifiques, et on a des joueurs dans les plus grandes équipes d’Europe. Mais on pourrait mieux faire, et pas seulement dans notre formation, mais aussi notre pré-formation. Un exemple tout bête : certains, à 10-12 ans, sont en avance en matière de physique. Ces joueurs-là font la différence tout seuls, simplement en poussant le ballon… Pas en dribblant, hein, juste en poussant le ballon. Ils font la différence grâce au physique. Le problème, c’est que quel que soit le niveau, U15, CFA, Ligue 2, l’entraîneur veut se sécuriser et prend en priorité des joueurs physiques au détriment des joueurs avec une vraie compréhension du jeu et de la technique. Pour essayer d’exister. Je pense que c’est une fausse route, surtout quand cela se produit en formation ou pré-formation.
Difficile de résister à la tentation…Le joueur qui fait la différence physiquement, soit il faut le surclasser pour qu’il aille plus haut et soit confronté au même physique que lui. Ou alors lui interdire, dans un premier temps, de faire la différence balle au pied, mais plutôt de trouver des solutions par le jeu. Il faut développer cet apprentissage de savoir quand donner le ballon, à quel endroit, comment… Combiner, proposer des solutions… Développer l’intelligence du joueur. C’est ça, le plus important. Trop souvent, on laisse ces joueurs se contenter de leurs courses, et on se retrouve avec plein de joueurs qui dominent leur catégorie, on les encourage à faire la différence… Combien de fois j’ai vu des matchs en jeunes où l’équipe se contentait de balancer par-dessus la défense, à destination de ce type de joueurs qui marque X buts… Et les gens disent « ah quel joueur ! » Mais après il ne sait pas dribbler, pas se déplacer, pas donner…
Et se retrouve donc face à ses limites tôt ou tard…Une fois que ce physique s’estompe – parce qu’au haut niveau, il se retrouve avec des gens du même gabarit, ou qu’il y a une défense qui tactiquement trouve des solutions –, ce joueur se retrouve désarmé, sans expression. On perd énormément de joueurs de cette manière. Parce qu’à un moment donné, on ne leur a pas appris à trouver des solutions. Pourquoi les petits gabarits sont plus techniques ? Parce que très tôt, ils doivent trouver des solutions pour exister. Ils développent leur intelligence de jeu et leur technique. Et si on arrive à pousser les joueurs physiques à faire la même chose ? On pourrait passer un cran supplémentaire.
Il y a un moyen simple de développer une identité de jeu et de former des joueurs à se fondre dedans : imposer les mêmes principes de jeu à chaque catégorie, comme au FC Barcelone ou à l’Ajax Amsterdam. Mais dans la pratique, peu de clubs le font..Il n’y a pas tant d’entraîneurs qui prennent le temps de s’investir dans leur club pour développer une identité de jeu. Les entraîneurs sont de passage, sous pression, veulent aller aux résultats le plus vite possible. Ce type de philosophie, c’est une prise de risques qu’ils ne sont pas forcément en mesure d’assumer. Je fais mon syndicaliste, mais c’est le problème que l’on a en France. Par exemple on forme des joueurs, mais on ne leur permet pas de s’exprimer. La réserve est au mieux en CFA, et donc ils doivent, pour s’imposer en équipe A, passer sans transition de CFA à Ligue 1. L’écart est trop important.
Il faut donc aménager les divisions intermédiaires ?On n’utilise pas notre National à bon escient. C’est une bonne division à condition d’y mettre les bons ingrédients. Certains clubs viennent en National sans structure, sans école de football, sans formation, ils tentent un coup pour tenter d’aller en Ligue 2. Les entraîneurs qui viennent dans ces projets, ils ne vont pas s’emmerder à former des jeunes, cela ne leur servirait à rien. Il faudrait que la Fédération impose des règles, comme un minimum de jeunes joueurs alignés sur le terrain. Car s’il y a bien une division où il faut donner du temps aux jeunes, c’est le National. Et en deuxième division aussi. Il faut encourager ces clubs à faire jouer des jeunes. Aujourd’hui, c’est presque devenu impossible de prêter des jeunes, car tout le monde veut du joueur aguerri pour les joutes du National ou de Ligue 2. Cette situation nous fait perdre plein de joueurs.
Propos recueillis par Nicolas Jucha, à Southampton