NDRL : Interview réalisée à l’occasion de l’entretien croisé avec Alain Weisz (basket) et Guy Novès (rugby) dans le Hors-Série Tactique.
Qu’est-ce qui, tactiquement, rapproche le football et le handball ?
Là où le foot se rapproche du hand, c’est sur la façon dont l’attaque va s’organiser autour de la surface de réparation ou de la zone au hand. Chez nous, la zone est marquée, et les joueurs ne peuvent pas y pénétrer, alors qu’au foot, elle est effective. La défense est organisée de telle façon devant elle, qu’on va tourner autour sans forcément pouvoir y entrer. Comme au hand, l’attaque va chercher à étirer la défense en largeur avec des passes latérales, et cela va faire effectivement penser à l’attaque placée du handball. Les sports collectifs sont régis par le même fonctionnement. Vous avez un ballon ou un palet qui est l’enjeu, des cages ou un panier qui est votre objectif, vous avez deux équipes qui vont s’organiser pour occuper l’espace de la façon la plus rationnelle possible. On va donc identifier des systèmes de jeu qui doivent vous permettre de dépasser l’organisation défensive mise en place par l’équipe adverse.
On fait comment ?
Vous n’avez pas 50 solutions. Soit vous la traversez au milieu, soit vous allez la déborder par les côtés ou par la hauteur, cela peut être le tir au-delà des neuf mètres au hand, le tir à trois points au basket et la frappe de loin ou le centre aérien au foot. Toutes les recherches tactiques dans les sports collectifs s’articulent autour de ces trois thèmes. Le principe est d’amener un joueur dans la meilleure situation possible de tir. Il s’agit donc de présenter une alternance de jeu pour faire sortir la défense de sa zone de sécurité. Les principes sont les mêmes, mais les moyens sont différents. Par exemple, quand un ailier déborde au handball, il va pour marquer, alors qu’au foot, il va chercher une solution dans l’axe. Le tir de loin va être plus fréquent au hand, mais il permet comme au foot de faire monter les défenses. Si je ne suis jamais dangereux de loin, la défense ne va pas monter. Mais je ne peux pas marquer que de loin, il faut aussi arriver à combiner dans le cœur de la défense pour avoir des situations de frappe de près. Les meilleures équipes sont celles qui maîtrisent toutes ces alternances.
Les victoires se construisent-elles dans les deux sports sur la défense ? On a longtemps dit que la France basait sa domination au hand sur la défense.
Dans tous les sports collectifs, les équipes qui gagnent sont celles qui sont dominantes défensivement. C’est d’abord dans ce secteur qu’on construit la victoire. Parce que la défense, ce n’est pas seulement empêcher l’autre d’attaquer. Bien sûr, vous décidez de subir et d’empêcher l’attaque adverse d’approcher de vos buts. Mais la défense moderne, c’est choisir d’attaquer l’attaque adverse et de récupérer des ballons pour opérer en jeu rapide. C’est le jeu en contre-attaque et c’est le plus efficace, car vous êtes face à des défenses qui n’ont pas eu le temps de s’organiser. En trois-quatre passes, vous pouvez marquer, alors qu’il faudra une succession pour marquer sur attaque placée. Et ça, c’est vrai pour le foot, le rugby, le hand ou le basket. C’est ce qui réduit peut-être la part de spectacle dans les sports co. On va laisser l’autre venir se casser les dents sur la défense pour marquer sur les ballons de récupération. On finit par accepter que la défense soit la base. Plus qu’ailleurs, le foot a inventé des organisations défensives, voire extrêmement défensives qui se sont développées, parce qu’on cherchait à minimiser les risques. Parce que quand l’enjeu devient aussi important, vous devenez plus prudent, plus cynique. Le foot a préfiguré ce mouvement, et les autres sports ont fini par suivre. Le rugby notamment.
C’est l’enjeu, le problème ?
Je pense. Prenez le handball ou même le foot féminin qui sont moins médiatisés. Jouer au meilleur niveau, on assiste à un spectacle parfois plus agréable à regarder, moins brutal, plus fluide, parce que les filles n’ont pas les même qualités physiques. Alors que le hand masculin va ressembler à un combat physique.
Les joueurs couvrent plus d’espaces, courent plus. Ne faudrait-il pas alors enlever un ou deux joueurs ?
Il y a des gens qui réfléchissent à la question dans tous les sports. Les temps d’entraînement ayant augmenté, on a des joueurs capables de couvrir plus de distance, ce qui réduit l’espace libre sur le terrain et la possibilité de déstabiliser la défense. Ce qui donne cette impression d’avoir trop de joueurs sur le terrain. Faut-il adapter les règles, enlever un joueur ? Il faudra se poser la question.
Le physique prend le pas sur la technique au hand et au foot ?
J’ai tendance à penser qu’il y a 30 ou 40 ans, celui qui n’avait pas une qualité technique supérieure ne pouvait pas évoluer au plus haut niveau. Ce qui rendait le jeu moins intense, continu et plus technique. Aujourd’hui, des joueurs avec essentiellement des qualités physiques sont utilisés dans la dimension défensive notamment. Et ces joueurs vont prendre la place de celui qui a la qualité technique mais qui, par manque de gabarit, va être ciblé en défense. On a fait disparaître des générations de techniciens au profit d’athlètes. Fatalement, le jeu s’appauvrit en termes de qualité, mais gagne en intensité et en puissance. Le spectacle devient plus costaud, mais moins fin.
En Coupe de France, vous ne verrez jamais une équipe de D3 battre une D1 en hand (et dans tous les autres sports collectifs)
La spécificité du foot par rapport au hand, c’est qu’il existe un milieu de terrain. Le jeu ne se résume finalement pas à une attaque-défense, il s’élabore au milieu.
Mais pourquoi les matchs se terminent souvent à 1-0 aujourd’hui ? Parce qu’avec le renforcement du milieu, vous êtes plus dans la logique d’empêcher l’adversaire de développer son jeu que de véritablement développer le sien. Je ne sais pas si cela résulte des enjeux financiers qui n’ont rien à voir avec le hand, la tactique est davantage pensée pour empêcher l’autre de mettre en place son jeu.
Que reprocheriez-vous au foot ?
On voit bien que les défenses sont devenues numériquement plus importantes que les attaques. Quand vous avez un 4-4-2, vous avez théoriquement 8 joueurs à vocation défensive, même si des milieux peuvent être plus offensifs que d’autres. Vous vous retrouvez donc avec trois ou quatre joueurs en attaque contre 7 ou 8 en défense. Vous n’avez presque plus des 5-3 comme dans les années 50 avant l’apparition du catenaccio. À la différence du hand, l’attaque est donc presque toujours en infériorité numérique, d’où l’appauvrissement – à mon goût – du spectacle.
Ce qui est rare est cher. Le but au foot a une valeur émotionnelle plus importante qu’au handball…
Le handball est un spectacle continu. Au football, vous allez avoir assez peu d’occasions et de situations spectaculaires tout au long des 90 minutes du match. Allez voir du foot sans être partie prenante ou supporter. Contentez-vous de regarder le jeu en supporter neutre… Vous allez comprendre que l’enjeu est plus important que le jeu. Bien sûr, il y a des matchs où les deux se rejoignent. On finit par se contenter de très peu, et il suffit d’une action ou deux pour faire lever la foule… Vous aurez compris que je ne suis plus un grand fan de foot (rires).
Ses détracteurs disent de Barcelone que son jeu finit par ressembler à du handball. C’est une expression qui vous irrite ?
Je suis assez admiratif du jeu du Barça. Quand on voit leur qualité de conservation et la capacité du demandeur à proposer une solution à celui qui le possède, c’est une véritable organisation collective et une prouesse. Les Barcelonais vont attaquer cette défense adverse, ils vont la faire venir et profiter de ce travail de fixation pour la traverser. C’est autre chose que mettre des grands coups de pompes devant… Ce qui m’intéresse dans le foot, c’est quand une équipe arrive à proposer un jeu réfléchi, organisé et travaillé pour prendre l’avantage sur la défense adverse.
Les règles ?
Par ses règles, le foot est un sport universel parce qu’il est très simple à comprendre et à jouer. À part le hors-jeu, il vous faut cinq minutes pour comprendre un match de foot quand vous n’en avez jamais vu. Je pense qu’il doit sa notoriété à ce qu’il soit simple à comprendre et simple à pratiquer. Même pieds nus dans un champ, vous pouvez jouer. Celui qui découvre du hand ou du rugby ne va tout de suite comprendre. En termes d’organisation, il est plus facile à pratiquer que le hand où vous avez des enclenchements et des lancements de jeu très travaillés et répétés pour tromper les défenses. Si c’était aussi simple qu’on le dit de marquer au hand, on ne se casserait pas la tête à mettre en place toute cette organisation. Bien sûr, on aspire à ce que nos joueurs ne soient pas non plus que des robots programmés, mais soient capables d’avoir une capacité d’adaptation.
Cette simplicité des règles induit que le meilleur ne gagne pas toujours ?
En Coupe de France, vous ne verrez jamais une équipe de D3 battre une D1 en hand (et dans tous les autres sports collectifs). Au foot, vous pouvez avoir Quevilly ou Calais en finale. Chez nous, c’est impossible. C’est bien la preuve que la part de l’organisation est moins importante au foot et que celle du hasard l’est beaucoup plus.
Équipe figée et cadre fixe ?
Sur le tableau noir, c’est fixe, mais du hand, ce n’est pas du tableau noir.
Rôle du demi centre/meneur/ouvreur ?
On voit bien avec Platini, Maradona ou Messi qu’il y a des numéros 10 qui sont les vrais buteurs de leur équipe. Comme peut l’être Nikola Karabatic chez nous. Qu’est-ce qui manque souvent à une équipe ? C’est d’avoir ce joueur – qui est souvent le 10 ou le demi-centre chez nous – sur une action ou une option de transformer une situation d’opposition collective. Les deux équipes sont en situation d’équilibre et c’est ce joueur qui va entraîner le déséquilibre par la passe, le tir ou quelque chose qu’il va inventer.
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