Tu as débuté au centre de formation de Montpellier. Tu fréquentais quels joueurs aujourd’hui connus à l’époque ?
J’y suis resté quatre ans. Ça été une expérience très formatrice. J’ai pu côtoyer le monde pro et des types comme les frères Robert (Laurent et Bertrand), Sorlin, Bakayoko, Habib Bamogo.
Tu as ensuite enchaîné la DH et le National avant de signer en Espagne ? Là aussi, tu as pu voyager, raconte-nous un peu comment c’était à Santander.
Moi, j’avais de grosses qualités physiques, j’avais confiance en moi. J’ai envoyé des CV dans tous les centres de formation pour montrer que je voulais réussir et leur prouver que je pouvais réussir. Je n’ai pas eu beaucoup de réponses. Mais un jour, on m’a dégoté un essai au Racing Santander. Au téléphone, mon interlocuteur m’annonce le nom du club. Ça me disait quelque chose. Je me suis jeté sur mon ordinateur et là j’ai vu « Liga » . J’ai fait un essai d’un mois avec la réserve dans leur centre de formation. Ils n’étaient pas pressés. Ils voulaient que je joue le match contre le Real, ce qui était le match de l’année. C’est pourquoi ils m’ont gardé autant de temps. Au final, j’ai joué cette fameuse rencontre contre le Real B. On jouait à ce moment-là dans le stade pro. C’était un sentiment énorme, indescriptible. Même si c’était le Real B, tu vois, pour moi, c’était dingue. Ce soir-là, je fais un excellent match, on gagne et tout de suite après, les dirigeants du Racing viennent me voir. Ils veulent me faire signer le contrat. Je n’ai pas compris pourquoi sur le coup. Je signe et seulement quelques jours après, tenez-vous bien, un type qui s’occupait de moi m’appelle et me dit que le Real B me voulait. Mais bon, je venais juste de signer mon contrat avec Santander. J’imaginais tout ce que j’aurais pu faire si j’avais signé là-bas. Qui sait, j’aurais pu jouer en équipe de France espoirs…
Qu’est-ce qui t’a manqué par la suite pour percer en Liga ?
J’ai pris de mauvaises décisions. Il faut que les jeunes fassent gaffe aux agents véreux. Il y a plein de gens peu recommandables qui gravitent autour de toi dans ces moments-là. La plupart des agents pensent surtout à la prime qu’ils vont toucher sur ton transfert plutôt qu’à ton bien-être. Donc parfois, ils font tout pour que ton transfert capote car c’est dans leur intérêt. J’ai enchaîné quelques clubs en Espagne et me suis vite fait retrouvé en Suisse allemande, où les magasins ferment à 5h et où ça parle un dialecte bizarre et incompréhensible. Je suis resté là-bas six mois seul. C’était dur. Les dirigeants me voulaient mais les coachs ne me faisaient pas jouer car ils ne me voulaient pas. Mon expérience fut donc courte. Je n’avais plus de salaire, j’étais parti aux ASSEDIC et ils m’avaient filé mon premier chèque de 1000 euros, je me souviens. Trois mois sans jouer, c’est dur. Ma sœur me demande alors de penser sérieusement à ma reconversion. Je rentre en France le moral dans les chaussettes pour penser sérieusement à une reconversion. Elle me trouve un intérim. Et pour mon premier matin de travail à Leroy Merlin, un ancien dirigeant de Santander m’appelle et me propose un essai à Leeds United.
Ça s’est passé comment ?
Je venais juste de rentrer dans le magasin que je faisais le chemin inverse. Je m’envole donc donc pour la banlieue de Manchester. Quand tu entres dans le centre d’entraînement, c’est fou, j’te jure. C’est immense, les infrastructures sont folles. Il y a une grande plaine de terrains. Sur le parking, il y a de grosses bagnoles. Moi qui étais retombé dans l’ordinaire du quotidien, j’étais impressionné. Même si je ne parlais pas beaucoup anglais, deux joueurs se sont occupés de moi. Ils m’ont pris sous leur coupe. C’était le Martiniquais Sébastien Carole et le Mozambicain Armando Sa. Ils me montraient de grosses voitures qu’ils voulaient acheter alors que moi je n’avais pas touché de salaire depuis 4 mois… À l’époque, Leeds était déjà en D2 et le club accusait de gros problèmes financiers. Donc ils m’ont fait attendre. Je ne connaissais pas vraiment Leeds United mais j’avais été mis au jus via Canal +. Tu sens et entends l’ambiance à la télé mais la vivre… Ça n’a rien à voir. J’y ai passé deux semaines. Le club avait un match à l’extérieur primordial à jouer. Si Leeds perdait, le club descendait en D3. Après ce match-là, j’allais savoir ou non si j’allais signer. Finalement, ils ont perdu et n’ont pu me faire signer. C’était vraiment dur car mes essais avaient été concluants. Retour à la case départ donc, sans job, toujours au chômage.
T’avais quand même réussi tes tests à Leeds…
Ouais, ça m’a permis ensuite d’enchaîner Swindon, Peterborough, coaché par le fils de Sir Alex, Luton et Walsall. Et surtout de vivre une finale de rêve à Wembley…
Ton incroyable épopée avec Luton en coupe, ça reste et restera ton plus beau souvenir foot, non ?
Bien sûr que ça reste mon plus beau souvenir. Wembley, devant 40 000 personnes, le God Save The Queen avant la finale, mes parents et mes amis qui sont dans les tribunes, le feu d’artifice… Et pourtant? je n’étais pas titulaire pour la finale alors que j’avais joué tous les matchs de la saison. J’entre à la 80e et ils égalisent 2-2. Je me dis que je suis le… (il hésite) Black cat… Oui… le chat noir. J’ai un face-à-face que je loupe en plus pour mon tout premier ballon. Puis j’ai cette seconde opportunité où la balle vient en profondeur. Je vais plus vite que le défenseur, vois le gardien avancé et je le lobe. Je vois le ballon rentrer et je cherche des yeux directement ma famille pour célébrer ce but avec eux. J’ai vu la dernière finale de LDC et le Bayern fêter une victoire à Wembley. Je suis fier de savoir ce que ça fait… c’est magique de monter les escaliers, de faire la fête dans les vestiaires avec les gars. Ce sont des moments inoubliables.
Pour le retour, on arrive à Luton, on boit le champagne dans la coupe. Il y a un tour d’honneur en bus. On fait passer tous les buteurs sur le balcon de la mairie, je soulève la coupe, je prends le micro. Jamais en France, un club de bas étage ferait une fête aussi grande. Sur Facebook, je reçois beaucoup de sollicitations et de félicitations. Encore aujourd’hui ! Je me souviens que je recevais des centaines de mots types : « You make our day. »
Pour mon premier matin de travail à Leroy Merlin, un ancien dirigeant de Santander m’appelle et me propose un essai à Leeds.
Après, tu essayes le championnat écossais…
La D1 écossaise, c’est génial sur le papier. Tu te vois affronter les deux clubs de Glasgow. Mais ça, ce n’était qu’un écran de fumée. Là-bas, il fait froid et brumeux tout le temps. Puis j’étais loin de ma famille. Et l’ambiance en Écosse, ce n’est pas toujours ça. En général, les clubs anglais ont bien plus de supporters. Perso, j’ai joué dans des stades vides là-bas. Heureusement, j’ai fait la connaissance de Kenny Gillet [formé à Caen ndlr] et Gregory Tade. On se retrouvait souvent. On allait manger chez Kenny et Tade nous racontait ses histoires délirantes.
Au fait, il t’a raconté qu’il avait bidonné ses CV ?
(Silence et d’une voix étonnée) Non. Je ne le savais pas ça… En tout cas, pour ouvrir des portes, il faut parfois mentir. Il a la rage de réussir. Moi, c’est ce que j’ai noté quand je l’ai rencontré. Tu sais, on était tout au nord de l’Écosse. En Écosse, le football n’est pas aussi fêté qu’en Angleterre. Les ambiances sont bien moindres qu’en Angleterre, j’ai été déçu. Mis à part le Celtic et les Rangers, j’ai été bizarrement surpris. J’avais qu’une motivation, c’était de jouer ces deux-là. Point barre.
Et alors, comment c’était le Celtic Park ?
On ne joue pas devant 50 000 personnes tous les jours. Ce jour-là, j’avais la chance de jouer titulaire. C’était indescriptible, c’était magique…
Et le You’ll Never Walk Alone? ils l’ont chanté ?
Malheureusement non… Mais quand ils ont marqué? ils se sont tous retournés et ils sautaient tous ! Et normalement, en match, on fait abstraction du public tu vois, mais là, tout le monde regardait ce qui se passait en tribunes car la terre tremblait tellement. Pour te dire, le tempo du match est même largement retombé à ce moment-là. Un vrai stade, « a british stadium » . On a perdu 1-0 ce jour-là. Avec les Rangers, c’était l’équipe à battre.
Le Celtic et les Rangers étaient-ils beaucoup plus forts ?
Durant le match, j’ai pas senti une grosse différence de niveau, mais sur la saison, oui. C’est plus en quantité que ces deux clubs faisaient la différence.
Au final, tu joues peu et t’en vas faire un essai en Israël…
Ouais, mais je me fais une tendinite. J’ai eu une offre mirobolante de l’Azerbaïdjan. Mais à l’époque, je me voyais pas partir aussi loin. Mais plus le temps passe, plus les propositions se font rares. J’étais arrivé à un point tel que financièrement, je ne pouvais plus refuser aucune opportunité. J’avais beaucoup de crédits à rembourser et un jour, mon agent me contacte et m’informe qu’il a reçu une proposition venant du Koweït. Je me souviens alors que Salim Harrache y avait joué et avait touché 1 million de dollars à la signature. Je reçois plus tard la proposition officielle du club en question. Mais sur le papier, ce n’était plus écrit Koweït mais Irak ! Je dis à mon agent d’oublier. Moi, je ne veux pas aller en Irak. Mais je n’avais plus le choix. Tout le monde chez moi avait peur. Et perso, de mon côté, c’était pareil. J’étais effrayé à l’idée d’aller là-bas. La nuit, j’en ai pas dormi, je te le dis. Dans l’avion pour l’Irak, j’ai vu pas mal d’Européens. Ça m’a forcément rassuré. Mais en fait, les seuls Occidentaux qui viennent en Irak, ils viennent faire affaires à Bassora. Une ville pétrolière et portuaire. L’une des plus riches du monde, qui se fait quelques milliards par jour. Après, les Occidentaux, on ne les voit pas autre part. Une fois que l’avion s’est posé, j’ai juste eu le temps de prendre mes valises que c’était le feu. J’ai eu le droit à des colliers de fleurs au cou, à un immense bain de foule et à pas mal de médias locaux. À peine sorti de l’attroupement qu’on m’embarque dans un 4×4, et je rejoins une grosse réception organisée en mon honneur, à l’hôtel. J’ai mangé avec les dirigeants. Émotionnellement, c’était quelque chose. Je me demandais dans quoi je m’étais embarqué. Une fois tout ça terminé, je m’enferme dans ma chambre et peine à m’endormir. Puis tard le soir, on frappe violemment à ma porte. J’avais si peur que je n’ai pas osé ouvrir. En fait, le matin, j’ai compris que c’était la direction qui voulait me filer un portable pour que je puisse appeler ma famille.
T’as eu une belle prime à la signature ?
La signature de mon contrat, ça a été tout un bordel. Ils voulaient que je signe le papier avant qu’ils me filent la moitié de mon salaire annuel comme c’était prévu. Ils me mettaient la pression puis un matin, ils m’ont tout filé en cash. J’ai longtemps caché ma fortune sous mon oreiller avant de finir par trouver une banque. La croix et la bannière.
Bassora est en train de se construire un stade de 40 000 places.
Comment se sont passés tes premiers jours dans l’équipe ?
Entraînement sur du synthétique avec des coéquipiers qui parlent arabe. Mais j’avais l’habitude d’être dépaysé. Pendant les matchs, c’est tambours, drapeaux, 3500 supporters à domicile. En Irak, les supporters ne payent pas l’entrée au stade. Mais ça ne les empêche pas d’arriver trois-quatre d’heure avant le match pour avoir les meilleures places. Puis je me rappelle que pour l’un des mes premiers matchs, on était en difficulté. Des gars avaient pris alors un coq, ils l’ont égorgé et se sont tous mis pieds nus à barboter dans le sang de l’animal.
Parle-nous un peu de la Ligue irakienne…
Le championnat est en expansion constante. Les Irakiens sont vraiment passionnés par leur championnat. Il y a beaucoup de débats et de sujets autour de l’amélioration des championnats. Il y a pas mal de joueurs expatriés et internationaux qui sont rentrés au pays. À Bassora, il y a un stade de 60 000 stades qui va servir dans un premier temps pour l’équipe nationale, puis Bassora est en train de se construire un stade de 40 000 places qui sera prêt dans 2-3 ans avec les retards. Le haut de tableau a un niveau Ligue 2, le bas, National je dirais.
T’as quelques derbys qui dégénèrent parfois ?
Ouais bien sûr. Je vais te parler de mon derby. Almina contre le Nesfoot Bassora, qui est l’équipe du pétrole du sud. Car, ouais, en Irak, les clubs appartiennent à des grands groupes. Tu peux avoir le club de l’électricité ou celui du pétrole, de la police… Le Nesfoot a, lui, moins de supporters, et à Bassora, on supporte plus Almina. Quelques jours avant le derby, les gens de la ville te mettent une certaine pression. Les supporters sont tendus, ils viennent nous voir à l’hôtel, ils parlent avec nous. Tu sens que c’est chaud. Même quand tu vas au marché, ils t’en parlent. Je n’avais jamais vécu le derby d’une ville. On arrive deux heures avant le match mais eux sont déjà là avec les tambours et tout le tralala. C’est quelque chose que tu veux vivre en tant que footballeur. Moi, je l’ai vécu. Je vis ma vie de footballeur pour vivre ces moments-là. Quand tu sors du tunnel, c’est magique. Je me rappelle d’en avoir joué un. On faisait 3-3 et à la fin, on perd 4-3. Je peux te dire que les jours d’après, c’était difficile. Les gens te regardent derrière leurs journaux et chuchotent : « C’est lui, il a perdu il joue pour Mina » . Sinon, à la télé, les Irakiens adorent regarder le Clásico. C’est une rencontre très populaire là-bas. Car la majorité des locaux supportent ou le Barça ou le Real…
Les matchs de foot européen sont-ils dans l’ensemble diffusés ?
Il y a une passion pour le foot ici, c’est énorme. J’ai même vu un petit avec un maillot de Montpellier. J’ai vu aussi des gens petit à petit porter le maillot du PSG. Le fait que les Qataris aient investi en France, ça les expose davantage. Al Jazeera diffuse pas mal de matchs du championnat français de toute manière.
Pendant ta période en Irak, il y a eu des élections locales. Tu t’es rencardé un peu dessus ?
En Irak, de ce que j’ai compris, on parle beaucoup des Chiites et des Sunnites. Depuis que les États-Unis sont partis, il y a des inégalités. Le Qatar, l’Iran, la Turquie, ne veulent pas qu’il y ait la paix en Irak pour des intérêts économiques. Ils ont intérêt à ce que ce soit la terreur. D’ailleurs, durant ma période là-bas, même s’il n’y a eu que peu d’attentats, les seuls attentats orchestrés n’étaient pas revendiqués. Et bizarrement, ils ont été réguliers en cette période. À mes débuts, je ne me sentais pas en danger. Mais à la fin, c’était venu jusqu’à Bassora. Selon les locaux, les autres pays arabes veulent l’instabilité de l’Irak pour que le pays ne soit pas souverain de ses richesses.
Quel a été le plus grand dépaysement pour toi. Tu communiques comment avec tes coéquipiers et dans ton quotidien ?
C’est surtout la culture islamique, qui découle de la majorité des Chiites, qui sont radicaux. Il faut t’y habituer. De voir les femmes voilées, tout en noir, parfois c’est un petit peu triste. Après, avec mes coéquipiers, ça s’est toujours bien passé. Ils m’ont souvent invité à manger chez eux. On ne se met pas à table, on mange tous par terre. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. C’est comme ça.
Tu ne regrettes donc pas finalement de ne pas avoir réalisé une carrière « banale » en jouant dans quelques clubs européens puis basta ? On pourrait dire que ta carrière est en adéquation avec ta personnalité, non ?
Je suis comme ça, moi. Le foot m’a permis de découvrir le monde à ma manière. Je pense que c’est enrichissant. Aller en Irak, je ne pensais vraiment pas le faire dans ma vie. Si j’étais en France, tu m’aurais dit Chiites et Sunnites, je t’aurais regardé avec des grands yeux. C’est tellement enrichissant de voyager. Être allé en Irak m’a permis de me défaire de mes a priori sur le pays. Car en Irak, il n’y a pas que la guerre, comme les médias voudraient bien nous le faire croire. Les Irakiens souffrent d’ailleurs de ça et aimeraient bien que les Occidentaux viennent davantage. Puis ça m’a permis d’apprendre à parler et écrire l’arabe.
PSG : Laisser l'injustice faire son travail