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« Claude Bez était un personnage hautement cinématographique »

Propos recueillis par Mathias Edwards
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Claude Bez était un personnage hautement cinématographique<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Ce lundi soir, France 3 Aquitaine met à l'honneur Claude Bez, le président qui a mené les Girondins de Bordeaux au sommet, avant de les entraîner dans sa chute. Laurent Tournebise, coréalisateur du documentaire, nous en dit plus sur cet homme hors du commun qui, dix-sept ans après sa disparition, fait encore débat.

Vous n’avez que 34 ans, comment vous est venue l’idée de réaliser un documentaire sur Claude Bez, que vous n’avez que très peu connu de son vivant ?Mon père m’a nourri avec les histoires de ce personnage fascinant. Puis en 2010, lors de la grève des joueurs de l’équipe de France à Knysna, je me suis demandé de qu’aurait fait Claude Bez dans ce genre de situations. Est-ce qu’il serait monté dans le bus ? Donc, sans tomber dans le « c’était mieux avant » , il me paraissait intéressant de revenir sur cette période, quand le football était fait de personnages truculents. Et Laurent Pédebernard, le coréalisateur, a cinquante ans, donc il est en plein dans la « génération Bez » .

Le film a été difficile à monter, financièrement ?Oui, on a eu recours à un crowdfunding en juillet 2015. Il nous a permis de recueillir 5000 euros, avec lesquels on a financé certains déplacements. Ensuite, le nerf de la guerre, c’est de trouver un diffuseur. Dès que vous l’avez, tout le reste suit, même si on a commencé à tourner et à recueillir des témoignages il y a deux ans, en commençant par le regretté Dominique Dropsy.

Quel est le but de ce documentaire ?Nous ne voulions pas faire un film de spécialiste. Le projet, c’est que même les néophytes puissent comprendre l’histoire de Claude Bez, ce personnage haut en couleur, qui aujourd’hui serait complètement anachronique. Il n’y a désormais que Jean-Michel Aulas, dans un style plus édulcoré, qui peut se réclamer un peu de son héritage. Ce film, c’est l’histoire d’un président de club racontée comme un polar, avec l’ascension, la chute, et en toile de fond, les Girondins de Bordeaux et l’évolution du football.

Vous êtes nostalgique de l’ère Bez ?Forcément, même si j’étais dans mes couches-culottes lorsqu’il était président des Girondins. Quand on nous en parle, on évoque l’âge d’or de Bordeaux. Le club était tout en haut, on ne peut qu’être nostalgique. Et puis, il y avait plus d’humanité, les rapports entre les joueurs, la direction, les journalistes et les supporters étaient moins cloisonnés qu’aujourd’hui, même s’il y avait des personnalités fortes, que cela pouvait être violent, et que ce n’était pas le monde des Bisounours. Bez était un personnage hautement cinématographique.

Justement, le film est à la gloire de Claude Bez. C’est un parti pris ?Nous avons été bienveillants à son égard, mais nous n’avons pas éludé sa chute. Et puis, durant son ascension, on voit Bez dire qu’il aime l’argent. Il bénéficie un peu du « syndrome Jacques Chirac » : il dit des choses qui choquent, mais cela passe bien. Sa façon de s’exprimer sans filtre le rend sympathique. Quand il dit qu’affronter Tapie lors d’un débat télévisé serait perdu d’avance parce qu’il est « gros, petit et vilain » , ça le rend sympathique. Après, nous n’éludons pas l’épisode qui le voit frapper des journalistes, mais en l’expliquant. Parce que souvent, ces images sont balancées sans explications. Nous évoquons également le rôle de Jacques Chaban-Delmas, qui, en dehors de son passé de grand résistant, n’a pas fait que des belles choses. C’est un monde cruel, implacable, que Charles Biétry résume bien lorsqu’il dit que « Claude Bez n’a pas réclamé de l’amour, il a réclamé de la puissance » .

Vous avez tout de même choisi d’éluder tout le volet sur les liquidités destinées à « la réception des officiels et des arbitres lors des matchs de Coupe d’Europe » retrouvées dans les livres de comptes des Girondins sous sa présidence… Tout à fait. Notre souci, c’est qu’il fallait qu’on se concentre sur une partie de sa vie. Nous n’évoquons effectivement pas Ljubomir Barin (l’agent croate chargé par Claude Bez de fournir des prostitués aux arbitres, et de faciliter certains transferts en versant aux joueurs des compléments de salaires au noir, entre autres, qui sera pris en tenaille entre Tapie et Bez, et provoquera la chute de ce dernier, ndlr), ni le dernier procès opposant Bez à Chaban-Delmas, qui s’est tenu après la mort de Bez, parce qu’on ne pouvait pas en parler en profondeur. Si l’on se lance dans cette nébuleuse d’affaires, impliquant également Michel Charasse, alors ministre du Budget, il faut en parler de manière précise, et c’est un autre film. En en parlant brièvement, le risque était de faire des erreurs et des contre-sens. Nous nous sommes donc limités à expliquer comment il tombe financièrement, et c’est un choix que nous assumons complètement.

Le film s’intitule Claude Bez, le 13e homme, le 12e homme étant les supporters bordelais. Pourtant, Bez entretenait des rapports houleux avec les ultras, qu’il qualifiait de « bêtes nuisibles » , de « petits terroristes » , de « barjots » , d’ « ivrognes » et de « voyous » , contre lesquels il fallait « mener une chasse impitoyable » … C’est vrai, et ça non plus, on n’a pas pu le mettre dans le film, à cause d’un problème d’écriture. Je ne savais pas comment l’insérer dans mon récit, et encore une fois, c’est un choix que j’assume. Mais on en a discuté avec Thierry Soleau, l’un des fondateurs des Ultramarines, qui est partagé sur la question. Il reconnaît tout le bien que Claude Bez a fait pour les Girondins, tout en reconnaissant que leurs rapports étaient compliqués. En fait, les ultras sont apparus à Bordeaux juste après le drame du Heysel, Bez était persuadé qu’il s’agissait de hooligans.

Qu’est-ce qui vous fascine le plus, chez Claude Bez ?Son côté jusqu’au-boutiste, extrémiste. Il avait une soif de conquêtes, et j’aime les gens entreprenants. Et puis il y a cette gueule, ce côté acteur de cinéma. C’était un visionnaire, même s’il a toujours eu conscience que cette histoire allait mal finir. En préparant le film, on a découvert qu’après son premier titre de champion de France, il ne savait pas s’il allait continuer. Parce qu’il savait que l’argent allait prendre de plus en plus d’importance pour que le club reste compétitif. Il a été pris à son propre piège, en lançant l’escalade financière, grâce aux droits télévisés. Et finalement, c’est lui qui n’a plus pu suivre, face à Tapie ou Lagardère. Ce qui a précipité sa chute.

Comment expliquer qu’hormis pour Lyon, cela s’est mal terminé pour tous les clubs qui ont dominé le foot français, que ce soit Saint-Étienne, Bordeaux ou Marseille ?Thierry Tusseau (international passé par Nantes et Bordeaux, ndlr) me disait que les présidents de ces clubs-là ont été pris de folie pour leurs équipes. Ils se sont sentis au-dessus de tout et se sont coupés des réalités. Ils voulaient tellement que leur club gagne, qu’ils étaient prêts à transgresser certaines règles en se pensant intouchables. Et ils ont tous été soutenus par des hommes politiques.

Claude Bez, le 13e homme, à voir ce lundisoir sur France 3 Aquitaine, après le Grand soir 3.

Si vous n’avez pas l’immense privilège de vivre dans le Sud-Ouest, voici comment regarder France 3 Aquitaine : Canal Sat : canal 352Fransat : canal 303
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