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Clasico : Mais qui es-tu Villarato ?
Avec le 11 septembre, le programme Apollo ou Les Protocoles des Sages de Sion, le Villarato est le complot arbitral le plus répandu dans les cafés et au comptoir des bistrots madrilènes et barcelonais. C’est ce soir ou jamais.
Joan Gaspart a peut-être été l’un des pires présidents du Barça (2000 à 2003). Mais il a surtout été le vice-président du club pendant 22 ans (1978-2000) et bras droit de Josep Lluís Núñez, l’homme qui a changé le cours de l’histoire à Barcelone et fait revenir Cruyff, Maradona, Ronaldo, les titres en Liga et la première Champions en Catalogne. En 25 ans de football, Gaspart a appris à connaître la nature humaine : « Les arbitres sont des êtres humains, des personnes qui veulent se sentir valorisées et appréciées. Ils ne s’achètent pas, ils ne se vendent pas, mais ils peuvent être sensibles à quelques marques de sympathies. Un coup de fil quand un proche est hospitalisé ou, au contraire, quand ils viennent d’avoir un enfant, quand il y a une joie dans leur entourage. Ou alors si vous pouvez résoudre un problème, le transfert d’un proche dans un autre hôpital… Il faut savoir faire des choses comme ça. » L’être humain est une espèce qui se nourrit d’aliments invisibles. La reconnaissance, l’amour et la considération remplissent les cœurs, pas les poches. En Espagne, on aime sa terre et ses traditions. L’État-arbitre est une structure suspecte. Pendant 40 ans, il a été au service d’un régime militaire, partial et réactionnaire. L’arbitre neutre n’existe pas. Bienvenue sur la terre du Villarato.
Aucun avion sur le Pentagone
Le Villarato est une théorie conspirationniste élaborée par Alfredo Relaño, directeur du quotidien madridiste As. Le Villarato – du nom du président de la Fédération espagnole et vice-président de l’UEFA Ángel María Villar – « ce sont des arbitrages qui entendent faire plaisir au pouvoir en place, les arbitres qui grimpent dans la hiérarchie sont ceux qui se trompent dans le sens qui convient » , et le vent, en ce moment, c’est le FC Barcelone qui le souffle : « Joan Laporta a été le principal soutien de Villar lors d’élections très compliquées pour lui (Perez soutenant son rival Gérardo Gonzalez). » En Espagne, le foot, c’est d’abord de la politique. Real et Barça font les rois. En ce moment, l’air du temps est blaugrana. Et ce n’est pas que grâce à La Masia. Alfons Godall, ex-vice-président de Laporta, le reconnaît ouvertement en mars dernier à la Sexta : « Depuis le soutien de Laporta à Villar, le Barça est entré dans une période favorable avec la Fédération et les entités dans lesquelles se cuisine la politique arbitrale. » Ces déclarations mettent le feu. Madrid crie au loup. Barcelone baisse les yeux.
Mais une théorie du complot n’est valable que parce qu’on y croit. Contre le Barça, tout s’explique, et toujours à posteriori : les absences curieuses et excusées de Xavi et Puyol en sélection (amical en Islande en 2006), l’expulsion d’Albiol en Liga contre le Barça en 2011, le but d’Higuaín annulé en demi-finale retour de Champions au Camp Nou, les deux expulsions par Iturralde (la bête noire madrilène) de Van der Vaart et Van Nistelrooy en Supercoupe en 2008 contre Valence, l’expulsion de Pepe sur Alvés en 2011 en Champions. Bien sûr, la paranoïa n’est jamais bonne conseillère. Mieux vaut donc s’arrêter et ne pas regarder l’organigramme de l’UEFA. Angel Maria Villar y est aussi le responsable du comité des arbitres. Le Villarato est partout, même où on ne l’attend plus.
Je suis partout
Mateu Lahoz, arbitre du dernier Séville-Barça, est l’homme en noir préféré de Mourinho. Ce dernier ne cesse d’encenser ses interprétations du règlement. Réputé plus permissif, et moins sensible aux plongeons dans la surface (discipline assez courue en Espagne), Mateu, pour le Mou, c’est un « un excellent arbitre, un peu à la manière du football anglais » . Il y a de quoi. Avec lui, en 14 matchs arbitrés, le Real n’a jamais perdu. Pourtant, ce soir-là, c’est le Barça qui profite de ses largesses (non-expulsion de Busquets, rouge à Medel, main de Thiago non sifflée). Avant le match, la presse catalane s’inquiétait de ce choix. L’admiration de Mourinho ne peut être que suspecte. Pourtant cette fois-ci, l’arbitre originaire de Valence a influé sur le match et plutôt en faveur du Barça. Même Vilanova se pose des questions sur ce revirement. « L’arbitrage de Mateu Lahoz est déconcertant » . À la fin, celui qui en bave, c’est Séville. Michel, coach sévillan et merengue de cœur, ne pleure pas et se contente de poser une question : « Ce soir, je ne parlerai pas de l’arbitrage. Mais c’est l’équipe qui en a profité qui le critique. Curieux, non ? »
En Espagne, il y a toujours une raison d’être pro-Madrid ou pro-Barça. Par tradition, par héritage, par conviction ou par habitude, être merengue ou culé n’a rien à voir avec le football. Du coup, cette opposition structure tout : la répartition des richesses, les horaires de match, le conseil d’administration de la Fédération, la désignation des arbitres, le comité de discipline. Mourinho fait mine de s’interroger l’an passé après sa défaite au Bernabéu : « Pourquoi ? Pourquoi ? Est-ce le pouvoir de M. Villar ? » Mais à vrai dire, rien n’est vraiment nouveau. Pendant des décennies, le Real ne parlait jamais d’arbitrage parce que la tendance était de se tromper plutôt en sa faveur. La proximité des lieux de pouvoir facilitait la circulation. Gaspart se souvient : « À une époque, toute la publicité au Bernabéu était pour Philips. Je crois que beaucoup d’arbitres étaient délégués régionaux de cette entreprise. » Ce qui est nouveau, c’est que le Real de Florentino, monstre financier et modèle de rentabilité économique, a perdu de son pouvoir politique. Ce soir, c’est Carlos Delgado Ferreiro qui a tout à perdre en arbitrant ce match. Jamais international, sa prestation ce soir devrait lui ouvrir ou fermer des portes. Jusqu’à présent, avec lui, le Real a gagné 7 matchs sur les 10 qu’il a arbitrés et le Barça 11 des 14 disputés sous ses yeux. Il a donc le profil parfait pour une bonne engueulade demain matin.
Par Thibaud Leplat