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Clarisse Le Bihan : « Le foot féminin aux États-Unis, c’est un autre monde »
En mars 2022, Clarisse Le Bihan s'est vue offrir l'occasion d'une vie. La joueuse de Montpellier, alors âgée de 27 ans, a été contactée par Angel City FC, la nouvelle franchise de Los Angeles qui compte Natalie Portman parmi ses propriétaires. Clarisse Le Bihan n'a pas hésité et a embrassé son American Dream.
Tu as signé au Angel City FC en mars 2022. Comment se sont faits les premiers contacts ?
Les contacts ont été assez tardifs, et en même temps, ça s’est fait très vite. On a eu des premiers échanges mi-mars et ça s’est fait fin mars. Moi, j’étais en cours de saison avec Montpellier et aux USA, les fenêtres de mercato ne sont pas les mêmes. Moi, je n’avais plus rien à jouer avec Montpellier, Angel City a envoyé une proposition, j’ai vu ça en interne avec le club et le président. Ce n’était pas facile de quitter mon équipe en cours de saison, mais quand cette opportunité s’est présentée, je me suis tout de suite projetée. Ça a toujours été dans un coin de ma tête de jouer aux États-Unis, donc je n’ai pas pu refuser. J’étais heureuse, et en même temps j’ai été propulsée là-bas en seulement quelques jours. Valises, déménagement, et hop, je me suis retrouvée en Californie. (Rires.)
Tu connaissais déjà un peu Los Angeles ?
Pas du tout, je n’étais jamais venue aux États-Unis de ma vie, donc c’était tout nouveau. J’ai débarqué là, j’avais des étoiles dans les yeux forcément. (Rires.) Ici, tout est différent : la façon dont ils traitent les joueuses, les installations, les voyages, les stades… Même le climat est super différent, en décembre il fait 20 degrés plein soleil, ça change !
Qu’est-ce qui t’a le plus changée par rapport à la France ?
Dans ma vie de tous les jours, un peu tout. Ici, tout est grand et démesuré, il faut se déplacer tout le temps en voiture. La façon dont on vit au quotidien est très différente, mais les autres filles de l’équipe m’ont aidée à m’adapter. Sportivement, je dirais l’intensité aux entraînements. Ça, c’est quelque chose qui m’a frappée, vraiment. C’est un peu cliché, mais même un jeu de trois minutes, tu finis cramée. Ce qui diffère, c’est aussi la façon de préparer les matchs, d’analyser les adversaires, d’organiser son pressing, son schéma d’équipe, etc. C’est beaucoup plus poussé que ce qu’on fait en France, je n’avais jamais connu ça auparavant. Enfin, l’engouement dans le stade et autour de l’équipe, avec pas mal de stars qui gravitent autour du club, tu ne verrais jamais ça en France. Nathalie Portman au bord de la pelouse, c’est quand même du délire. (Rires.)
Justement, l’engouement autour du club, tu penses qu’il est dû à ces stars ou au fait que Los Angeles n’avait pas de club jusque-là ?
Je pense que c’est vraiment un mix des deux. « LA », c’est une ville qui est très paillettes, on aime les nouvelles choses, etc. Ce qu’ils ont réussi à faire en si peu de temps avec cette équipe, c’est exceptionnel. L’an passé, pour la première saison du club en championnat, on avait 16 000 abonnés, c’est fou, c’est du jamais-vu. Le nombre de sponsors aussi… La population ici était en demande, et la création du club a répondu à cette demande. Et puis, on est aux États-Unis, donc tout peut aller très vite. Quand ils décident de faire quelque chose, ils le font à 300 %, ils mettent beaucoup de moyens et ça fait la différence.
Hormis Nathalie Portman, tu as croisé d’autres stars depuis ton arrivée ?
Oui, mais sans le savoir ! Deux amies sont venues me rendre visite, on se baladait sur Venice Beach avec des vélos et on voit un attroupement pas loin de la plage. On s’approche, et je vois un mec super blond, habillé en rose, accompagné d’une meuf elle aussi blonde et de nombreuses caméras. Je me suis dit qu’il devait s’agir d’une pub, et donc je suis partie. Le soir, je traîne sur Instagram et je réalise qu’en fait, c’étaient Ryan Gosling et Margot Robbie qui tournaient Barbie, the Movie. (Rires.)
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Raconte-nous tes premiers mois ici.
Je suis arrivée surmotivée, je voulais jouer tout le temps. Mais dans un premier temps, j’ai dû ronger mon frein parce que mes coéquipières sortaient d’une prépa que moi, je n’avais pas faite. Au début, je n’ai pas beaucoup joué, mais j’ai participé à tous les matchs quand même. Je me suis vraiment imposée à partir de la moitié de saison, je dirais. Et après, je voulais jouer tous les matchs, finir tous les matchs. (Rires.) Mon seul regret, c’est que je n’ai pas marqué, et que je n’ai pas fait de passe décisive. Mes contenus de match étaient bons, mais aujourd’hui, les performances passent aussi par des stats. Et d’autant plus aux États-Unis, où on a la culture de la stat avec la NBA.
Tu parlais tout à l’heure de l’intensité des entraînements. En quoi ils diffèrent vraiment de ceux que tu as connus en France ?
Je pense qu’on travaille plus, c’est beaucoup plus athlétique. C’est ça aussi qui fait que le football féminin est beaucoup plus spectaculaire ici, parce qu’il y a moins de calculs et de tactiques. Il y en a, bien sûr, mais c’est beaucoup plus axé sur l’effort physique, sur le fait de se dépasser et de proposer du spectacle aux personnes qui viennent dans les tribunes.
Il y a des joueuses qui t’ont impressionnée particulièrement ici ?
Sincèrement, dans toutes les équipes, il y a des joueuses qui sont impressionnantes. Il y a vraiment un très gros niveau. Autant, c’est vrai que si on ne s’attelle qu’à la tactique et à la technique, on peut parfois être déçus. Mais par contre, il y a des vraies athlètes et des vraies footballeuses. C’est très impressionnant. Moi, dans mon équipe, oui, il y a des joueuses qui, ne serait-ce que par leur carrière, m’ont impressionnée. Je pense à Christen Press ou Sidney Leroux, que j’ai découvertes en arrivant. Je ne regardais pas forcément le championnat américain, donc j’ai découvert énormément de joueuses, chez mes adversaires aussi. Parfois, je joue contre des filles et je me dis : « Ah ouais, c’est qui elle, elle est vraiment hyper forte ? » Et ça change vraiment de ce que je vivais quand je jouais en France. Parce qu’en France, il y a quelques bonnes joueuses, mais dans toutes les équipes, il n’y a pas quatre ou cinq joueuses qui sont au-dessus du lot. Alors qu’ici, oui.
Tu sens que le sport est vécu de manière différente ?
Je dirais que la manière dont ils voient le sport en général est différente. Ils ont une vision qui est plus poussée dans tout ce qu’ils entreprennent. C’est-à-dire que là, ils ont lancé ça, l’élite, la Major Women Soccer League (MWSL), et ils n’ont pas fait les choses à moitié. Ils ont mis l’argent dessus, ils se sont dit : « Ça va être notre produit phare, on va le vendre, on va le développer, on va le structurer. » Et tout le monde travaille dessus, tout le monde tire dans le même sens. Bon, il y a aussi beaucoup d’argent, ça aide, mais il est bien utilisé.
Tu racontais que quand tu étais petite, tu étais la seule fille qui jouait au foot, et tu ne jouais qu’avec des garçons. Aux États-Unis, c’est l’inverse. Il y a souvent plus de petites filles que de petits garçons dans les équipes. Est-ce que ça change quelque chose sur la compétitivité de ce sport ?
Bah, forcément, oui. Déjà, ils ont un pays qui fait la taille d’un continent. Donc il y a une masse de licenciées incroyable. Ensuite, il y a une promotion constante du football féminin, et ça dure depuis des années. Ils ont construit des structures en fonction de ça, et ça a aidé au développement. Après, pourquoi le football séduit plus les filles ici, ça je ne saurais pas le dire. Je pense que c’est culturel, parce que d’autres sports font plus rêver les petits garçons, comme le basket, le baseball, le foot américain…
En France, on réussit à avoir un peu d’engouement autour de l’équipe de France pendant les grandes compétitions, mais la D1 Arkema reste trop peu visible. Qu’est-ce qui manque au foot féminin chez nous ?
Beaucoup de choses. Déjà, le fait que le championnat ne soit pas indépendant de la Fédération et qu’il ne soit pas professionnel. Ça arrivera, mais ça prend du temps, trop de temps. Dans beaucoup d’équipes, il y a des filles qui ont encore un métier à côté… Sur le staff, sur les infrastructures, sur le médical, on est tellement en retard.
Et ici, c’est différent ?
C’est le jour et la nuit. Ici, toutes les joueuses sont professionnelles. Il y a beaucoup de réglementations, c’est très cadré en matière de droits du travail. Sportivement, on va avoir l’instauration de la VAR en championnat, ils ont investi 5 millions de dollars pour mettre ça en place… Quand je suis arrivée, je n’ai rien eu à faire. On m’a fait visiter des appartements, j’ai juste eu à choisir lequel je voulais, ensuite on m’a amené une voiture en bas de chez moi en me disant : « Tiens, c’est ta voiture. » C’est un autre monde. Et pourtant, il y a encore quelques années, le championnat américain était catastrophique, les joueuses étaient payées 100 dollars la semaine… Mais à un moment donné, ils ont décidé de prendre les choses en main, d’investir, et en dix ans, ils ont tout changé. Attention, tout n’est pas rose, il y a notamment eu pas mal de sales histoires qui sont sorties récemment (à propos de harcèlement de la part d’entraîneurs, NDLR), mais par contre, tout le monde tire dans le même sens, il n’y a pas d’omerta sur ces sujets-là, on veut que ça bouge, on veut que ça avance.
Concernant le salaire, là aussi, c’est un autre monde ?
Bien sûr. Là, ils viennent d’instaurer un salaire minimum pour une joueuse de football, c’est 36 000$ par an, donc ça fait 3000$ par mois. C’est un salaire minimum, et ça n’inclut pas les primes que le club peut donner. En France, même en D1, il y a encore des joueuses qui jouent pour rien. Du coup, même pour la progression globale du championnat, c’est compliqué, on ne fait que renforcer les déséquilibres entre les clubs.
Est-ce que pour toi, venir ici, jouer dans un championnat ultracompétitif, c’est aussi un moyen de retrouver l’équipe de France, dont tu n’as plus porté le maillot depuis 2017.
Honnêtement, l’équipe de France restera toujours dans ma tête, parce que je suis une compétitrice et que j’en ai déjà porté les couleurs, mais je ne suis venue là pour reconquérir l’équipe de France. Je suis venue là pour kiffer, pour progresser, pour découvrir un nouveau championnat, un nouveau football. Quand j’étais à Montpellier, je n’ai pas eu la chance de beaucoup disputer la Ligue des champions, donc là c’est mon équivalent de matchs de très haut niveau. Et là, je les vis au quotidien, donc c’est encore mieux.
Tu as suivi, j’imagine, ce qui s’est passé lors des derniers mois avec l’équipe de France féminine, avec la mise à l’écart de Corinne Diacre. Ça t’a surprise ?
Pas vraiment non. J’ai plutôt été surprise par le timing que par le fait que ça arrive. On savait depuis longtemps que les relations étaient tendues, je ne l’ai pas vécu de l’intérieur, mais je le savais. Mais je trouve ça très courageux de la part des filles qui ont osé en parler et faire entendre leur voix. J’ai l’impression que dans le foot féminin, il faut toujours se battre pour arriver à quelque chose, c’est fatigant parfois. Au final, ça a fait bouger les choses et tant mieux. J’espère que cela permettra à tout le monde d’aborder l’été prochain (Coupe du monde 2023 en Australie et Nouvelle-Zélande, NDLR) de manière plus sereine.
Par Eric Maggiori, à Los Angeles. Photos : Berzerker
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