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City-Liverpool ou l’art de la chasse

Par Maxime Brigand
6 minutes
City-Liverpool ou l’art de la chasse

Il y a deux mois, Manchester City perdait la tête de la Premier League après une défaite à Stamford Bridge et laissait alors Liverpool filer tête baissée vers un titre de champion attendu depuis 1990. Puis, les Reds ont commencé à balbutier et ont laissé les hommes de Guardiola revenir à leur hauteur. Ce week-end de Premier League pourrait coûter cher, très cher.

Après la seizième cible, Pep Guardiola et son visage d’entraîneur précocement essoré physiquement avaient prévenu : « Nous ne sommes pas ici pour être invincibles. Nous sommes ici pour être champions. » C’était un soir d’hiver, l’entraîneur de Manchester City venait de connaître sa première défaite de la saison au Bridge (2-0), on le donnait pour mort. Cette nuit-là, Guardiola se mit à rire. « Hier, nous étions les favoris. En vingt-quatre heures, tout a changé. Pourquoi ? » Pour un résultat, un débat perdu, rien de plus. Le Catalan voit le foot ainsi : c’est une conversation, un échange, une confrontation d’idées. Pas un lieu pour hurler, surtout pas. Après avoir laissé Maurizio Sarri, un type avec qui il parle la même langue footballistique, quitter la table avec trois points précieux dans les poches, Guardiola avait alors tenu à laisser une note : « Chelsea a été meilleur que nous sur les dix premières minutes de la seconde période, mais après ça, et au cours de la première période, mon équipe a été fantastique. C’est une grande joie pour moi, en tant qu’entraîneur, de voir mes joueurs jouer ainsi. Nous avons joué haut, récupéré beaucoup de ballons, nous avons bien attaqué, nous nous sommes créé de nombreuses occasions d’ouvrir le score, mais, malheureusement, nous n’y sommes pas parvenus. C’est une bonne leçon. » Tout sauf un drame, donc. Carabine sur le dos, Pep Guardiola était remonté sur les skis avec une conviction : c’est par égoïsme que Manchester City sera champion au printemps.

Course de biathlon

Par égoïsme ? Oui, car voilà son City coincé, cette fois, au milieu d’une bagarre, une lutte où chaque balle éjectée du barillet a un poids considérable. Rien à voir avec la course de l’an passé où, à l’heure de tourner vers le mois de février, Manchester City comptait déjà treize points d’avance sur son premier poursuivant et avait déjà son nom pratiquement gravé sur la couronne. En perdant à Londres face à Chelsea le 8 décembre dernier, les Mancuniens s’étaient alors placés dans une position inhabituelle pour Guardiola : le chassé était devenu le chasseur d’un Liverpool, autoritairement tenu par une défense qui n’avait concédé que huit buts en vingt matchs de championnat, qu’on pensait alors lancé à toute vitesse vers la ligne d’arrivée. Alors ? Alors, parfois, le football prend l’allure d’une course de biathlon : durant les fêtes, City a manqué deux balles (Crystal Palace, Leicester), puis s’est retapé en séchant les Reds sur le premier virage de 2019 avant de fondre pour de bon, malgré une défaite à Newcastle (2-1), sur Liverpool lors des dernières semaines. Mais que s’est-il passé ?

La Premier League a accouché d’une certitude : cette fois, cela va se jouer à la photo-finish et dans les tronches. La psychologie, la résistance, la peur de tout perdre : des thèmes récurrents lorsqu’on évoque le début d’année d’un Liverpool, piqué par les blessures (Lovren, Gómez, Alexander-Arnold), qui s’est récemment fissuré défensivement (sept buts concédés sur les cinq derniers matchs), qui sort de deux nuls consécutifs et dont le jeu s’éparpille depuis quelques semaines. Ainsi, chaque passage sur le pas de tir est une possibilité d’avancer son pion d’une case et de faire reculer celui de l’adversaire d’une autre. Accroché lundi soir à West Ham (1-1), Liverpool se mettait à découvert et mercredi soir, à Everton, Manchester City, qui affiche un match d’avance, n’a pas tremblé (0-2). Bingo : les deux concurrents sont de retour à égalité et City est aux commandes pour la première fois depuis deux mois. Guardiola reprend la parole, on écoute : « Avant de jouer Liverpool il y a un mois, nous aurions pu nous retrouver avec dix points de retard. Il y a quelques jours, nous aurions pu nous retrouver à sept points. Aujourd’hui, nous sommes en tête du championnat. Que faut-il retenir de ça ? La leçon, c’est qu’il ne faut jamais rien lâcher. C’est une leçon pour tous les athlètes : il faut essayer de gagner des matchs, car la vie peut changer en un instant. » Une balle, rien qu’une pourrait suffire.

Limites et compromis

D’où l’égoïsme : si Liverpool, avec un match de plus à jouer, a encore son destin entre les pattes, les Reds font, aujourd’hui, face à un défi qu’ils ne relèveront qu’en se repliant sur leur jeu, leurs convictions, leur modèle. Pas autrement. Les ressources humaines ont des limites. L’envie, principalement. La fatigue, aussi. Poussé sur ce point en début de semaine, Andy Robertson a planté ses yeux dans ceux d’un journaliste : « Notre forme n’a rien à voir avec de la nervosité. On doit simplement retrouver notre jeu. » C’est le seul objectif derrière la réception de Bournemouth, samedi. Vendredi, Klopp n’a pas dit autre chose : « Je ne suis pas nerveux, non. On savait que ce serait une bataille compliquée, et nous y voilà. Soyez prêts, accrochez vos ceintures. » Car dimanche, Manchester City, lui, a une affaire à régler dans son salon, où Chelsea se présentera sur la pointe des pieds. Qu’avait fait Maurizio Sarri, au juste, pour contrarier Guardiola il y a deux mois ? L’Italien ne s’est jamais caché : au Bridge, City avait longtemps imposé son pressing infernal (sans pressing, pas de possession), les joueurs offensifs de Guardiola avaient eu l’occasion de déchirer le script et le mouvement continu était là. Détail important, Sergio Agüero, lui, était absent et si le 4-1-4-1 du coach catalan, animé en pointe par un Sterling en faux neuf, s’était construit de nombreuses situations grâce notamment à la gestion des espaces de Leroy Sané, il avait eu un manque dans la finition, tout en se heurtant en plus à un Azpilicueta monstrueux.

En face, Sarri ne récitait pas son propre texte, c’était autre chose : un Chelsea, lui aussi sans pointe de métier (Hazard), qui n’arrivait pas à presser (la base, pourtant, du football de Sarri), qui voyait Jorginho se faire menotter par Fernandinho, et qui se repliait sur sa surface. Puis, David Luiz avait allumé la lumière d’une transversale avant la pause et les Blues avaient fait glisser City sur ses failles défensives connues (le déséquilibre immédiat une fois le pressing latéral brisé). Dimanche, il faut s’attendre à un autre débat : Agüero sera présent d’un côté, Higuaín est arrivé de l’autre, Aymeric Laporte pourrait être placé à gauche de la défense par Guardiola, De Bruyne sera là et monte en puissance, et il sera intéressant de voir si Sarri voudra, coûte que coûte, imposer un football sur lequel il ne veut pas faire le moindre compromis, ce qui pourrait lui coûter cher contre ce City-là. Cette rencontre est surtout « une finale » dans la bouche de Guardiola, une balle qui comptera double avant les deux prochains déplacements de Liverpool (Manchester United, Everton). À vos nerfs, prêts.

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