- Enquête
- Les têtes en l'air
- SO FOOT #173
Cinq joueurs qui n’auraient pas dû revenir sur le terrain après une commotion cérébrale
Des scientifiques le prouvent : les anciens footballeurs ont plus de chances de souffrir de maladies neurodégénératives que leurs semblables. Est-ce dû à la multiplication des têtes ? À l'imprudence des acteurs du foot vis-à-vis des commotions cérébrales ? Le football doit-il faire évoluer ses règles pour éviter un drame ? Un protocole censé détecter les commotions est rediscuté tous les quatre ans aux réunions internationales et intersports dans lesquelles s’implique la FIFA depuis novembre 2001. Et pourtant, depuis cette date...
#1 - Teddy Richert
Sochaux-OM (2-1), Ligue 1, 27 octobre 2007
Il y a penalty pour l’OM, mais la lumière s’est éteinte chez Teddy Richert. Médecin du FC Sochaux pendant quatorze ans, Philippe Pasquier se souvient de cette action qui s’est déroulée lors d’un match de championnat, à Bonal, à l’automne 2007. « Teddy avait perdu connaissance, et moi, j’engueule l’arbitre parce que c’est Niang qui le décalque dans la surface. » À l’époque, le protocole qui permet de détecter une commotion cérébrale n’existe pas, mais le médecin n’a pas besoin de faire une batterie de tests pour établir son diagnostic : le joueur a perdu connaissance, son match doit s’arrêter pour le protéger d’un éventuel nouveau choc. Sauf que sur le moment, l’autorité médicale ne suffit pas. « Il se réveille, se relève, je lui dis : « Non, Teddy, tu sors », rejoue le Dr Pasquier. Mais il retourne dans ses buts : « Pas question. » Et il arrête le penalty de Djibril Cissé. »
#2 - Hugo Lloris
Everton-Tottenham (0-0), Premier League, 3 novembre 2013
Un bus. Voilà ce qu’a pris Hugo Lloris dans la poire ce jour-là, à Goodison Park. À la 77e minute du match entre Everton et Tottenham, le gardien des Spurs sort à la rencontre du massif Romelu Lukaku lancé pleine balle, et se prend son genou dans la tête. Le dernier rempart relâche la balle et reste inerte, le nez planté dans le gazon. Il est K.O. Preuve de la violence du choc, le Belge se fait poser de la glace sur le genou. La civière est déployée, le numéro 2 Brad Friedel est prêt à entrer, mais Lloris, après un bref échange avec le doc et ses coéquipiers, reste sur le terrain. Cinq minutes après le choc, le match reprend sur une remise en jeu de… Hugo Lloris. Encore une fois, le joueur a pris la décision de continuer à jouer alors qu’il n’était pas lucide sur son état de santé.
#3 - Christoph Kramer
Allemagne-Argentine (1-0 a.p.), finale de la Coupe du monde, 13 juillet 2014
Plus d’un milliard de personnes viennent de voir Gonzalo Higuaín faire trembler les ficelles du Maracanã, avant que l’arbitre assistant ne lève son drapeau. On joue la 30e minute de la finale de la Coupe du monde 2014 entre l’Allemagne et l’Argentine. De l’autre côté du terrain, Christoph Kramer quitte la pelouse dans l’indifférence générale. Soutenu par les soigneurs, le regard flou, il est remplacé par André Schürrle. Pour comprendre, il faut rembobiner à la 17e minute de jeu, au moment où Kramer se prend un violent coup d’épaule d’Ezequiel Garay dans la surface allemande. Sur le ralenti, on voit la tête de l’Allemand vriller comme sur un ring de boxe. La suite, donc, c’est un but refusé à Higuaín, Kramer qui sort pendant ce temps, puis un peu plus tard dans la nuit de Rio, Mario Götze qui donne la victoire à l’Allemagne en prolongation. Mais qui se souvient aujourd’hui que Christoph Kramer a joué 30 minutes d’une finale de Coupe du monde ? Même pas lui. « Je n’ai aucun souvenir de la première période » , a expliqué à Die Welt celui qui garde un trou noir du plus grand match de sa carrière.
#4 - Nordin Amrabat
Maroc-Iran (0-1), Coupe du monde, 15 juin 2018 // Portugal-Maroc (1-0), Coupe du monde, 20 juin 2018
« Amrabat est un guerrier. Il voulait jouer, il avait cette protection qu’il a enlevée pendant la rencontre, son esprit est incroyable et je suis heureux d’avoir un tel joueur. » Là où le sélectionneur Hervé Renard voit du courage dans le comportement de Nordin Amrabat, il y a surtout un risque pris par le staff du Maroc pour la santé du joueur. Car cinq jours avant ce match face au Portugal que le milieu a commencé avec un casque, l’homme s’était effondré le long de la ligne de touche après un duel à l’épaule contre un Iranien. Tombé inconscient, le joueur de Feyenoord se fait réveiller par les baffes de son médecin. Un traitement qui n’est pas compris dans le protocole de prise en charge des commotions cérébrales mis en place par la FIFA. Après ce choc, Amrabat quitte la pelouse, avant d’être placé en observation une nuit à l’hôpital de Saint-Pétersbourg. Pour le docteur Abderazak El Hifti, les recommandations ont été respectées « point par point » . En réalité, selon le protocole, le joueur aurait dû rester au repos pendant au minimum huit jours et donc déclarer forfait pour le match suivant face au Portugal.
A #WorldCup2018 #concussion disaster already???Morocco player is knocked out & the medic SLAPS HIM IN THE FACE to try to revive him & keep him playing!!!Looks like we have work to do. #FixFIFA pic.twitter.com/UFNFlwCQ52
— Chris Nowinski, Ph.D. (@ChrisNowinski1) June 15, 2018
#5 - Jan Vertonghen
Tottenham-Ajax (0-1), Ligue des champions, 30 avril 2019
En ce printemps 2019, l’Europe est encore sous le charme de l’Ajax. Mais pour Jan Vertonghen, les retrouvailles avec son ancien club en demi-finale aller de la C1 se sont faites de manière plus violente. À la demi-heure de jeu, sur un coup franc pour les Spurs, le défenseur belge se prend simultanément les poings d’André Onana et le crâne de son coéquipier Toby Alderweireld. Le double choc est rude et le laisse allongé en croix sur le terrain, le visage ensanglanté. Les soigneurs arrivent à le relever, lui filent un short immaculé et demandent au joueur s’il peut reprendre. Six minutes après l’action, celui-ci revient sur le terrain. Et c’est seulement quelques secondes plus tard, alors qu’il a repris le jeu, que le Diable rouge lève le bras, se dirige vers son banc et abdique. Pris de vertiges, la bave aux lèvres et soutenu par les docs, il est enfin raccompagné aux vestiaires. « Je n’ai pas été impliqué dans le processus, soulignait alors Mauricio Pochettino pour éteindre la polémique. C’était la décision du médecin, qui a suivi les règles et le protocole. »
Par Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par FL et MR.