- Euro 2016 – Qualifications zone Europe – Groupe B – Andorre/Chypre
Chypre Chypre, hourra !
L'île de Chypre, coupée en deux entités depuis plus de trente ans, pourrait à moyen terme redevenir un seul et même pays. Les signes d'une réunification prochaine se multiplient ces derniers temps, et c'est le football qui montre l'exemple, avec des discussions avancées entre les deux fédérations pour dessiner les contours d'une entente cordiale et apaisée. La diplomatie du football pourrait bien encore frapper.
Ce vendredi soir à 20h45, Andorre et Chypre s’affrontent, pour le compte des éliminatoires de l’Euro. C’est loin d’être le match le plus sexy de la soirée, mais il peut permettre aux visiteurs, en cas de victoire, de revenir dans la course à la qualification, dans un groupe B actuellement dominé par la Belgique, le pays de Galles et Israël. Chypre arrive juste derrière, avec une folle envie d’enfin participer à une phase finale d’une grande compétition. Une tâche difficile, mais pas impossible dans un groupe particulièrement ouvert. Tout un pays est derrière sa sélection. Toute une île, même ? Pas exactement. L’histoire récente de Chypre est complexe. Pour faire vite, cette ancienne colonie britannique a assez mal vécu les années d’après son indépendance, survenue en 1960. Les tensions politiques et religieuses entre Chypriotes grecs et turcs ont atteint un point de non retour lors du coup d’État de 1974 par des nationalistes chypriotes grecs, soutenus par la dictature grecque de l’époque, souhaitant le rattachement de l’île avec la Grèce. Dans la foulée, la Turquie organise une opération militaire sur place et décide d’occuper le Nord de l’île, une partie qui déclare son indépendance près de dix ans plus tard, le 15 novembre 1983. En pratique, Chypre est depuis séparée en deux entités avec une frontière les délimitant, la ligne verte. En théorie pourtant, seule la République de Chypre est reconnue par les instances internationales, tandis que le République turque de Chypre du Nord (RTNC) n’est, elle, reconnue que par la Turquie, qui la soutient économiquement, financièrement ou encore diplomatiquement.
Chypre du Nord, comme Zanzibar ou le Darfour
Et niveau football alors, qu’en est-il ? En fait, le football chypriote s’est scindé en deux avant même la séparation politique des deux territoires, dès 1955. La cause : dès l’époque des Britanniques, il y avait des tensions entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs, à tel point qu’une scission avait eu lieu au sein de la Fédération chypriote de football, avec la création d’une seconde instance, la Fédération chypriote turque de football. Comme sur le plan diplomatique, seule la première est reconnue internationalement par la FIFA et l’UEFA. Par conséquent, quand on parle aujourd’hui de football chypriote, on ne parle que du Sud de l’île, sa partie officielle. En Chypre du Nord, on y joue pourtant aussi, mais en vase clos. Le championnat local n’offre aucune place pour participer aux compétitions continentales et la sélection de Chypre du Nord ne peut jouer que des matchs non officiels, organisés notamment par la NF Board, qui réunit l’ensemble des entités non reconnues par la FIFA, comme le Tibet, le Zanzibar, le Kurdistan, le Darfour ou le Somaliland.
Mais si le football en Chypre a été pionnier en matière de tensions et d’une inéluctable scission, il pourrait aussi l’être quant à une possible réunification des deux entités. En effet, les deux fédérations, autrefois ennemies et ne communiquant plus, ont aujourd’hui repris le dialogue par le biais des présidents Costakis Koutskoumnis, de la fédé chypriote, et Hasan Sertoğlu, de la fédé chypriote turque. Ces deux-là veulent mettre fin à la situation ubuesque qui perdure depuis trop longtemps sur l’île et ont décidé d’avancer vers un rapprochement. Cela dit, c’est clairement la Fédération chypriote turque qui pousse le plus fort, lassée qu’elle est de son isolationnisme qui tue tout espoir de carrière pour ses jeunes talents.
Libre circulation des joueurs entre les deux entités
Petit à petit, les choses évoluent positivement et la Fédération chypriote turque devrait très prochainement être reconnue en tant que membre associé par la Fédération chypriote, ce qui devrait faciliter les échanges entre clubs. Les joueurs chypriotes – du Sud de l’île donc – sont déjà depuis peu autorisés à aller évoluer au Nord, ce que deux d’entre eux ont fait (non sans tension, on ne change pas les mentalités si facilement…). Si la fusion des deux fédérations, avec la possible création d’une sélection commune, n’est pas encore à l’ordre du jour, ce n’est désormais plus inenvisageable. Surtout, ces efforts des instances du football semblent inspirer les autres institutions des deux entités. Les deux chambres du commerce se sont remises à dialoguer et à échanger, ainsi que les dignitaires religieux, orthodoxes et musulmans. Tout récemment, le nouveau président élu en Chypre du Nord, un militant pro-réconciliation, a rencontré son homologue du Sud pour reprendre des discussions interrompues il y a plus de dix ans, après l’échec d’un référendum sur la question de la réunification (le « oui » l’avait emporté au Nord, pas au Sud). La principale raison de ce retour à la table des négociations ? Très certainement les difficultés économiques actuelles de l’île, avec un conflit qui entrave l’exploitation de richesses gazières récemment découvertes au large. On n’a rien sans rien…
Par Régis Delanoë