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Christopher Martins, le grand oral
Porté par ses dix-sept sélections internationales à vingt ans et cadre du Luxembourg, Christopher Martins n'a pourtant joué aucun match professionnel en club depuis le début de sa carrière. Pourquoi ? Comment ? Portrait d'un talent au caractère affirmé, cantonné à la réserve de l'OL et qui a hâte de profiter de la fenêtre que lui offre la réception de l'équipe de France samedi.
Cela aurait pu être un déplacement comme un autre, une nuit comme les autres, un match comme les autres. Pour beaucoup, le Biélorussie-Luxembourg disputé le 10 octobre dernier à Borisov n’aura été qu’une ligne rapidement lue sur un fil déroulant les résultats d’une nouvelle journée comptant pour la phase de qualification à la Coupe du monde 2018. Un nul (1-1) dans un froid glacial, le Luxembourg s’en contentera, surtout au regard d’un scénario compliqué et de la pression totale imposée par la Biélorussie pendant toute la rencontre. Finalement, le résultat importe peu. Durant la rencontre, l’esprit de Luc Holtz est ailleurs. La faute à un homme sorti sur une civière en fin de première période dans un sale état. Le sélectionneur luxembourgeois a laissé filer son défenseur Christopher Martins la gueule en vrac tout simplement parce qu’il ne pouvait rien y faire. Dans ce genre de moments, on ne peut qu’attendre et constater ensuite les dégâts. Verdict : un arrachement de la gencive, trois dents touchées et un appareil posé pendant six semaines.
Cinq mois plus tard, l’espoir de vingt piges porte toujours une protection. Son voyage à Borisov, Martins l’aura terminé dans un hôpital de Minsk. « De temps en temps, j’ai encore un peu mal. Ça me lance. Tout le boulot a été fait par les médecins à Minsk, qui m’ont redressé les dents et mis une protection. Au Luxembourg, ils ont juste vérifié que là-bas, ils avaient fait un bon boulot, détaille-t-il aujourd’hui. On m’avait parlé de six ou sept semaines. Je venais de reprendre la course et je sentais bien qu’avec les chocs, j’avais des coups d’électricité dans la gencive. » Finalement, sur décision des médecins de l’Olympique lyonnais, son retour à la compétition sera un peu plus long. Mais samedi soir, au stade Josy-Barthel de Luxembourg, le bonhomme sera debout pour défier les Bleus. La France, un pays qu’il a rejoint il y a maintenant quatre ans et où il attend encore de pouvoir pleinement exploser. Son objectif du soir sera donc simple : « Il va falloir que je renvoie une bonne image. Ça commence par bien défendre, être propre, récupérer des ballons. Ce sera une superbe vitrine pour moi, un match diffusé et regardé dans toute la France. C’est le moment, un moyen de se montrer. »
« Ce n’était pas le bon moment »
L’histoire de Christopher Martins est avant tout celle d’une prise de tête et d’un caractère. « Un bon et un mauvais caractère à la fois » , comme l’explique le directeur du centre de formation de l’OL, Stéphane Roche. Comment le gamin de Luxembourg s’est-il retrouvé à Lyon ? Au bout d’une route bordélique, déjà. Interrogé par Foot Mercato il y a quelques semaines, Martins racontait ce voyage : « J’ai commencé le foot dans le club de mon village, puis en U13, j’ai rejoint Metz. J’y ai fait une saison, et ils ne m’ont pas conservé. Je suis donc rentré au Luxembourg, dans le club de la capitale, le Racing FC Union Luxembourg. Et puis, durant un tournoi de qualification pour l’Euro avec les moins de dix-neuf ans du Luxembourg, j’étais surclassé, et j’ai été repéré par les recruteurs de l’OL. Je suis donc venu à Lyon faire quelques entraînements, ils ont bien aimé, et je suis arrivé en U17. » Simple, pas forcément, car si le jeune défenseur n’a pas été retenu par le FC Metz, c’est pour un mixe entre sportif, mais surtout comportemental.
Problème, le gamin a du talent, ce truc en plus qui fait que le Luxembourg a souhaité le sécuriser rapidement. Au point de le convoquer chez les grands en mars 2013 pour un match qualificatif à la Coupe du monde 2014 contre l’Azerbaïdjan. Son âge ? Seize ans, depuis seulement quelques semaines. Tête baissée, Christopher Martins débarque au rassemblement, mais repartira quelques heures avant ce qui aurait dû être sa première sélection. La raison est simple : « Ce n’était pas le bon moment. Je ne me sentais pas prêt pour le niveau international.(…)Précipiter les choses, parfois, ça ne sert à rien. À ce moment-là, je n’avais même pas encore commencé à jouer avec l’équipe première du Racing, alors franchement… Quand je me suis senti prêt au niveau du foot, j’en ai discuté avec Luc Holtz et il m’a sélectionné.(…)Je n’ai pas fugué de l’hôtel comme ça avait pu être écrit. » La première cape, ce sera finalement en septembre 2014 contre la Biélorussie (1-1), histoire d’écarter définitivement les rumeurs qui l’envoyaient défendre les couleurs du Cap-Vert, le pays d’origine de ses parents.
Les retards et la logique
La pression de l’attente a toujours accompagné Christopher Martins. Un poids ? Oui, forcément, surtout quand chaque geste est analysé, jugé et décrypté. « Je lisais tout ce qui s’écrivait, hein, mais je ne prenais pas tout à cœur. Je n’ai jamais pris ça mal, ça ne m’a pas mis en colère, rendu triste ou quoi que ce soit.(…)Ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on n’a pas le droit de réfléchir.(…)Si je suis à Lyon aujourd’hui, c’est grâce au Luxembourg, parce que j’ai pu faire des matchs avec les sélections jeunes qui m’ont permis de me faire repérer. D’ailleurs, je remercie mon pays pour ça. Après tout ce que Luc Holtz et Reinhold Breu ont fait pour moi, jouer pour le Luxembourg, c’était logique en fait. » Reste plusieurs questions autour du jeune pari fait par l’OL : pourquoi tant de silence autour de son cas ? Pourquoi aucune apparition dans le groupe pro à vingt ans alors qu’il est international ? Pourquoi avoir refusé de le prêter cet hiver alors que tout semblait ficelé ? Lui affirme prendre « les choses comme elles viennent » et espérer « jouer en Ligue 1 » . Son problème principal serait la régularité, mais aussi une grosse concurrence à son poste en club : milieu défensif. « Je ne suis pas à la recherche d’un match référence, mais de plusieurs. Faire un bon match, ça ne suffit pas. » Il y a quelques années, Christopher Martins avait été renvoyé chez lui avant un match amical contre la Turquie pour des retards cumulés. De l’immaturité et de l’insouciance. Du côté de l’OL, son attitude lui a souvent été reprochée aussi, ce qui explique son décollage retardé.
Luc Holtz, lui, est clair : « Il a les qualités pour jouer dès maintenant en Ligue 1. Il mesure 1m90, il va vite sur les premiers mètres et sur les longues distances, il est techniquement adroit et fort dans les duels.(…)Après, c’est plus facile de mettre sur la feuille de match un gros salaire ou un mec expérimenté qu’un Christopher Martins…(…)Mais, beaucoup de jeunes tremblent quand ils sont confrontés à la pression d’un match international. Lui, jamais. » C’est là où il sera attendu contre l’équipe de France samedi soir, histoire de prouver qu’en club, il peut aussi foutre le bordel dans les plans de Bruno Génésio. « Je ne calcule rien. Jouer, ça me suffirait » , coupe Martins, qui a déjà participé à plusieurs séances avec l’équipe première de l’OL, notamment avec Alexandre Lacazette et Nabil Fekir, tous les deux absents de l’actuel groupe France. « Dans le foot, il n’y a parfois pas de logique. Ce n’est pas que je ne comprends pas, vu la qualité des autres joueurs de cette sélection française, mais ils mériteraient largement d’y être. Tous les deux, ils sont impressionnants ! Il faut être à 200% de ses capacités pour espérer toucher le ballon quand on se retrouve en face d’eux. J’ai bien dit toucher hein, même pas le récupérer. » Pas de logique, comme être international titulaire et espoir ralenti en permanence dans son club. Le voilà face à un nouvel examen.
Par Maxime Brigand
Tous propos tirés du quotidien luxembourgeois Le Quotidien.