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Christopher Maboulou, disparition d’un héros
Ancien joueur de Châteauroux, Bastia, Nancy et Thonon-Évian, Christopher Maboulou est décédé dimanche à l'âge de 30 ans, laissant derrière lui l'image d'un type introverti, mais talentueux, capable de marquer un but de la main sans se faire prendre à Caen comme de sortir un match héroïque face à l'OM de Bielsa. Ceux qui l'ont connu se souviennent.
C’était l’été 2014, une nuit d’août, un soir de reprise et de premières. Marcelo Bielsa venait d’arriver en France et, en guise de mise en bouche, se retrouvait balancé au milieu d’un film : Furiani, une foule en short et en claquettes, une température étouffante, des embouteillages à gogo, des touristes qui se mêlent aux fidèles du Sporting Club de Bastia pour voir du spectacle et s’amuser du folklore. Sur le banc d’en face, Claude Makélélé vivait aussi sa première soirée d’entraîneur numéro un en Ligue 1. Brandão, lui, était en pointe et marchait doucement, avec le dos voûté, lourd comme un troll. Le Sporting était remonté dans l’élite deux saisons plus tôt et avait déjà connu de belles soirées. Mais ce 9 août 2014 avait le goût exaltant de pourquoi on veut que son club soit en première division, parce que Bielsa, et parce que l’OM avait dans son onze des profils à exciter le supporter bastiais. Sur l’aile droite, un ancien de la maison, dont les locaux n’aimaient ni l’allure ni la coupe de cheveux et qui s’est retrouvé récemment a muso doro avec Yannick Cahuzac : un certain Florian Thauvin. Sur la gauche, un corse impinzutitu, qui avait planté quelques buts face au SCB en Ligue 2 : Romain Alessandrini. Puis, devant, André-Pierre Gignac. Bastia, de son côté, présentait quelques recrues : un gardien prometteur dans les cages, Alphonse Areola, un milieu belge bosseur, Guillaume Gillet, et un garçon inconnu, au nom vaguement rigolo, qui allait alors faire germer des blagues plus ou moins drôles en tribunes, un certain Christopher Maboulou. Maboulou : un grand type allongé, arrivé libre de Châteauroux, dont la majorité des gens ne connaissait pas grand-chose, si ce n’est rien du tout. Un type qui s’est taillé un nom et a fermé des bouches en seulement neuf minutes.
À plus de 1000 kilomètres de Furiani, un groupe de potes était alors réuni dans un appartement des Bosquets, à Montfermeil. L’un d’entre eux, Demba, supporter de l’OM, avait envoyé un texto plus tôt dans la soirée à son ami Christopher. Réponse de ce dernier à quelques minutes d’entrer sur la pelouse : « Ce soir, je ne marquerai pas un but, mais deux ou trois. Mdr. » Tout sauf une vanne. Action : Christopher Maboulou va d’abord surgir après un ballon récupéré haut par Guillaume Gillet et profiter d’une boulette de Stéphane Sparagna pour lâcher un lob délicieux sur Steve Mandanda. Puis, alors que le Sporting est mené 1-3 et que les habitués de Furiani commencent déjà à se projeter sur une énième saison galère, Maboulou s’appuie sur Benjamin Mendy et gratte un penalty, transformé par Junior Tallo, à vingt-cinq minutes de la fin. Encore ? Oui, encore : sept minutes plus tard, l’ancien joueur de la Berrichonne va profiter d’une énorme séquence défensive gag de l’OM pour s’offrir un doublé et faire exploser son nouveau salon. Difficile de faire plus fracassant. Ce soir d’août 2014, la performance de Christopher Maboulou a surtout provoqué deux explosions : une à Furiani, une à Montfermeil. « Quand on l’a vu mettre son doublé, tout le monde a pété les plombs, sourit aujourd’hui Demba. Il n’y a pas une seule personne à Montfermeil qui n’en a pas parlé. Mais lui, face à ça, il était comme d’habitude : très calme. Il disait simplement que marquer des buts était son travail. » Marquer des buts : voilà aussi pourquoi Christopher Maboulou, sans contrat depuis son départ il y a quelques mois de Thonon-Évian, se rendait chaque dimanche au milieu du quartier des Bosquets depuis quelques semaines, afin de disputer « les championnats du bois » , un tournoi entre potes du coin. Demba : « Je l’ai encore vu il y a trois ou quatre jours. Il s’entretenait. Le foot restait sa passion. Il ne cherchait pas à être une star. Christopher était même l’anti-star. Il était comme tout le monde… » Dimanche, son cœur s’est arrêté, brutalement, à trente ans, au milieu de son quartier, sur un terrain en sable, lors d’un match entre copains.
« C’était l’un des nôtres »
Au départ, il y avait déjà les copains, ces mecs avec qui il s’est construit et qu’il n’a jamais laissé de côté. Né à Montfermeil, Christopher Maboulou, « un mec fidèle et sentimental », revenait souvent dans le coin, où sa famille vit encore aujourd’hui. Lui avait quitté la Seine-Saint-Denis à la fin des années 2000 pour rejoindre Châteauroux, où il a débuté chez les pros en avril 2010 en remplacement de Rudy Haddad. « Christopher était un régal, remet Jean-Pierre Papin, qui l’a lancé chez les grands à la Berri. Je garde le souvenir d’un garçon très motivé, très respectueux, très malléable. Pour un coach, c’est du bonheur. Il arrivait le matin avec la banane, il avait toujours le sourire, il comprenait très vite… » Historique de la formation castelroussine, Dominique Bougras évoque aussi un gamin « discret, sauf quand il avait le ballon. Il y avait le Christopher de la vie de tous les jours et le footballeur. Il pouvait être surprenant. Il était surtout content de jouer au football et était capable de vous faire des trucs inimaginables. Après, pour entendre le son de sa voix, il fallait tendre l’oreille et presque payer. C’était un grand affectif. » Capitaine de la Berrichonne à l’époque, Julien Cordonnier ne dit pas autre chose : « Il faisait partie de la clique des jeunes avec Amara Baby, Tongo Doumbia, Mana Dembélé… Christopher, c’était le petit insouciant, avec une personnalité assez atypique. C’était un bon garçon, il avait besoin d’être guidé et on voulait l’aider. Il a apporté une certaine fraîcheur, une envie de réussir. C’était l’un des nôtres, un petit de la famille Berrichonne. » Après son décollage, Maboulou a malgré tout été arrêté dans son élan lors de l’été 2011 au cours d’un stage de préparation à Vichy, lors duquel un problème cardiaque lui a été décelé. Après examen de son cas par plusieurs experts convoqués par la FFF, une décision tombe : Christopher Maboulou est jugé inapte à la pratique du football et retourne s’installer chez ses parents à Montfermeil.
« Christopher ne se lamentait jamais sur ce qui lui arrivait, pose Demba, l’ami d’enfance devenu rappeur. Il n’exprimait aucun malaise. Il est revenu comme un enfant de la ville, ne donnait aucune interview. Il voulait juste vivre sa vie et, si possible, rejouer au foot. » Ce qu’il a finalement réussi à faire après un paquet de tests médicaux et physiques. « Après son accident cardiaque, il avait décidé de changer d’agent, resitue Serge Marchetti, actuel secrétaire général du Stade lavallois, qui avait tenté de recruter Maboulou l’an passé en Mayenne et qui a connu le joueur à Châteauroux lorsqu’il était directeur sportif dans le Berry. Et un jour, j’ai reçu un appel pour me dire qu’il pouvait reprendre le football. Je l’avais eu régulièrement au téléphone pendant deux ans et j’ai ensuite fait le nécessaire pour qu’il revienne au club. Il avait 24 ans, du talent.. » Maboulou est alors revenu dans le circuit avec Châteauroux, où il a signé pour un an, son dossier médical ne lui permettant pas de signer un contrat d’une durée plus importante. Résultat, le natif des Bosquets a sorti une grosse saison et a même offert un moment d’anthologie à la Ligue 2 en inscrivant un but décisif de la main sur la pelouse de Caen en mars 2014. Derrière, Christopher Maboulou sera pris en grippe, allumé dans les stades et s’excusera de son geste, notamment dans les colonnes du Parisien : « Je me sens con. Je suis déçu de mon comportement. D’abord, parce que j’ai eu ce mauvais réflexe de mettre la main sur le coup franc, puis parce que je n’ai pas eu le courage de me dénoncer auprès de l’arbitre. Ce n’est pas digne d’un joueur professionnel. »
La vérité est surtout qu’avec dix buts, trois passes décisives, et malgré la relégation en National de la Berrichonne (finalement repêchée après l’épisode Luzenac), Maboulou s’est offert un aller simple pour la Ligue 1. « C’est grâce à son mental qu’il a pu en arriver là, glisse Vincent Fernandez, son ancien coéquipier à Châteauroux. Surtout, il avait un talent assez extraordinaire. Son problème cardiaque avait refroidi pas mal de clubs, mais il était pétri de qualités parce qu’il était capable de tout. » Notamment de cueillir à froid l’OM de Marcelo Bielsa.
« Ça met une tarte »
À Bastia, Christopher Maboulou va surtout retrouver celui qui l’a suivi tout au long de sa carrière : Didier Tholot, nommé adjoint de Makélélé en Corse et qui a connu le joueur à Châteauroux, puis ensuite à Nancy (2018-2019). « Au départ, il m’en avait un peu voulu parce que j’ai été d’abord celui qui a stoppé sa carrière en préférant le faire sortir de l’entraînement lorsqu’il a eu son problème à Châteauroux, décrypte l’actuel entraîneur de Pau. Finalement, il est revenu en pleine forme à la Berrichonne et j’ai essayé de l’emmener un peu partout. Ça n’a pas toujours été productif, mais pour moi, c’était un talent mal exploité parce qu’il était assez introverti. Avec Christopher, il y avait des paramètres qui allaient bien au-delà de ses qualités pures, parce qu’il avait ces qualités : il était puissant, il savait éliminer, il réfléchissait vite… Il aurait dû faire une autre carrière, mais il n’a pas réussi à passer le cap. Maintenant, il savait qu’il pouvait m’appeler quand il voulait, il y avait un lien naturel parce que je savais comment le prendre. »
Sous les couleurs du Sporting, où Maboulou a évolué durant deux saisons, il y a donc eu ce match face à l’OM, puis ensuite malheureusement pas grand-chose. Yannick Cahuzac se souvient quand même : « C’était quelqu’un de très réservé, mais très gentil. Face à l’OM, il avait été énorme. Je me souviens de ce but dantesque, où il se positionne d’une façon où je me demande ce qu’il est en train de faire, puis où il sort cette frappe magnifique qui fait exploser le stade. C’étaient ses premières minutes en Ligue 1. Il nous a surpris, mais c’était quelqu’un de puissant, dur à bouger. C’était des débuts rêvés pour lui. Il est finalement décédé six ans jour pour jour après le 4-2 face au PSG. » La suite sera faite d’une blessure, d’une petite quinzaine de titularisations en deux ans et de patience non récompensée derrière Brandão, Axel Ngando, Florian Raspentino et Julien Romain. Puis, il y a eu un passage au PAS Giannina (Grèce), à Nancy et à Thonon-Évian. Jusqu’à ce drame qui a laissé ses anciens coéquipiers et entraîneurs sous le choc. « Sur le coup, je n’ai pas voulu y croire, donc j’ai appelé Manu Imorou pour avoir une confirmation, explique Romain Grange, qui a débuté chez les pros à Châteauroux en même temps que Maboulou. Chris, c’était le sourire, la bonne ambiance, un mec agréable, un grand talent… Ça met une tarte. » Didier Tholot évoque lui aussi « ce coup de massue » alors que depuis dimanche après-midi, la famille et les proches du joueur se réunissent à l’espace jeunesse des Bosquets pour se recueillir. « Les gens pensent qu’il était bon, mais il était bien plus que ça, lâche Demba. Il pouvait donner ses habits, alors qu’il n’avait aucun vêtement. Il pensait toujours aux autres. La ville est éteinte depuis hier. Tout le monde est sous le choc. Il y a encore quelques semaines, il était chez moi, je lui faisais écouter mon nouveau projet, il riait, il dansait, il me disait de ne jamais lâcher… » Puis, tout s’est arrêté, le même jour que Georges Pernoud, un autre expert du temps qui s’arrête.
Par Maxime Brigand, avec Thomas Andrei
Tous propos recueillis par MB et TA.