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Christophe Pélissier : « Si j’étais le sélectionneur d’une autre équipe, je serais inquiet »
La France a tapé fort pour son premier match de l'Euro, avec une victoire maîtrisée contre l'Allemagne à Munich. Christophe Pélissier, l'entraîneur de Lorient, qui sera notre consultant pendant l'Euro, nous livre son analyse sur cette masterclass de Didier Deschamps et ses hommes.
À la fin du match, Joachim Löw avait l’air frustré et impuissant. On peut comparer ce match à une partie d’échecs remportée par Didier Deschamps ?Didier Deschamps a remporté le match tactique, c’est indéniable. Quand on est capable collectivement de mettre autant de valeur dans tout ce que l’on fait, d’être solidaires, d’offrir une performance collective d’un tel niveau, avec les individualités que l’on a, on est presque injouable. À part dans le premier quart d’heure de la seconde mi-temps où la France a reculé et souffert, il y a eu une vraie maîtrise collective. En première période, l’Allemagne a souffert dans le cœur du jeu avec son 3-4-3, car il n’y avait que deux joueurs vraiment dans ce secteur. Löw a rectifié ça en seconde période, en s’organisant avec deux attaquants pour densifier l’axe du milieu. Il a fait plusieurs changements en seconde période, on a senti qu’il cherchait une solution, mais à mes yeux, la supériorité française était trop nette.
Qu’est-ce qu’il manque dans la première période française pour pouvoir parler de perfection ?Pas grand-chose, on ne concède rien, ou presque rien : zéro occasion, quelques coups francs… On marque sur une action lumineuse, sur ce qui a été la clé de la première mi-temps, les pistons allemands. C’est eux qui pouvaient nous faire mal, notamment Joshua Kimmich à droite, mais c’était aussi dans leur dos que nous avions des possibilités pour déstabiliser l’adversaire. Lucas Hernandez fait un gros travail pour nous permettre de contenir cette menace et surtout de taper là où ils se découvraient. Mais cela a aussi été rendu possible par le gros travail des trois au milieu. Ils ont réussi à quasiment tout fermer à l’intérieur, ils ont laissé très peu de possibilités de passes aux Allemands. Kimmich, ils l’ont laissé un peu sortir pour ensuite pouvoir mieux plonger dans son dos. C’est une option qui a été parfaitement utilisée. On a eu un peu de mal sur les dix premières minutes du match, mais dès que les trois du milieu ont commencé à travailler sur la largeur du terrain, cela nous a permis de bien contenir les offensives allemandes, mais aussi de trouver nos joueurs devant.
Les trois joueurs au milieu ont fait un énorme match, mais surtout, Pogba a apporté une verticalité au jeu français que les Allemands n’ont pas eu de leur côté…J’ai aimé Pogba, mais aussi Rabiot. Kanté n’a pas été spectaculaire, mais il a beaucoup travaillé sur les lignes de passes adverses. Il a pu se concentrer dessus parce que les deux autres ont fait un énorme travail, ont eu un énorme abattage. Il n’a pas eu besoin de tellement compenser les montées des deux autres, qui ont fait de gros efforts. Kanté a été sobre, a coupé beaucoup d’offensives sans donner l’impression de lancer de grandes courses. Cela a d’ailleurs été le cas de beaucoup de joueurs, parce que le bloc a été très compact. Même quand les Bleus décidaient d’aller chercher un pressing haut, toute l’équipe suivait. Une équipe qui parvient à ce niveau de cohésion, c’est fort. La première mi-temps est presque parfaite sur ce plan. Le premier quart d’heure de la seconde mi-temps a été un peu moins bien, parce qu’entre autres, j’ai trouvé que Mbappé et Griezmann défendaient trop bas. Puis dans la dernière partie du match, il y a un choix assumé de contrer l’Allemagne. L’équipe est coupée en deux, mais c’est pareil en face, donc vu que Deschamps est rassuré par son animation défensive, il décide de profiter du profil de ses attaquants. Le seul point contrariant, c’est que l’on a concédé beaucoup de coups de pied arrêtés, où les Allemands auraient pu nous inquiéter.
Le trio d’attaque qui fait tant fantasmer le reste de l’Europe, il s’est surtout illustré par une capacité à participer aux efforts, que ce soit le pressing ou les replis défensifs…Si j’avais la chance d’être l’entraîneur de ces trois attaquants, le lendemain ce serait séance vidéo pour montrer à tout le groupe ce qu’ils ont fait sur le plan défensif. À l’image du tacle de Griezmann en fin de match… Les trois ont fait des replis précieux. Quand on a des joueurs d’un tel talent qui acceptent de se mettre au service de l’équipe pour faire de telles courses défensives, on se dit qu’il ne peut pas nous arriver grand-chose. Ce soir, ce qui m’épate, c’est qu’on est sur un premier match de la compétition, et ils ont tapé très fort d’entrée. Le fait qu’il n’y ait pas de changement avant la 89e, cela signifie que Didier Deschamps a vu sur le terrain ce qu’il avait préparé et ce qu’il souhaitait voir. Entraîneur, quand on n’est pas satisfait, on cherche des solutions dès la 45e ou la 60e si on voit des soucis collectifs ou individuels. Lui fait des changements très tardifs, c’est qu’il a vu collectivement et individuellement des choses qui lui ont plu. On voit aussi qu’il considérait ce premier match comme déterminant parce qu’il n’a pas pensé au prochain, à économiser qui que ce soit. Il fallait taper fort d’entrée, il a mis la barre haut sur le plan collectif.
Si vous étiez le sélectionneur d’une autre équipe qui vise le titre, vous ressortiriez quel défaut ?Pendant le match, je me suis mis à la place de Löw, et je me suis dit : « Qu’est-ce que l’on peut faire ? » Si on attaque à tout-va, Mbappé et Benzema vont nous faire mal. Si on laisse le ballon, ils sont capables de bien l’utiliser, et même pour les contrer, la défense centrale a affiché une maîtrise élevée… Kimpembe et Varane, quand les Allemands ont essayé de jouer dans leur dos, cela n’a pas marché. Sur ce match, il n’y a pas beaucoup de défauts, si j’étais le sélectionneur d’une autre équipe, je serais inquiet parce que c’est dur de trouver des solutions.
Les entraîneurs n’aiment pas ressortir des performances individuelles, mais Pogba ce soir, c’est pas loin du joueur parfait au milieu : des récupérations, la qualité technique pour résister aux pressings, une qualité de passes qui fait mal au bloc adverse…On peut même en rajouter avec sa qualité physique sur les coups de pied arrêtés. C’est clairement le joueur parfait quand il est à ce niveau. Et si on ajoute Adrien Rabiot, qui est moins flamboyant, mais qui a un abattage énorme, qui multiplie les courses, qui casse des lignes grâce à son aisance technique, le milieu de terrain est impressionnant… Quand Pogba est à ce niveau, il n’a pas d’équivalent, mais la vérité, c’est qu’on en a plusieurs par ligne qui, en forme, n’ont pas d’équivalents dans ce championnat d’Europe. Toutes les équipes ont joué un match dans cet Euro, et c’est clairement la France, tant collectivement que par ses individualités, qui a fait la plus grosse impression.
Propos recueillis par Nicolas Jucha