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Christian Eriksen doit-il vraiment rejouer au football ?
Selon la presse italienne, Christian Eriksen pourrait faire son retour sur le terrains de foot au plus haut niveau quelques semaines après son arrêt cardiaque intervenu durant l'Euro. À condition que le milieu danois ôte son défibrillateur, appareil de sécurité pourtant particulièrement utile, et que les tests observés par l'Inter soient concluants. Mais est-ce bien raisonnable ? Nombre de cardiologues, qui certes n'ont pas accès au dossier, en doutent.
En plein marché des transferts, l’information est encore plus surprenante et moins sourcée qu’une rumeur mercato. Elle vient du Corriere delle Sport, qui balance donc un dangereux pavé dans la mare scientifique : quelques semaines après son arrêt cardiaque intervenu au début de l’Euro, Christian Eriksen serait de retour à l’Inter pour y réaliser des tests afin de revenir sur les terrains de football et poursuivre sa carrière comme si de rien n’était. Un come-back prévu sans supplément défibrillateur, qui plus est. Pourtant, l’Inter confirme la nouvelle dans un communiqué : « Christian Eriksen suivra un programme de récupération proposé par des médecins danois à Copenhague, qui coordonneront tout le suivi clinique, en tenant toujours informé le personnel médical du club. » Mais alors, est-ce vraiment raisonnable d’imaginer le Danois évoluer de nouveau au plus haut niveau ?
« Cette histoire est assez folle, avec cette mort subite récupérée…, entame le Dr Guillaume Domain, cardiologue français en cours de spécialisation en électrophysiologie au Canada, dont il a désormais pris l’accent. Je ne suis pas au courant des investigations et s’ils ont trouvé ou non des anomalies congénitales, mais toujours est-il qu’il y a toujours la pose d’un défibrillateur en anticipation car le risque de refaire un arrêt cardiaque est évidemment plus fort. Maintenant, si le bilan cardiaque est rassurant, ça ne me choque pas qu’il obtienne le droit de reprendre même si on parle d’un cas très rare. En revanche, qu’on enlève son défibrillateur, c’est plus problématique… » Et c’est bien là que le bât blesse : si jamais l’ancien de Tottenham rejoue en Serie A, ce sera sans sa nouvelle machine.
L’Italie a (presque) tout compris…
Car voilà : en Italie, le règlement interdit à tout footballeur professionnel de taper le ballon accompagné d’un défibrillateur, synonyme de risque cardiaque. « Il existe la Société Européenne de Cardiologie qui donne des recommandations globales sur le sport, mais chaque pays dispose de sa propre législation, explique Hervé Douard, professeur de cardiologie au service « maladies coronaires, épreuves d’effort et réadaptation » à l’hôpital cardiologique du Haut-Lévêque de Pessac (Gironde). L’Italie est particulièrement investie dans cette société, et la cardiologie du sport est très développée chez eux. Donc le sport en compétition, c’est niet dès qu’il y a présence de défibrillateur. Au contraire de pays beaucoup plus laxistes et très permissifs comme les Pays-Bas, où Daley Blind a le droit de jouer » avec l’Ajax Amsterdam, la machine éloignant le Néerlandais de la Faucheuse quand cette dernière s’invite à proximité de la pelouse.
« Avant, on interdisait la compétition immédiatement dans ce genre de situations. Mais désormais, grâce notamment à deux nouvelles études récentes – qui, au passage, n’ont pas été menées sur des sportifs de très haut niveau -, on autorise au cas par cas. Si le sport n’augmente pas la maladie concernée, d’abord, et si le risque de rechute est considéré comme très faible. Là, secret professionnel oblige, nous n’avons pas accès au dossier donc nous ne savons pas ce qu’il en est, poursuit François Carré, cardiologue et médecin du sport. Les Italiens sont toutefois très stricts car là-bas, le médecin est tenu responsable dès qu’il arrive quelque chose au joueur. Alors qu’en France, il y a une enquête avec des juges. Raison pour laquelle un médecin a été condamné à un an de prison avec sursis pour homicide involontaire après la mort de Davide Astori » , ancien international de la Fiorentina qui souffrait d’une anomalie cardiaque non détectée et décédé en mars 2018.
… et ne devrait pas dire oui
Une Italie qui prend soin de la sécurité et de la santé de ses sportifs, donc, mais qui pourrait paradoxalement laisser Eriksen s’exposer à davantage de risques en l’autorisant à reprendre le cours de sa carrière. Parce qu’en suivant scrupuleusement la règle, le joueur de 29 ans devrait jouer sans défibrillateur… et donc sans filet de sécurité, d’où l’effet contre-productif. De toute façon, l’affaire ne tourne pas rond selon le professeur Carré. « Poser un défibrillateur pour ensuite l’enlever et voir si la pratique du sport est de nouveau possible, c’est… pour le moins surprenant, je n’ai jamais vu ça. Le processus me semble très étonnant : il fait un arrêt cardiaque un jour, pourquoi il n’en ferait pas demain ?, s’interroge l’ancien président du club des cardiologues du sport. À moins qu’ils n’aient trouvé la cause de l’arythmie cardiaque, et qu’ils puissent la traiter… C’est possible d’intervenir autour d’une cicatrice qui serait à l’origine de l’arrêt, par exemple. Bref, le défibrillateur sert à mesurer et vérifier la fréquence pour alerter quand le rythme du cœur va trop vite. La machine, en plus de tout enregistrer, permet de sauver immédiatement le joueur. Donc elle est très importante. L’enlever augmente les risques. Là, on parle de la vie d’un homme quand même. »
Même malaise du côté de son confrère Hervé Douard, à l’avis encore plus tranché : « D’un point de vue strictement médical, ça ne me paraît pas du tout raisonnable. De jouer sans défibrillateur, et de rejouer tout court. Si on lui a posé un défibrillateur, c’est sûrement parce qu’on n’a pas trouvé d’étiologie malgré des IRM. On sait donc, de manière quasiment certaine, qu’il peut recommencer à tout moment. Surtout au foot, sport où l’intensité réclame une grosse sécrétion de catécholamines(source d’augmentation de la fréquence cardiaque, NDLR)et où il y a en outre un risque traumatique sur le défibrillateur lui-même. Alors si en plus, on enlève le défibrillateur… Je n’ai jamais entendu une histoire pareille, et je ne vois pas ce qu’ils veulent faire de plus en termes de tests puisque il a déjà eu un panel d’examens complet. Sauf si ces examens ont été mal faits… » Et de conclure, avec un pronostic : « Il ne rejouera pas… Pour moi, ce joueur ne doit plus jamais réapparaitre sur un terrain. Il faut qu’il comprenne que dans la vie, certaines choses doivent s’arrêter. Il a déjà de la chance d’avoir été ressuscité, qu’il continue à profiter de la vie mais en pratiquant d’autres sports de faible intensité. » Moins de deux mois après ce Danemark-Finlande qui a bouleversé l’Europe, l’heure est peut-être venue de se rendre à la raison.
Par Florian Manceau
Propos recueillis par FM.