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Christian Bekamenga : « J’ai goûté l’alcool pour ne pas mourir bête »
Passé par sept clubs français, Christian Bekamenga (35 ans) s'est aussi illustré aux quatre coins du monde. Après avoir foulé les pelouses africaines, asiatiques et européennes, l'ancien international camerounais s'est engagé en mars dernier en Amérique du Sud où il se bat pour maintenir le Real Potosí en première division bolivienne. Perché sur les hauts plateaux andins, Beka évoque ses années françaises, la crise sanitaire et ses difficultés d'acclimatation dans le championnat local. Allez, on respire un bon coup.
Christian, depuis que tu as quitté la France, tu as joué en Turquie, en Chine, à Chypre, au Bangladesh. Là, on te retrouve en Amérique du Sud…Oui, je n’ai jamais eu peur de l’aventure. Je vais où il y a du travail, c’est ce qui m’a motivé à aller dans ces pays. J’ai quitté la France en 2016 après la montée en Ligue 1 avec le FC Metz pour signer en Turquie, c’est un peu à ce moment-là que l’aventure à l’étranger a commencé.
Tu as gardé des contacts, en France ?Un peu. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de changements dans le football. Il y a des gens qui partent, des nouvelles personnes qui arrivent… Ceux que je côtoyais ne sont plus en fonction dans les clubs où je suis passé, mais je garde en souvenir des superbes années. Il faut dire la vérité : c’est la France qui m’a tout donné et qui m’a montré au grand public, en France ou en Afrique. Pour moi et pour les footballeurs africains en général, la France est une très bonne vitrine.
D’ailleurs, tu as disputé les JO 2008 avec le Cameroun lorsque tu évoluais au FC Nantes.Oui. Les Jeux olympiques, on n’y participe pas souvent. C’est unique, ça n’arrive qu’une fois. Quand ça arrive, il faut saisir sa chance. Le FC Nantes ne voulait pas que j’y participe, j’avais dû forcer pour y aller. Moi, j’avais décidé de partir faire les JO. Le coach était Der Zakarian, et le staff a essayé de me dire : « Beka, si tu y vas, tu ne joueras pas en rentrant. » J’ai répondu qu’il n’y avait pas de souci. J’avais tout donné pour qualifier la sélection du Cameroun, donc je ne me voyais pas manquer ça. J’y suis allé et quand je suis revenu, j’ai quand même joué en Ligue 1. Les JO ne se refusent pas, défendre une nation non plus. J’avais tenu tête à l’équipe qui était en place à Nantes, mais j’ai quand même joué après.
Tu parles de Nantes, mais dans quel club tu penses avoir laissé le meilleur souvenir ?On a passé des bons moments, à Nantes. À Laval, j’ai marqué beaucoup de buts. À Metz, j’ai fait des bons trucs aussi et ça s’est très bien passé. Aujourd’hui, j’ai des bons souvenirs dans tous ces clubs… (Il coupe) Je ne sais pas si Carquefou existe encore ? (Rires) J’ai entendu dire qu’ils avaient des problèmes… Mais bon, j’ai passé des bons moments dans plusieurs clubs. Le truc n’est pas seulement de marquer des buts, c’est aussi de passer des bons moments et de se sentir bien.
Depuis quelques mois, tu es en Bolivie sur les hauts plateaux andins. Comment s’est passée ton adaptation ?J’ai eu de la chance de rencontrer Carlos Fonseca, un entraîneur qui parle anglais. C’était plus facile pour moi parce qu’ici, on parle espagnol donc je ne comprends rien. Je parle deux langues, je m’exprime en français et un peu en anglais. Avoir un coach qui parle anglais m’a facilité les choses. Au début, c’était bien. Mais depuis un moment, c’est un peu dur. Depuis qu’il a été viré, on perd pratiquement tous les matchs (avec une victoire en treize matchs, le Real Potosí est avant-dernier, juste devant San José Oruro qui a écopé d’une sanction de douze points pour salaires impayés ; NDLR). Malgré tout, l’adaptation s’est bien faite. Le football bolivien est surtout basé sur l’offensive donc pour un attaquant, c’est toujours mieux. C’est un championnat qui est ouvert, assez lent et assez physique. Il n’est pas aussi dur que la France, mais c’est un bon championnat.
Potosí est à 4000 mètres d’altitude, tu as réussi à t’acclimater ?Le football reste le football. Mais la vérité, c’est qu’on ne joue pas à 100 % de nos moyens à 4000 mètres d’altitude. Ça fait quatre mois que je suis là et je ne vais pas mentir, je suis toujours en difficulté. On m’avait dit que je m’adapterai en un ou deux mois, mais c’est toujours compliqué de jouer à domicile. Même pour nous, les joueurs de la ville de Potosí. Avec le manque d’oxygène, c’est difficile de faire des allers-retours et de multiplier les efforts. On joue à 70-80 % et on essaie de s’acclimater comme on peut, mais ça n’est pas facile.
En Bolivie, il y a beaucoup d’attaquants qui jouent parfois jusqu’à 40 ans. Tu trouves que le style de jeu est adapté aux joueurs plus âgés ?Je pense qu’il n’y a pas qu’en Bolivie, ça concerne toute l’Amérique du Sud. L’autre jour, je regardais un match de Copa Libertadores. Tu te rappelles de Fred, et de Nenê ? L’un a joué à Lyon et l’autre à Paris, il doivent avoir 37 et 40 ans. Ils continuent à jouer au très haut niveau, et ils se sont qualifiés pour le prochain tour (Fluminense s’est qualifié pour les quarts de finale de la Copa Libertadores, NDLR). Donc ça ne concerne pas que la Bolivie, mais tout le continent. Du moment que tu es bon sur le terrain, on ne regarde pas trop ton âge.
Tu connaissais des joueurs ou des clubs du championnat bolivien, avant de signer à Potosí ?Non, pas du tout. Je ne connaissais que les clubs brésiliens ou argentins, Boca Juniors ou River Plate. En Bolivie, je ne connaissais même pas le nom d’un club. Mon agent m’a proposé cette équipe et je me suis dit pourquoi pas, car je venais de résilier mon contrat au Bangladesh. C’était le moment d’aller voir ce qui se passe dans ce coin-là du monde. Aujourd’hui, ça me plaît bien. J’aime bien le pays, j’aime bien la ville de Santa Cruz. C’est une belle ville, il y fait beau… Pour un étranger ou quelqu’un qui galère avec l’oxygène, c’est une super ville ! (Rires) Mais pour le moment, je suis à Potosí.
Potosí n’est pas la ville la plus excitante de Bolivie, tu arrives à t’occuper en dehors du football ?
C’est difficile de s’occuper, on ne sort pas trop. C’est une petite ville, où il n’y pas grand-chose. Je regarde beaucoup Netflix, la télé, le sport… C’est comme ça que je m’occupe. En plus, c’est l’hiver. Il fait vraiment très froid en ce moment, il n’y a rien à faire dehors. J’ai suivi les Jeux olympiques sur les plateformes et les sites internet, mais ils ne diffusent pas tout ici et il y a le décalage horaire.
Comment tu vis cette crise sanitaire, tu étais où l’an passé?L’an passé, j’étais en France. C’était très difficile pour nous tous, je pense que c’était le moment le plus difficile de ma vie. J’ai vu beaucoup de personnes mourir, j’ai été touché. J’ai commencé à prendre un peu d’alcool alors que normalement, je ne bois et je ne fume pas… Mais là, c’était très difficile pour nous.
C’est-à-dire?Je me suis retrouvé dans un situation où on avait tous peur de mourir, alors je me suis dis qu’il fallait que j’en goûte un peu avant de partir ! (Rires). J’ai eu le coronavirus, j’avais mal partout. Je pensais que j’allais mourir, ça tombait de partout : untel est mort, un autre est décédé… Je me suis dit : autant goûter et partir, je ne voulais pas mourir bête ! Mais c’est toujours difficile, et j’espère que les vaccins vont marcher. Certains disent qu’il est bon, d’autres ne sont pas d’accord… On ne sait pas. Quand je vais revenir en France, je vais me faire vacciner.
Et comment ça se passe, en Bolivie ?Au niveau des clubs, c’est difficile. Financièrement ou au niveau des salaires, ce n’est plus pareil. Tout le monde essaie de se relever, tout doucement. On ne joue pas sans avoir fait de test, soit par le sang soit par les narines. Les Boliviens peuvent venir voir les matchs : les stades ne sont pas pleins, mais une partie est remplie. Même si tout n’est pas terminé, on essaie de voir un peu la lumière. Aujourd’hui, je peux sortir. Aller à l’entraînement, taper dans un ballon… Avant, il n’y avait plus tout ça.
Propos recueillis par Thomas Allain