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Chine : Perrin sait-il à quoi s’attendre ?
La Fédération chinoise de football a officialisé le 26 février Alain Perrin comme sélectionneur. Contrat de trois ans et mission simple : emmener l'équipe en Coupe d'Asie 2015 (début des qualifications mercredi contre l'Irak) puis mener la campagne de qualification pour la Coupe du monde 2018 si affinités. Le job a l'air cool, mais si on gratte un peu, il a tout du plan foireux...
« Alain Perrin ? C’est qui ? » La remarque est de Zhou Duowei, consultant sportif pour le Beijing Morning Post. Cet observateur, comme beaucoup d’autres en Chine, est sceptique quant au profil de l’ancien coach de Marseille et Lyon. Il faut dire qu’ici, on avait salivé sur d’autres gibiers : Marcello Lippi – tout frais champion d’Asie des Clubs avec les locaux de Guangzhou Evergrande – ou Sven-Göran Erikson, qui dirige l’autre club de Canton et que les Chinois pensent encore bon… Alain Perrin ne doit donc pas attendre le tapis rouge, car sa nomination n’a pas suscité l’enthousiasme mais plutôt la défiance. Les quelques articles parus dans la presse de Chine continentale ou de Hong Kong se sont contentés de rappeler les grandes lignes de sa carrière d’entraîneur… et de pointer la médiocrité de son parcours de joueur.
« Pour le moment, les médias locaux se foutent de lui, c’est horrible. Ils se demandent qui c’est, mais cela prouve un certain manque de culture footballistique, il a quand même entraîné Marseille et Lyon, disputé la Ligue des champions. » Philippe Troussier, qui a passé trois ans au Shenzhen Ruby, est aux premières loges et estime que Perrin « a tout pour réussir » . La version optimiste de l’histoire. Car la grande question en Chine est de savoir « pourquoi Perrin ? » , illustre inconnu sur place… Le Beijing Morning Post a une théorie en trois points : premièrement, le Français aurait convaincu les dirigeants chinois de sa capacité à faire grandir une équipe. Il a dû miser tout son argumentaire sur son séjour à Troyes. Deuxièmement, son expérience en Asie depuis 2010 – même mitigée – aurait fait pencher la balance. Tout comme sa docilité sur le plan salarial : des émoluments inférieurs à un million de dollars annuels quand son prédécesseur José Antonio Camacho se gavait avec 6 millions d’euros annuels plus tickets restaurants et mutuelle. Le Français aurait même laissé ses nouveaux patrons inclure une clause de rupture de contrat à l’initiative de la Fédération selon le quotidien pékinois. « Alain a visiblement été conciliant pendant la négociation, mais une fois sur le terrain, il va vite reprendre son naturel » , estime Troussier. Pour le Beijing Morning Post, Perrin n’est rien de plus qu’un sélectionneur de transition en attendant que sa seigneurie Marcello Lippi daigne quitter Guangzhou Evergrande.
Le foot chinois, le grand malade asiatique
Mais rien n’est moins sûr car l’Italien est installé dans le seul projet footballistique du pays un tant soit peu solide. Et l’Italien est intelligent, il ne va pas quitter une bonne maison – organisée, avec des moyens et des résultats – pour ce qui s’apparente à un asile de fous. Car le football de sélection chinois n’est pas un champ fertile, c’est plutôt un champ de ruines, voire de mines. Depuis 2002 – seule participation à la Coupe du monde – et 2004 – finale à domicile en Coupe d’Asie des nations – la Chine est en pleine traversée du désert. Les résultats sont en berne : plus une seule qualification en Coupe du monde et des éliminations prématurées en Coupe d’Asie. Les deux rivaux revendiqués, Japon et Corée du sud, boxent dans une autre catégorie, ce que confirme Troussier : « Le foot chinois est en retard sur ses voisins. En Chine, seuls 25 joueurs ont le niveau technique pour des matchs internationaux, alors qu’en Corée du sud ou au Japon, on en a au moins 80. Mais sur un match, équipe type contre équipe type, la Chine peut rivaliser, notamment grâce au niveau actuel de Guangzhou Evergrande et au boulot de Lippi. »
Même lors des Jeux olympiques 2008, à domicile, la sélection locale n’a pas su défendre l’honneur de la nation. Ce qui a valu aux autorités du football chinois un vaste plan de « nettoyage » dans la foulée de l’Olympiade : deux anciens présidents de la Fédération – Nan Yong et Xie Yalong – furent arrêtés puis condamnés (en 2013) pour avoir accepté des pots-de-vins. La corruption, un adjectif qui colle au football chinois comme un vieux chewing-gum sous une semelle. Est-ce que cela va mieux en 2014 ? Beaucoup l’espèrent mais l’arrivée de Perrin est perçue en Chine comme un signal négatif : tous les premiers choix de la Fédération ont refusé et sa nomination à moins de dix jours d’un match décisif prouve que la gouvernance du football chinois navigue à vue. Pour le Beijing Morning Post, Alain Perrin n’est pas un assis sur un siège éjectable mais plutôt sur un volcan. Traduction : il va avoir chaud au cul, et a priori, il ne faudra pas trop compter sur l’aide des joueurs…
Pierre Ménès tançait récemment Brandão comme une négation du football. En Chine, le Brésilien serait un dieu malgré ses pieds carrés. Car en dépit de ses lacunes techniques et de ses écarts envers la gent féminine, l’attaquant sait être décisif dans les moments importants, que ce soit un match de Ligue des champions contre l’Inter ou une finale de Coupe de la Ligue contre Rennes. Une qualité qui manque aux joueurs de l’équipe nationale chinoise. En 2007, lors de la Coupe d’Asie des nations, la Chine n’a besoin que d’un nul contre le modeste Ouzbékistan pour rallier les quarts de finale. Il suffit d’assurer, mais les Chinois vont se faire dessus : à la 72e ils se prennent un pion de Maksim Shatskikh, l’ancienne gloire du Dinamo Kiev, puis deux autres dans les dix dernières minutes. Un exemple parmi d’autres de l’histoire qui se répète : les Chinois brillent en matchs amicaux ou contre les équipes non-professionnelles, échouent dans les matchs décisifs, même contre plus faibles…
Flower Xu est une jeune Chinoise qui supporte Manchester United depuis la fin des années 90 et un pari que les Red Devils lui ont fait gagner. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle préfère supporter un grand club européen et se désintéresse de la sélection chinoise « parce qu’ils sont mauvais » . Clair et concis. Au-delà du niveau technique, c’est l’attitude des joueurs qui gène : « Dans le passé, ils étaient capables de parier sur la défaite de leur équipe avant un match, et beaucoup se sont fait attraper avec des prostituées en marge de matchs importants. » L’histoire des paris n’est pas si lointaine, elle fait référence à une lourde défaite à la maison contre la Thaïlande (5-1), qui avait coûté sa tête à Camacho et provoqué une émeute sur le parking du stade (plus de 100 blessés selon la presse hongkongaise).
Selon Flower Xu, les internationaux chinois brillent plus dans les maisons closes que sur les rectangles verts : « Ce sont des lapins sur le terrain, surtout pour un match décisif, par contre, ce sont des tigres face aux prostituées. On préférerait l’inverse » . Si Flower Xu ne fait pas dans la demi-mesure, elle traduit à elle seule l’agacement des fans à l’égard de l’équipe nationale. Alain Perrin va-t-il réussir à transformer ses joueurs et réconcilier le peuple chinois avec son équipe ? Flower Xu préfère en rire : « On ne connaît pas Perrin, mais même si c’était le meilleur entraîneur du monde, cela ne changerait rien au fait qu’il va vite se faire éjecter. Pour manager cette équipe, il ne faut pas un talent d’entraîneur mais un talent de magicien. » À toi de jouer Alain.
Lippi, le meilleur allié de Perrin
Des dirigeants qui n’y connaissent rien, ça passe, des joueurs qui ne savent pas jouer, Alain Perrin peut les métamorphoser. Mais Perrin, pas forcément le technicien le plus diplomate du football français, saura-t-il s’intégrer dans les arcanes du foot chinois, lui qui avait vécu une année d’isolement à l’Olympique lyonnais ? Il lui faudra beaucoup de patience. On lui recommande d’ailleurs de lire dans l’ordre de priorités L’Art de la guerre, le Dao De Jing et les Entretiens de Confucius. Car dans le passé, d’autres techniciens français se sont heurtés à la « différence culturelle » majeure entre les footeux français et chinois. Notamment Elisabeth Loisel, qui devait emmener les féminines chinoises aux JO 2008.
Dans un documentaire sur France 2 diffusé il y a plusieurs années, l’ancienne sélectionneuse de la France évoquait un incident anodin mais révélateur de son calvaire : quatre mois après sa nomination, le bus de l’équipe quittait l’hôtel sans elle. Elle était en retard de deux minutes, mais elle s’était fait méchamment reprendre de volée : « Ils avaient fait un rapport sur moi en disant que j’avais eu une heure de retard, un rapport au gouvernement ! » Son problème résidait dans l’entourage de la sélection, dont le directeur lui sapait le travail et l’autorité, notamment en organisant une soirée « fondue » avec les joueuses à la veille d’un match de préparation. Loisel avait dénoncé le manque de pertinence diététique du menu, on lui avait rétorqué qu’elle n’était pas en mesure de dire ce qui était bon pour le bien-être de l’équipe. Pour une fois qu’on demandait à une femme de sortir de la cuisine… Chose surprenante, Elisabeth Loisel fut démise de ses fonctions à peine six mois après sa nomination, pour de mauvais résultats en … matchs amicaux !
« Tout poste à l’étranger est compliqué. Sur le plan culturel, il faut s’adapter. Il y a aussi des différences dans la manière de considérer le management. La Chine est un pays en voie de développement question football. Le message et les méthodes d’Elisabeth Loisel ou Jean Tigana étaient confrontés à des difficultés extérieures. Perrin va lui aussi faire face à des interférences fortes, notamment dans la chronologie des événements : il pourra arriver le lundi et apprendre qu’un match amical a été fixé pour le mois suivant. Il devra soumettre ses idées à un comité et se plier aux idées de ce même comité. Les expériences de Tigana et Loisel doivent l’aider à savoir où il va » , analyse Troussier, qui a su faire l’unanimité au Japon avec une Coupe d’Asie en 2000.
Pour lui, la meilleure méthode pour éviter les parasitages consiste à importer un staff complètement étranger, comme l’a fait Marcello Lippi à Canton : « Perrin aura des problèmes avec les managers de l’équipe qui sont là grâce à leurs relations, ils vont le juger. Il est venu sur la pointe des pieds, n’a pas pu imposer toutes ses idées, et il sera confronté à un entourage pas forcément bienveillant comme cela a été le cas pour Elisabeth Loisel. Il va diluer son exigence dans ces problèmes extra-sportifs. Lippi n’a que des Italiens, donc les joueurs ont le même référentiel dans l’ensemble de la structure. » Mais bon, en même temps c’est Lippi, champion du monde, pas certain que Perrin ait le luxe d’imposer un staff 100% francophone.
Alain Perrin se retrouve donc face à un chantier, tant en coulisses, où son habilité politique va devoir s’exprimer, que sur le terrain, où il va devoir composer avec la faiblesse chronique et structurelle du football local. Mais si on peut trouver un motif d’espoir qui n’existait pas pour ses prédécesseurs, c’est la montée en puissance du champion local Guangzhou Evergrande. Entraîné par Marcello Lippi justement, le club de Canton a remporté la dernière Ligue des champions asiatique grâce à un projet sportif cohérent et une base d’internationaux chinois renforcée par de bons joueurs étrangers comme le Brésilien Muriqui et l’Italien Diamanti.
« Lippi a bien débroussaillé la situation et inculqué une culture de la victoire. Perrin doit s’appuyer dessus, il n’aura même pas le choix » , tranche Troussier, pour qui 7 à 8 des titulaires de la sélection chinoise devraient venir de Canton. Si Perrin a l’humilité de s’appuyer sur cette base, il aura probablement plus de chances d’obtenir des résultats rapides. Il en serait bien inspiré car les dirigeants chinois tout comme le public ne devraient pas lui laisser beaucoup de temps… Alors Alain, toujours content d’avoir signé ?
Par Nicolas Jucha