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Chine, la fièvre dépensière

Par Nicolas Jucha
5 minutes
Chine, la fièvre dépensière

Depuis le début du mercato hivernal, c'est la Chinese Super League qui dépense le plus. Et contrairement à la croissance économique chinoise, la tendance est encore loin d'un atterrissage.

Ramires de Chelsea à Jiangsu Sainty pour 32 millions d’euros, Gervinho de la Roma à Heibei China Fortune FC pour 18, Fredy Guarín de l’Inter Milan au Shanghai Shenhua pour 15… Depuis l’ouverture du marché des transferts, ce n’est pas la Premier League anglaise qui dicte le rythme, mais bien la Super League chinoise. Certes, elle est en pleine intersaison, et ce mercato n’est donc pas un simple marché « d’ajustements » . Mais cette explication seule est bien trop légère, alors que même un club de division 2, Tianjin Quanjian FC, entraîné par Vanderlei Luxemburgo, a claqué pour 30 millions depuis début 2016. L’accélération des dépenses avait déjà pris des proportions hallucinantes cet été, avec entre autres le transfert de Demba Ba au Shanghai Shenhua pour 15 millions d’euros en provenance de Beşiktaş. Au début du mois, c’est le Brésilien Luiz Adriano qui avait été à deux doigts de quitter le Milan AC pour Jiangsu Sainty contre un chèque de 14 patates, avant de se raviser suite – officiellement – à un désaccord sur son contrat.

Des droits télé qui explosent

D’où sort tout cet argent des clubs chinois ? Des droits télévisés en forte hausse peut-on déjà répondre. La société China Media Capital (CMC), dirigée par le businessman Li Ruigang, est censé s’offrir la CSL sur cinq ans pour 1 milliard d’euros. Encore loin des chiffres anglais ou même français, la cagnotte représente une progression exponentielle pour un championnat chinois qui se vendait encore à 7 millions d’euros annuels en 2015. Qui est CMC ? Un fonds d’investissements soutenu par l’État chinois qui vient de récupérer 13% des parts de Manchester City, preuve s’il en est que le ballon est une affaire d’État dans l’Empire du milieu. L’industrie sportive représente 0,6% du produit intérieur brut national, mais le gouvernement chinois entend la faire monter à 1% d’ici 2025 selon Hou Po, un partenaire du cabinet Deloitte à Shanghai cité par Forbes. « L’industrie footballistique est un pilier majeur de ce projet » assure-t-il. Mais contrairement au Qatar avec QSI et ses investissements parisiens, Pékin n’a pas placé tous ses œufs dans le même panier pour briller dans le sport le plus populaire du monde. Et ses efforts ne datent pas d’hier, mais de 2008. Après des Jeux olympiques brillants, sauf en football – élimination en phase de poules de la sélection chinoise -, les autorités ont lancé une vaste campagne anti-corruption afin de nettoyer le football local de son principal fléau. Avant « d’encourager » implicitement les grandes entreprises du pays à investir dans un championnat qui, en 2010, n’attirait plus de diffuseurs.

« Les clubs chinois ne veulent pas des vieux. » Dominique Six, agent de Gervinho

Et comme un « encouragement » de Pékin a valeur d’ordre, de nombreux groupes se sont pris au jeu. Avec, parmi tous ces investissements nouveaux, une success story rapide et maîtrisée qui aujourd’hui a valeur d’exemple : l’arrivée du groupe immobilier Evergrande à Canton, pour monter le projet du Guangzhou Evergrande. Récupéré en seconde division où il avait été relégué administrativement pour une affaire de matchs truqués, le club de la grande ville du Sud a rapidement repris sa place dans l’élite pour la dominer depuis. Dans sa stratégie, le recrutement de tous les meilleurs joueurs chinois disponibles combiné à l’achat au prix fort de joueurs étrangers pas forcément les plus médiatiques, mais dans la force de l’âge, tels Lucas Barrios, Dario Conca ou plus récémment le Brésilien Paulinho, recruté à Tottenham. Avec des résultats diamètralement opposés à ceux de Shanghai Shenhua, qui, en 2012, avait défrayé la chronique en prenant Nicolas Anelka et Didier Drogba. Si le club shanghaien s’est embourbé en milieu de tableau jusqu’au départ de son fantasque président Zhu Jun, Evergrande de son côté a réussi à monter sur le toit de l’Asie deux fois, avec les victoires en Ligue des champions 2013 et 2015. Dominique Six, qui vient de travailler sur le transfert de Gervinho à Hebei China Fortune, l’assure : « Aujourd’hui, les clubs chinois ne veulent pas des vieux, ils veulent des joueurs au top. Ils ont de l’argent, mais refusent d’être des vaches à lait comme ils ont pu l’être sur certains transferts où les joueurs ont été attirés par le salaire, mais se sont mis en roue libre sportivement. »

« J’ai eu peur d’être dans une farce jusqu’à la fin » un agent sous couvert d’anonymat

Selon un rapport de la FIFA, la Chine a été le 6e marché le plus dépensier en matière de transferts en 2015, se plaçant derrière les cinq gros championnats européens. Son achat presque compulsif de joueurs brésiliens a été décrit comme « un pillage » par ESPN, qui faisait référence au départ dans un même mercato de 4 joueurs des Corinthians pour l’Empire du milieu. La tendance est tellement forte que même entre eux, les clubs chinois commencent à aligner des sommes rondelettes pour se piquer leurs meilleurs éléments, le Shanghai SIPG, principal challenger, ayant recruté Elkeson chez le multi-champion en titre pour 18,5 millions. Il y a une idée à creuser pour l’AS Monaco afin de caser Radamel Falcao. Reste à voir comment les agents vivent cette nouvelle tendance. L’un d’eux, concerné par un transfert estival et soucieux de garder l’anonymat, avoue « avoir eu du mal à identifier ses interlocuteurs » , car ils étaient nombreux et pas forcément directement rattachés aux clubs acheteurs. « C’est vrai que les clubs restent sous couvert, ils étaient deux intéressés par Gervinho » , admet Dominique Six, « mais on a parlé avec des intermédiaires de plusieurs sociétés et des représentants de la Fédération chinoise venus faire le deal à Paris. » Comme si ces investissements mercato étaient également une stratégie nationale. Ce qui peut parfois déstabiliser : « Moi, personnellement, cet été, j’ai eu l’impression de ne rien maîtriser. Alors oui, on m’a filé ma commission conformément à ce qui avait été dit, mais jusqu’à la fin, j’ai eu peur d’être dans une farce » , témoigne l’agent anonyme. Parce qu’entre la méconnaissance du milieu footballistique, des us et coutumes, voire de la langue chinoise, cela fait beaucoup d’inconnus. « Des mecs me donnaient leur carte de visite, j’allais voir sur internet et je ne retrouvais pas le mec, car des Chinois qui s’appellent Li ou Qiang, il y en a des millions. Franchement, je ne peux pas te dire ça et te laisser donner mon nom, je vais passer pour un con, non ? » Le chinois mandarin, nouvelle langue d’avenir pour les agents de footballeurs ?

Dans cet article :
La Chine au cœur d’un nouveau scandale de corruption
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Par Nicolas Jucha

Tous propos recueillis par Nicolas Jucha, sauf mentions.

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