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- Russie-Arabie saoudite (5-0)
Cheryshev, j’ai rétréci les gosses
Plus personne ne croyait en Denis Cheryshev, qui n’avait jamais marqué avec la Russie. Mais la sortie sur blessure de Dzagoev a donné des ailes au gaucher de 27 ans formé au Real Madrid, qui a profité du match contre l’Arabie saoudite pour claquer un doublé (5-0).
Jusqu’ici, pour le grand public, Denis Cheryshev n’était qu’un vieux problème administratif du Real Madrid. Le 3 décembre 2015, lors de la Coupe du Roi 2016, le Russe, titularisé pour la première fois de sa vie avec l’équipe A madrilène lors d’un 16e de finale aller à Cadix, ouvrait le score dès la 3e minute. La vie était belle, Isco plantait les deux autres buts du match, puis la nouvelle tombait. Cheryshev était suspendu pour ce match et aurait dû rester à la maison. Une élimination administrative plus tard, le Real Madrid chasse cette petite honte en réintégrant doucement ses cracks dans l’équipe, et Cheryshev disparaît de la circulation, se contentant de vulgaires bouts de match. Moins de trois ans plus tard, Cheryshev, pur produit de la Castilla qui évolue aujourd’hui à Villarreal, voit enfin son nom associé à autre chose qu’à une grosse farce. Rien ne prédisait pourtant qu’il s’emparerait de la tête du classement des buteurs du Mondial après son doublé contre l’Arabie saoudite, jeudi au stade Loujniki (5-0).
Le Christophe Dugarry russe
Celui qui devait être le leader suprême des lignes offensives russes, le fer de lance de cette attaque s’appelle Alan Dzagoev. Mais le joueur du CSKA Moscou s’est occasionné un vilain claquage très tôt dans le match (23e). Appelé à la rescousse, Denis Cheryshev va faire ce qu’on appelle dans l’Hexagone une Christophe Dugarry. L’ancien Bordelais avait remplacé Stéphane Guivarc’h lors du premier match des Bleus en 1998 face à l’Afrique du Sud, puis marqué sur l’un de ses premiers ballons. Si le but du chroniqueur RMC n’était qu’une pauvre tête dont le mérite revenait surtout au centre de Zinédine Zidane, Cheryshev a de son côté fait le plus gros du boulot en mettant deux Saoudiens dans le vent d’un joli piqué, avant d’allumer Abdullah Al Muaiouf. 2-0, les supporters russes peuvent exulter. Mais si Dugarry s’était arrêté à un but lors du Mondial 1998, Cheryshev, lui, a décidé de doubler la mise en envoyant un sublime extérieur du pied gauche dans les arrêts de jeu qui fait déjà de lui un candidat au titre du plus beau but du Mondial.
Il n’avait jamais marqué en 11 sélections
Ancien latéral gauche, repositionné ailier tel un Gareth Bale, Denis Cheryshev ne marque pas beaucoup – il n’avait d’ailleurs jamais planté la moindre brindille en onze sélections avant cette rencontre –, mais lorsqu’il s’amuse à faire trembler les filets, il n’est pas du genre à faire dans la dentelle. Et ce n’est pas le pauvre portier polonais, Łukasz Skorupski, victime d’une demi-volée de l’extérieur du pied (déjà) avec les Espoirs le 6 septembre 2012 qui dira le contraire. Ce golazo avait amorcé la réconciliation entre Denis Cheryshev et la Russie, pays qu’il a quitté à six ans au gré du transfert de son père footballeur au Sporting Gijón. Sous le soleil espagnol, Cheryshev se sent bien, au point d’avouer à Marca en 2011 qu’il ne sait pas vraiment quelle patrie choisir : « Je ne ferme pas les portes de laRoja. En fait, je me considère plus espagnol que russe parce que j’ai vécu toute ma vie en Espagne, même si je suis né en Russie. Mais bien sûr, j’ai une part en moi qui est russe. Par exemple, mon nom. » Des propos qui n’avaient alors pas vraiment plu au pays de Poutine.
Finalement appelé par la Russie, Denis Cheryshev n’avait jamais vraiment pu s’exprimer en sélection, du fait de son éviction au dernier moment en 2014 – alors qu’il était dans les 25 de Fabio Capello – et de sa blessure en 2016. Mais ça, c’était avant ce doublé face à l’Arabie saoudite qui a définitivement fait entrer celui qui sort d’une saison très solide avec Villarreal dans le cœur des supporters russes qui l’ont un temps chahuté, lui qui est le seul joueur de champ de cette sélection à évoluer à l’étranger. La preuve que l’amour rend aveugle. À ce propos, l’extérieur de la chaussure de Denis Cheryshev ne doit pas y voir très clair.
Par Steven Oliveira et Matthieu Pécot, au stade Loujniki