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Chemnitz et l’hommage de l’indécence
Jadis nommée Karl-Marx-Stadt, la ville de Chemnitz fait souvent parler d’elle en mal. En août dernier, parce qu’elle était le théâtre d’émeutes racistes. Ce week-end, parce que son Chemnitzer FC a rendu hommage à un ancien néo-nazi local.
Cela aurait pu être le match du week-end en Regionalliga Nordost, la quatrième division allemande qui épouse les frontières de l’ancienne RDA. Relégué la saison dernière, le Chemnitzer FC, solide leader et candidat à une remontée immédiate en D3, recevait la VSG Altglienicke. Score final : 4-4. Un nul dantesque obtenu par les visiteurs berlinois à la dernière seconde, mais terni par le bad buzz provoqué par les images de la télévision régionale. Alors que leur portée reste confidentielle en temps normal, celles-ci ont rapidement fait le tour du pays et rajouté une couche de mauvaise réputation à la ville de Chemnitz, qui souffre depuis longtemps de son association avec l’extrême droite.
Nach der Trauerbekundung für den #Neonazi Thomas #Haller vor dem Spiel gegen @VSG_Berlin hat es beim @ChemnitzerFC den ersten Rücktritt gegeben. Der Verein verteidigte zunächst sein Vorgehen, bestrafte aber Daniel #Frahn.https://t.co/7SAW5E1sQp #cfc #chemnitz #sachsen pic.twitter.com/HPMj61EWqh
— Sport im Osten (@SportimOsten) 10 mars 2019
Support your local hools
La scène a quelque chose de gênant. Elle commence par ces mots du speaker du stade : « Hier(…)nous est parvenue la triste nouvelle(…): notre Tommy Haller bleu ciel (la couleur du club, N.D.L.R.) a perdu son combat contre une longue maladie. Le Chemnitzer FC faisait partie de sa vie. C’était un supporter passionné de notre équipe. » S’ensuit une minute de silence, lors de laquelle le portrait du fameux Tommy Haller s’affiche sur les écrans géants du Stadion An der Gellertstraße : regard sévère, casquette noire vissée sur le crâne, veste en cuir sans manches, chaînes en argent autour du cou… La mine patibulaire du bonhomme accompagne le déploiement d’une grande croix blanche sur fond noir, autour de laquelle s’allume un grand feu de torches rouges et blanches. Trois couleurs anodines en apparence, mais qui en lisant entre les lignes rappellent celle du drapeau du Reich allemand. Et cela n’a rien d’anodin.
Y este es el homenaje del estadio a Thomas Haller, líder neonazi reconocido y fundador de una organización nazi, racista y hooligan (esa es descripción). Es el estadio del Chemnitzer FC. pic.twitter.com/556yqASLiv
— Niporwifi © (@niporwifi) 10 mars 2019
Car Thomas Haller n’était pas un supporter comme les autres. Au début des années 1990, alors que l’ex-RDA est en ruine, il surfe sur la vague néo-nazie qui commence à gangrener l’État disparu en fondant le groupe HooNaRa, un acronyme dont il n’est même pas nécessaire de traduire la signification : Hooligans-Nazis-Rassisten. Trois adjectifs qui résument le personnage d’Haller. C’était notoire à Chemnitz. À tel point qu’il faisait l’objet d’une surveillance de la part de la Verfassungsschutz, un office fédéral de renseignement chargé de la protection de la démocratie à travers le respect de la Constitution allemande. HooNaRa est officiellement dissous en 2007, mais Thomas Haller ne s’arrête pas pour autant. S’il se fait plus discret, on le considère comme l’un des instigateurs de la résurrection du milieu d’extrême droite à Chemnitz. Son implication dans les émeutes ayant suivi un meurtre commis par un réfugié syrien l’été dernier est également avérée.
Dans le civil, Haller bossait pour une entreprise de sécurité qui a même un temps loué ses services au Chemnitzer FC. Mais la collaboration prend fin en 2007 – l’année de la dissolution de HooNaRa – en raison de « propos préjudiciables » , pour reprendre la justification officielle du club, lequel, douze ans plus tard, a participé à lui rendre hommage après son décès des suite d’un cancer. Pendant sa lutte contre la maladie, ses camarades avaient édité un T-shirt au message évocateur : « Support your local hools » et dont les bénéfices devaient aider à payer son traitement. Après avoir inscrit son but contre Altglienicke, l’attaquant Daniel Frahn est allé en chercher un exemplaire sur le banc de touche et l’a soulevé haut dans les airs, en direction du kop. « Un beau geste » , a commenté le speaker sur le moment. Sauf que Frahn n’avait visiblement aucune idée de la portée de son « beau geste » .
Une excuse : distinguer l’homme de son œuvre
Devant le déferlement d’indignation provoqué par l’hommage rendu, le Chemnitzer FC a été contraint de réagir. Premier geste : sanctionner Daniel Frahn d’une amende pour avoir brandi le T-shirt polémique. « Il est pour nous inacceptable qu’un joueur affiche un message d’une quelconque sorte sans en avoir parlé au préalable avec des responsables du CFC » , a ainsi déclaré le directeur sportif Thomas Sobotzik. Frahn a bredouillé quant à lui quelques excuses pour tenter de justifier son geste : « Je sais que ce T-shirt était vendu lorsque Thomas Haller était malade pour couvrir ses dépenses médicales. Mais je n’étais pas au courant qu’il était aussi répandu dans le milieu nazi » , explique celui qui a rencontré l’intéressé lors d’échanges avec les supporters : « Il n’a jamais parlé de politique en face de moi. Et je suis loin de partager ses convictions. » Frahn a-t-il péché par naïveté ? Quoi qu’il en soit, il fallait un coupable. Le lendemain des incidents, une tête est tombée : celle de Thomas Uhlig, directeur financier et événementiel. « Afin de maintenir le Chemnitzer FC éloigné de tout préjudice, j’ai pris la décision de quitter toutes mes fonctions avec effet immédiat. De par mon statut(…), je porte la responsabilité des matchs du CFC et des effets secondaires qui les accompagnent. »
Klub wehrt sich gegen Vorwürfe: Chemnitzer FC lässt Trauer um Neo-Nazi zu https://t.co/n3gjM4SqKA pic.twitter.com/dc7O29bv50
— Euro-Journal.press Deutsch (@EuroJournalDE) 10 mars 2019
Mais cet hommage a également eu des conséquences là où on ne les attendait pas forcément. Sur sa page Facebook, Peggy Schellenberger, fan du Chemnitzer FC, élue au conseil municipal sous l’étiquette du SPD (social-démocrate) a ainsi présenté ses condoléances à Thomas Haller par ces mots : « Nous vivions dans des mondes complètement différents et avons fini par choisir des voies diamétralement opposées.(…)Nous avons toujours été justes, droits, apolitiques et cordiaux l’un envers l’autre. C’est ce qui t’a rendu exceptionnel. Repose en paix. » Si le message a depuis disparu, le SPD a fait savoir que Mme Schellenberger, qui a assuré s’exprimer à titre personnel et non politique, ne représenterait pas le parti aux élections communales du 26 mai prochain. « Présenter ses condoléances n’est pas apolitique. Il faut que cela se sache. Elle l’a fait, mais cela n’a rien à voir avec le SPD de Chemnitz et nous nous distançons de cette déclaration » , a commenté le député Detlef Müller, chef du groupe social-démocrate à la mairie.
Tout cela amène une dernière question : l’hommage en question aurait-il pu être évité ? Son inscription sur le programme du match laisse supposer que le club savait parfaitement ce qu’il faisait, même s’il s’est défendu dans un communiqué qu’il ne s’agissait pas « d’un deuil officiel » , ni « d’une commémoration de ce que fut la vie du défunt » et que « cela a été fait conformément aux recommandations faites par les forces de sécurité » . La porte-parole de la police locale Jana Ulbricht précise cependant qu’elle n’a rien pu faire pour l’empêcher : « Nous avons reçu de nombreuses préoccupations à ce sujet. Mais nous n’avions pas la possibilité de l’interdire, car il n’y avait pas rien de pénalement répréhensible. » À défaut de zone rouge, le Chemnitzer FC a pris un malin plaisir à flirter avec la zone grise.
Par Julien Duez
Tous propos recueillis par le Mitteldeutscher Rundfunk et la Freie Presse. Images d’illustration : Chemnitzer FC / Capture Twitter UltraStyle01