- France
- Histoire
Chayriguès, la première étoile du foot français
Au début du XXe siècle, Pierre Chayriguès est un gardien de but redouté. Tant avec le Red Star, où il soulève trois Coupes de France, que chez les Bleus, le portier brille par son style spectaculaire. Précurseur à son poste, c'est aussi un pionnier en coulisses. Portrait.
« Chayriguès gagne la Coupe de France. » Ce lundi 25 avril 1921, le titre à la Une du journal L’Auto est sans équivoque : le Red Star Amical Club vient de remporter sa première coupe nationale, et il le doit surtout à son gardien, Pierre Chayriguès. La veille, 18 000 spectateurs se massent dans les travée du stade Pershing de Vincennes pour assister à la finale entre les Audoniens et l’Olympique de Paris. L’événement à ne pas rater, à une époque où le championnat national amateur a disparu depuis deux ans, et le championnat de France professionnel n’existe pas encore – il apparaîtra en 1932-33.
L’après-midi est ensoleillé. Clavel ouvre la marque pour les Redstarmen (53e), puis Naudin enfonce le clou (77e). Mais Landauer réduit la marque dans la foulée (78e), avant que son équipe ne se procure une balle d’égalisation sur penalty. Jeune international, Jules Dewaquez se présente face à Pierre Chayriguès, qui, en guise de rituel, crache dans ses gants et remet en place sa casquette. La frappe file dans les bras de « Pierrot » , qui a bien senti le coup en restant au centre de ses cages. « Merci Julot » , lance le gardien, chambreur, au tireur malheureux. L’Olympique a laissé passer sa chance. Le Red Star l’emporte, Chayriguès le revenant est porté en triomphe.
« J’ai compris tout de suite que le gardien devait être autre chose qu’un homme enfermé dans sa cage »
Deux ans que le portier vedette du football français avait disparu des radars. La faute à des fractures du bassin et de l’épaule contractées lors des Jeux interalliés (compétition multisports destinée au personnel militaire ayant participé aux combats de la Première Guerre mondiale du côté de la Triple Entente) de 1919. Repéré à l’âge de 18 ans à l’US Clichy, le jeune gardien atypique signe chez les Marine et Blanc (le Red Star n’endossera le Vert qu’à partir des années 30) en 1911. Il passera toute sa carrière à Saint-Ouen. Ses épaules carrées, sa souplesse et son explosivité compensent largement sa petite taille (1m70, voire encore moins selon certaines sources). Son style atypique interpelle le public audonien… avant de mettre tout le monde d’accord. Plongeons, dégagements aux poings, sorties au devant des attaquants : Chayriguès est un précurseur. « J’ai compris tout de suite que le gardien devait être autre chose qu’un homme enfermé dans sa cage. J’ai donc décidé de quitter ma ligne de but et de me promener dans les dix-huit mètres, à la fois pour mieux anticiper le jeu, stopper l’attaque adverse et relancer les contre-offensives » , explique-t-il plus tard dans ses Mémoires.
Ses qualités, le titi parisien a très vite l’occasion de les démontrer en sélection. Le gardien endosse le maillot bleu pour la première fois le 29 octobre 1911 à Luxembourg. Face aux Luxembourgeois, l’équipe de France s’impose largement (4-1). Fort de son statut de titulaire au sein du club référence de l’Hexagone (de nombreux joueurs du Red Star sont sélectionnés en équipe de France, ils sont cinq sur le terrain le 1er janvier 1911 face à la Hongrie, 0-3), Chayriguès s’impose aussi chez les Bleus. Pour preuve, L’Auto voit en lui « le meilleur de nos gardiens français » après l’éclatante victoire tricolore contre la Suisse (4-1), le 18 février au stade de Paris (futur stade Bauer). Mieux, il tape dans l’œil des Anglais ; Pierre Chayriguès s’illustre en équipe nationale face aux Three Lions (1-4) et avec le Red Star devant Tottenham (1-2) : la Football League anglaise et son statut professionnel s’offrent à Chayriguès sur un plateau d’argent. Mais « Peter » , comme l’appellent ses nouveaux fans, ne verra pas l’Eldorado de l’autre côté de la Manche. En 1914, la Première Guerre mondiale est déclarée, il doit rallier son régiment.
Un pro avant les pros
S’il ne rejoindra pas la perfide Albion après l’armistice, c’est aussi parce que l’homme a de bonnes raisons de revenir au Red Star. Précurseur à son poste, le natif de Levallois-Perret l’est aussi en dehors des terrains. Électricien dans le civil, Pierre Chayriguès sait monnayer ses prestations de génie du week-end : à partir de 1922, soit une décennie avant l’instauration du professionnalisme en France, le gardien vit déjà du football. « Les indemnités variaient, évidemment, mais il m’arriva souvent de toucher, d’un coup, 2 000 francs » , écrit-il dans ses Mémoires. Une vraie fortune (le pouvoir d’achat de 2000 anciens francs en 1922 équivaut à plus de 2200 euros en 2014) ! Et le joueur empoche aussi des frais médicaux ou de déplacements. « Est-ce moi qui ai sollicité ? Pas du tout, c’est le club tentateur qui m’a fait des propositions et, une fois professionnalisé par le club, je pensais qu’il n’y avait aucune raison pour que Ligues et Fédération ne me payent pas aussi » , poursuit Chayriguès.
Ce qui ne l’empêche pas, après avoir raflé trois Coupes de France sous la tunique du Red Star (1921-22-23), de disputer les Jeux olympiques en 1924, une compétition officiellement réservée aux amateurs. Mais son style de feu follet lui cause trop souvent des blessures. En quarts de finale des JO, un contact violent avec l’Uruguayen Petrone (1-5) lui brise une côte. Avant une double fracture cheville-péroné qui sonnera le glas de sa carrière, il revient une 21e et dernière fois en sélection contre l’Angleterre (2-3), le 21 mai 1925. Quatorze ans après sa première cape, le gardien de 33 ans régale Colombes de ses parades spectaculaires comme à ses plus belles heures. Les années folles, c’est aussi Chayriguès.
Par Florian Lefèvre
Sources :
- Histoire d'un siècle Red Star, écrit par François de Montvalon, Frédéric Lombard et Joël Simon
- Red Star, écrit par Pierre Laporte et Gilles Saillant
- https://uneautrehistoiredufoot.wordpress.com/2012/01/06/la-premiere-star-du-foot-francais-jouait-au-red-star/
- http://yourzone.beinsports.fr/pierre-chayrigues-pionnier-football-francais-annees-20-gardien-but/