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Châteauroux : vers des noces funèbres ?

Par Maxime Brigand

Relégable début mars, la Berrichonne de Châteauroux s’est retapée sur le terrain lors de la 2e partie de saison de National 1 et n’est plus qu’à quelques foulées d’un maintien vital. Reste qu’en coulisses, où les tensions commencent à se multiplier, autre chose se joue : l’avenir du mariage entre le club et le groupe United World. Explications.

Châteauroux : vers des noces funèbres ?

Comme souvent, cette histoire a commencé avec des yeux écarquillés et des sacs d’espoir. Elle a également débuté par un communiqué, publié début mars 2021 sur le site officiel d’un club alors en Ligue 2, la Berrichonne de Châteauroux, et dans lequel on pouvait entre autres lire ces mots, choisis par un certain Abdullah Al-Ghamdi, CEO dans la vie : « Notre vision est de faire de la Berrichonne de Châteauroux un club compétitif et fédérateur jouant au plus haut niveau possible dans le football français. Nous sommes convaincus que cette vision prendra forme rapidement. » Al-Ghamdi n’est pas le CEO de n’importe quoi, mais d’un groupe, basé à Genève, appelé United World, déjà propriétaire de différents clubs (Sheffield United, Beerschot, Kerala, Al-Hilal United) et dont le site internet s’ouvre sur une photo de Pelé où l’on peut lire la citation suivante : « Le succès ne vient pas par accident. C’est le fruit du travail, de la persévérance, de l’apprentissage, du sacrifice, et plus que tout, de la passion que vous avez pour ce que vous faites ou pour ce que vous êtes en train d’apprendre. » Et c’est ainsi qu’au printemps 2021, Châteauroux, pourtant dans l’ascenseur pour redescendre au troisième étage national, a vu son monde changer. Depuis, sur le terrain, voilà l’affaire : la Berrichonne, pilotée à distance par les dirigeants du groupe United World et véhiculée sur place par trois historiques (Michel Denisot dans le rôle de président non exécutif, Patrick Trotignon dans celui de directeur général, Julien Cordonnier dans celui de coordinateur sportif), a vécu une première saison complète contrastée dans sa nouvelle robe (5e, à dix points du podium), puis en traverse aujourd’hui une seconde encore plus agitée. Relégable à la mi-championnat, toujours dans la zone rouge après 23 journées, Châteauroux s’est finalement relevé avec le troisième meilleur bilan de la phase retour et est désormais septième à quatre journées de la fin. Malgré tout, toujours assez éloigné du plus haut niveau possible, donc.

Seulement 8 joueurs sous contrat au 1er juillet 2023

Le foot restant le foot, les résultats sportifs n’ont pas été sans conséquences. Arrivé au même moment que les nouveaux patrons, Marco Simone a été remplacé à l’automne 2021 par un spécialiste du National 1, Mathieu Chabert, qui n’a, lui, pas résisté à son bilan de la première partie de saison en cours (quatre victoires en treize journées) et a filé le témoin à Maxence Flachez. Un cran plus haut, Julien Cordonnier a rendu son tablier début 2023 pour rejoindre le FC Sochaux, et Michel Denisot a jeté l’éponge dans le sillage du 32e de finale de Coupe de France face au PSG, perdu par la Berrichonne (1-3) le 6 janvier.  « Je ne sers à rien et je ne veux pas rester un président qui ne sert à rien », a justifié ce dernier il y a quelques jours sur l’antenne de France Bleu Berry alors que son départ a été officialisé plus de quatre mois après qu’il a fait part de sa décision à Al-Ghamdi. Comme sur d’autres sujets, Denisot avait pourtant demandé au boss de United World de communiquer, mais ce n’est visiblement pas dans la culture du groupe : depuis leur atterrissage dans l’Indre, les dirigeants n’ont jamais accepté de prendre médiatiquement la parole, ce qui ajoute du brouillard à une situation globale qui ne manque pas de flou et qui est régulièrement qualifiée de « brûlante ». Elle l’est d’abord sportivement, Châteauroux n’étant toujours pas officiellement maintenu et ayant notamment passé sa saison à payer la non-anticipation de la vente de ses deux fusils majeurs (Thomas Robinet et Siriné Doucouré) lors de l’ultime journée du mercato estival.

Je ne sers à rien et je ne veux pas rester un président qui ne sert à rien.

Michel Denisot sur France Bleu Berry

Bien placée offensivement selon les stats avancées (41,11xG, soit le 2e plus haut total du championnat), la Berrichonne, privée d’une pointe enflammée, l’est beaucoup moins dans les faits (10e attaque avec 35 buts marqués) et a vu cet hiver le dossier être placé au centre de la rupture entre Cordonnier et United World, l’ancien coordinateur sportif souhaitant, par exemple, attraper l’été dernier un joueur comme Fahd El Khoumisti (29 ans), 34 buts claqués lors de ses 57 derniers matchs de N1. Problème, le groupe United l’a jugé trop vieux et a définitivement acté sa volonté de ne chasser que des jeunes pousses, à l’image du défenseur brésilien Pedro Libardoni (21 ans), arrivé l’été dernier et qui a refait ses valises dès janvier sans avoir disputé la moindre minute avec l’équipe réserve. Sur le plan sportif, au-delà des résultats et quelques bonnes pioches arrivées en prêt (Viltard, Ahoussou), ce qui est régulièrement pointé du doigt par plusieurs sources est la lenteur, mais aussi la grande complexité, des processus sur le recrutement, « inadaptés pour un tel projet » selon un acteur, alors que Julien Cordonnier a été remplacé par Osama Hawsawi, qui ne parle que très peu français. À quelques semaines de la fin de la saison, il ne faut d’autre part pas mettre de côté un autre fait : pour le moment, au 1er juillet 2023, la Berrichonne n’aura que huit joueurs sous contrat.

« La maison est en train de doucement brûler »

Reste que la grande question du moment tourne plutôt loin du gazon : dans quel état sera le club au début de l’été ? Alors que les salariés du club bossent actuellement sur des grandes dalles de doute, plusieurs fournisseurs de l’institution du Berry ont en effet fait remonter ces dernières semaines des retards de paiement, que l’on est en mesure de confirmer. Des prestataires, qui ont par exemple été sollicités pour la réception du PSG, sont également dans l’attente de leur chèque. En interne, les salaires sont jusqu’ici versés à l’heure. En sera-t-il autant au printemps ? Normalement, oui, mais ce qu’il se passe dans un autre club du groupe, Sheffield United, depuis quelques semaines, ne pousse pas vraiment à l’optimisme dans les locaux castelroussins. Demi-finalistes de la FA Cup et sur la route d’un retour en Premier League, les Blades, rachetés en septembre 2019 par United World et son chef, le prince saoudien Abdullah bin Mossad, ont été récemment soumis à un embargo sur les transferts pour cause d’échéances impayées. De son côté, Abdullah bin Mossad ne cache pas depuis plusieurs mois son souhait de céder le club anglais et des négociations sont toujours en cours avec Dozy Mmobuosi, un homme d’affaires qui s’agite pour médiatiser cette transaction et qui est même venu dérouler son programme au micro du podcast de Rio Ferdinand début février. Faut-il voir là-dedans la première pierre d’un retrait du groupe United World dans le foot ?

Maintenant, il faut faire briller le bijou, mais depuis janvier, United, je n’ai pas de contacts avec eux. Je n’ai parlé à personne. Je regrette qu’ils ne communiquent pas. Il faut qu’ils changent.

Michel Denisot

Le message passé en interne par les propriétaires est plutôt que « bientôt, tout ça ne sera qu’un mauvais passage », alors que d’autres voix ne cachent pas leur inquiétude, évoquant tour à tour « une situation très, très désagréable » et « un climat de confiance érodé entre les différentes parties du projet ». Un témoin : « Que ce soit les partenaires commerciaux, les fournisseurs et même la DNCG, qui doit nous attendre avec un gourdin, il y a des craintes. Il va falloir agir. » Ces derniers jours, Michel Denisot n’a ainsi pas caché avoir voulu se retirer de son poste de président non exécutif pour « retrouver sa liberté de parole » et, dans les prochains mois, cela pourrait bien s’accompagner d’un retour aux affaires dans un autre rôle, comme celui de président de l’association de la Berrichonne, ce qui lui permettrait de davantage pouvoir faire levier sur les choix opérationnels du groupe United World, hier vu comme un « sauveur », ce qui semble être de moins en moins le cas. À France Bleu Berry, Denisot s’est pour le moment contenté de dire qu’il espérait voir le groupe United World, parfois aux fraises dans l’interprétation des règlements selon les différents pays, « tenir dans les semaines qui viennent ses engagements ». Dans les pages de la Nouvelle République, le ton a été le même : « J’ai envie que le club marche bien, que les gens soient heureux d’aller au stade, qu’il y ait des bons résultats, qu’on passe de bons moments, que tout ce qui a été construit (un nouveau centre de formation, notamment, NDLR) soit valorisé à l’avenir parce qu’il y a tout ce qu’il faut. Maintenant, il faut faire briller le bijou, mais depuis janvier, United, je n’ai pas de contacts avec eux. Je n’ai parlé à personne. Je regrette qu’ils ne communiquent pas. Il faut qu’ils changent. » Au risque de voir les yeux s’écarquiller, mais pour une autre raison. Un proche du club pose la formule sur la table : « Là, la maison est en train de doucement brûler, mais pour le moment, on arrose le jardin. C’est vraiment maintenant qu’il faut bouger et rassurer les gens. »

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