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Château Valbuena

Par Monsieur Vincent Riou
Château Valbuena

Avant le Marseillais, il y eut le Girondin. Un type trop frêle et provocateur que tout le monde donnait perdant, mais qui, à bientôt 30 ans, va jouer sa deuxième Coupe du monde. Retour sur les traces du jeune Mathieu Valbuena.

À l’été 2004, Mathieu Valbuena quittait le Langon Castets FC pour le FC Libourne-Saint-Seurin. Dix ans plus tard, il se murmure que « Petit Vélo » en aurait gardé sous la pédale pour sa huitième et dernière saison à l’OM, et qu’il aurait les jambes pour enrouler du gros braquet au Brésil. Du haut de ses 34 sélections, et à bientôt 30 ans, c’est en tout cas un fait indéniable : l’ex-joueur le plus chambré de France fait figure de taulier chez les Bleus. Étonnant ? Pas tant que ça, à en croire ceux qui l’ont connu bien avant que son nom ne devienne familier des lecteurs de Sud-Ouest.

Écrire que Mathieu Valbuena a dû jouer des coudes pour se faire une place au soleil relève de l’euphémisme. Tripoteur, comédien, tricheur, clown, l’homme a souvent fait l’unanimité contre lui avant d’inverser la tendance. Bien avant d’être scruté par la loupe Canal et de devenir la cible facile des caricaturistes du pays, Valbuena avait déjà prouvé dans sa Gironde natale qu’il était un de ceux que l’adversité rend plus fort. Et s’il y a bien un homme admiratif de son parcours, c’est Jean-Louis Garcia, ancien entraîneur de la réserve des Girondins de Bordeaux. Malgré les recommandations insistantes de Philippe Lucas, son homologue du centre de formation, il n’a jamais réellement donné sa chance à Mathieu Valbuena. Et fait donc partie de ceux qui ont émis un avis défavorable à la signature d’un contrat professionnel par celui qui avait intégré la pépinière du club dès l’âge de 8 ans. « C’est une leçon pour tous les joueurs et dirigeants. Quand je le vois aujourd’hui décisif dans des gros matchs, ça me donne la chair de poule. Mathieu en voulait à la terre entière quand il n’a pas été retenu. Je me souviens, quand j’étais à Toulon : avec Libourne il met deux buts, et il est venu avec son poing rageur vers le banc. J’avais dit à Hutteau, son agent, que j’espérais qu’il ne se trompait pas de cible. Plus tard, quand j’ai joué l’OM avec Lens, ça s’est bien passé. Il m’a offert son maillot, ça m’a touché. »

Garcia ne cherche pas d’excuses a posteriori. Il reconnaît qu’il a manqué de flair : « Peut-être que l’on privilégiait de manière dommageable des qualités athlétiques, de puissance, plutôt que la technique. On avait gardé Francia, très technique aussi, bon sur coups francs comme Mathieu, et qui n’a pas fait sa carrière… » Il réfute néanmoins l’idée selon laquelle c’est uniquement pour sa petite taille que Valbuena est passé à la trappe : « J’ai connu Ziani à Nantes, il avait une endurance dingue. Mathieu, lui, n’avait pas ça. On pouvait légitimement douter de sa capacité à résister à l’impact. Mais dans le haut niveau amateur, il s’est forgé une carapace. Il a été obligé de se battre, et a montré qu’on avait tort. C’est admirable. S’il était resté à Bordeaux, le cul dans l’huile comme on dit, peut-être qu’il aurait végété et ne serait pas devenu ce qu’il est devenu. »

« T’es bon, mais tu rêves »

Quand il apprend qu’il n’est pas retenu à Bordeaux, Mathieu jure à ses parents qu’il ne jouera plus jamais au football de sa vie. Seulement voilà : c’est tout ce qu’il aime, et tout ce qu’il sait faire. Ce qui n’a pas échappé à Alain Jagueneau, qui travaille pour le GRETA Gironde, et s’occupe notamment de la formation des jeunes du centre de formation. « À la sortie des cours, je le retrouve en larmes, ses copains ont été pris, lui non, c’est le drame » , explique celui qui est aussi directeur sportif d’un club de CFA2, Langon-Castets. Il met alors au point ce qu’il appelle une « opération séduction » : « On a laissé passer la déception et profité de ma situation professionnelle pour le faire venir à Langon : on l’a invité avec ses parents à un repas de fin d’année chez le président du club, barbecue, piscine… » Les dirigeants vantent aux Valbuena l’ambiance familiale, et l’assurance de le conserver au Greta. Ce qui permettra à Mathieu, pas franchement passionné par les études, de continuer à voir ses anciens copains quatre demi-journées par semaine. Ses parents sont enthousiastes. « Des clubs de CFA lui proposaient de l’argent, nous juste des primes. Je pense que sa mère a eu une influence décisive, elle était séduite par le package sport étude et le côté humain » , explique-t-il.

En CFA 2, Mathieu se balade. « Il jouait 8, 10, 9, où il voulait, il nous faisait gagner tout seul ! Il nous disait :« Je serai pro, vous verrez. » Nous : « T’es bon, mais tu rêves. » Et lui : « Si, si, vous verrez » » , raconte Claude Ferrand, le vice-président du club. Stéphane Aymon, le gardien et capitaine de l’équipe, parle d’abord statistiques : « Il a largement participé au miracle de la survie en CFA2. Il nous a mis la moitié des buts et est à l’origine de la moitié des autres ! On le protégeait, parce qu’il y a des fautes très lourdes dans ces divisions-là… Y a pas la télé, alors quand tu tombes sur un malade, tu tombes sur un malade ! » Mathieu n’est pas le seul ancien recalé des Girondins dans l’équipe. « Ils venaient tous en voiture ensemble. On leur filait un peu d’argent pour payer le péage, ou un sandwich. » Un jour, Stéphane, associé dans une boîte de signalétique, vient poser des panneaux au Greta. Quand il le voit, Mathieu descend dire bonjour : « Il est resté discuter pendant trois heures. Y a un gars de l’école qui passe et qui lui dit : « Mais tu fais quoi ? » Il répond: « Bah on pose des panneaux. » Il n’a pas trop joué le jeu des études, le BEP vente, c’était plus pour la couverture sociale, passer le temps, et rassurer les parents, je pense. »

Tatouages samoans et fringues blanches

Un jour, Alain Jagueneau invite Mathieu à une remise de diplôme au GRETA, VIP, avec Chamakh et Battiston : « Il était fier, je l’avais présenté comme un « futur pro », Battiston m’avait regardé bizarrement ! J’avoue que même moi à l’époque je n’imaginais pas l’équipe de France, et tout ça. » Au vrai, personne n’aurait pu l’imaginer, comme l’explique Bernard Mugica, collaborateur de Sud-Ouest à Langon-Castets : « À 18 ans, il en faisait 14 ou 15. Il ressemblait à un cadet. Mais très vite, Mathieu est devenu le chouchou, parce qu’il régalait et qu’il ne lâchait jamais l’affaire. Dans le Sud-Ouest, ces natures-là à jamais rien lâcher, on appelle ça les tignous. Son père et son oncle, qui étaient attaquant et gardien, étaient pareils. La famille Valbuena, elle est bien trempée ! »

À l’époque déjà, Valbuena, c’est aussi un style. Stéphane Aymon se souvient de tatouages samoans dessinés au stylo que Mathieu prenait garde à ne pas effacer sous la douche : « ça me faisait marrer parce qu’il avait que ça à faire de la journée, de le refaire ! » Quant à son code vestimentaire douteux, les anciens s’efforcent de l’excuser en le mettant sur le compte des longues années passées en centre de formation : « On a été invités plusieurs fois chez ses parents, quartier résidentiel de propriétaires. Mais lui, il avait un style cité, quoi, et la culture aussi, il a toujours été comme il est maintenant, provocateur dans sa façon de s’habiller, se comporter, sa démarche. » S’il agace, il réussit quand même l’exploit de se faire applaudir à l’extérieur, « et c’est vraiment rarissime dans ces divisions-là » , insiste Jean Pierre Lécluse, son entraîneur d’alors.

Après une saison à se balader en CFA2, Valbuena rejoint Libourne en National. À l’antenne Sud-Ouest de la ville, c’est un photographe qui a bien connu l’animal qui répond au téléphone : « Il avait tendance à s’habiller de façon bizarre. Une fois où il était tout en blanc avec une casquette, il s’était fait traiter de petit flambeur, frimeur, par un coéquipier devant toute l’équipe. Et puis il n’a pas été forcément titulaire tout le temps, mais il marquait comme joker, dans le style qu’on lui connaît aujourd’hui, si bien que les gens râlaient, « Pourquoi il ne rentre pas ? » Même les dirigeants se plaignaient parfois publiquement que l’entraîneur n’ait pas fait« entrer le petit ». »

« Il a fait péter des plombs »

À Libourne, Valbuena sera élu meilleur joueur du National pour sa deuxième saison, et donc l’un des principaux artisans de la montée en L2, ce qui lui ouvre les portes de la Commanderie. Pourtant, tout n’a pas été si simple, au début, comme le rappelle Éric Becquet, journaliste à Sud-Ouest : « L’entraîneur, André Menaut, avait 70 ans. C’est un intellectuel, le doyen de la faculté de Bordeaux. Il avait été l’entraîneur des Girondins, l’un des premiers en France à avoir eu le diplôme d’entraîneur avec des super notes. Le problème, c’est qu’il fallait un bac + 5 pour comprendre ses causeries, c’était trop théorique ! » Mais ce n’est pas le seul problème : Menaut est un coach qui mise avant tout sur le physique. « Quand il entraînait Bordeaux, il utilisait Giresse, qui avait déjà un statut que n’avait pas Mathieu à Libourne, mais ça ne se passait pas bien. Giresse a dit « c’est lui ou moi » et évidemment, ils l’ont viré. » À Libourne, quand Didier Tholot remplace Menaut, Valbuena prend une autre dimension. Et en le voyant évoluer, dans les tribunes, les anciens qui avaient vu débuter Gigi sont frappés par la ressemblance dans « la prise de balle, la façon de pivoter, et l’intelligence dans le jeu » .

Pour Simon Adoue, son coéquipier à Libourne, « il était tellement technique qu’il a fait péter des plombs à beaucoup de défenseurs. » Tous ses anciens coéquipiers louent sa détermination. « Quand on était au repos, lui il tirait des coups francs, il faisait toujours des trucs en plus, il pensait foot tout le temps, raconte Roland Beka, qui est ce qu’on peut appeler un vrai ami : Un jour, il était sorti en boîte de nuit avec un bandana américain, imagine la touche ! Ça fait longtemps que j’ai pas de nouvelles là, mais si je l’appelle demain, je sais qu’il répond. À chaque fois que je le croise, c’est toujours le même. Si tu regardes bien, il est toujours ressorti des placards dans lesquels on l’a mis, même à l’OM avec Deschamps, hein… » rappelle-t-il à juste titre. Didier Tholot, lui, est en tout cas rassuré sur sa santé mentale en voyant le chemin parcouru : « On me prenait pour un fou quand je disais qu’il avait le potentiel pour être international. Au-delà de ses qualités, c’est quelqu’un qui n’a pas le mental et le discours d’un joueur lambda. Quand il ne joue pas, c’est pas la faute au contexte, au coach, à l’agent, non, lui il ferme sa bouche et travaille, il va obliger la personne en face de lui à admettre qu’avec lui, c’est mieux que sans. »

Parmi les téléspectateurs de Gironde qui regarderont d’un œil particulier les prestations de Mathieu Valbuena au Brésil, Christian Grenier sera certainement l’un des plus nerveux. Ce vieux pote de Carlos, le père, est aussi, accessoirement, son voisin. Il lui est parfois arrivé de garder Mathieu : « À 5, 6 ans, c’était pas un malin hein, mais il jouait au foot dans la maison, quoi ! C’était ballon, ballon. À 7 ans, il voulait être pro. Moi, j’ai vu chez les Valbuena, dans le couloir de la maison, des matchs de foot entre Mathieu et son père avec la porte d’entrée qui faisait les buts. C’est des accros. Mathieu, quand il a signé à Libourne, il s’était acheté une Fiat Leon, il était content. Aujourd’hui, il roule en Lamborghini, il a une Porsche Cayenne aussi. Il se fait plaisir quoi, et il a bien raison. »

Vincent Kompany, bien dans sa casquette

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