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Charles-Kader Gooré, nouveau canular pour le RC Lens ?
Il y a quelques semaines, l'homme d'affaires ivoirien Charles-Kader Gooré était annoncé comme le futur repreneur du RC Lens. Avec partenaires du Moyen-Orient pour l'appuyer. À 24 heures de l'échéance de son offre de rachat, l'opacité de son projet a de quoi inquiéter les amoureux des Sang et Or.
Ce vendredi 29 avril à minuit expire la procédure de conciliation pour le rachat du Racing Club de Lens ouverte par Gervais Martel. Dès le lendemain, le candidat à l’acquisition des Sang et Or, l’homme d’affaires Charles-Kader Gooré, attend une décision définitive du conciliateur du tribunal de commerce de Paris, la holding qui détient le club lensois étant domiciliée dans le 75. Tout pourrait sembler limpide dans le meilleur des mondes : lâché financièrement par un actionnaire ultra majoritaire, Hafiz Mammadov, qui a la tête sous l’eau en Azerbaïdjan, le RCL va être racheté par un entrepreneur ambitieux capable d’apporter sponsors et fonds du Sultanat d’Oman. Avec, si l’on en croit l’intéressé, la valeur symbolique d’investissements africains en Europe. Dans les faits, le rachat qui était annoncé quasiment bouclé en début de mois apparaît aujourd’hui compromis, entre les rumeurs d’un veto de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), l’invisibilité parfaite de Mammadov et les dénégations de ceux qui étaient jusqu’alors présentés comme ses partenaires financiers.
« Attention aux voies de recours d’Hafiz Mammadov »
Une opacité qui avait poussé Maître Didier Poulmaire, premier avocat contacté par Charles-Kader Gooré pour préparer le projet de reprise, à se retirer de la transaction. « Un contact du milieu de la finance m’a présenté monsieur Gooré il y a environ un mois. Mais je me suis retiré, car nous n’avions pas la même manière de voir les choses. » Pour l’ancien représentant de Yoann Gourcuff, l’idée est de soumettre un schéma « transparent » , et surtout, qui puisse satisfaire toutes les parties prenantes. « C’est un dossier complexe, il y a monsieur Martel, les pouvoirs publics, monsieur Mammadov. Il faut trouver des solutions respectueuses de tout le monde. » Or selon l’avocat, l’homme d’affaires ivoirien ne « se montre pas trop respectueux » ni enclin à communiquer les détails de son projet. Un premier écueil vis-à-vis de l’actuel actionnaire majoritaire : « Je vois un homme qui a mis 20 millions d’euros dans le club et qui peut vivre une vente sans son accord. Là forcément, je dis « Attention aux voies de recours d’Hafiz Mammadov », car c’est évident qu’il va déposer des recours. Et dans la situation actuelle, le club ne s’en relèverait pas forcément. » Or dans ce dossier, Maître Poulmaire a le sentiment que la précipitation est de mise, qu’il y a « le feu au lac à cause de l’échéance DNCG » , alors que dans ce type de transaction, « il faut prendre le temps de faire les choses correctement » . Avec une énigme à résoudre : « Pourquoi un homme d’affaires ivoirien et un fonds souverain d’Oman veulent investir dans un club de Ligue 2 français ? On ne m’a pas donné tous les détails. »
Charles-Kader Gooré lâché par ses partenaires omanais ?
Le partenaire financier annoncé n’en est plus un si l’on en croit les informations de France 3 Nord-Pas-de-Calais, mentionnant un e-mail d’un membre du bureau du président de l’Autorité publique pour la promotion des investissements et le développement des exportations (Paiped), qui dépend de l’OIF (Oman Investments Fund) : « Charles-Kader Gooré est bien notre représentant en Côte d’Ivoire, mais nous sommes actuellement en train d’envoyer des lettres à tous nos représentants pour les informer que nos accords seront annulés d’ici deux mois en raison de procédures internes. » Concernant un potentiel engagement dans le projet de reprise du RCL, comme cela a été évoqué dans plusieurs médias, le message est clair : « Ce que Charles-Kader Gooré souhaite faire avec le club n’a rien à voir avec notre activité de base.(…)Paiped ne fait pas partie de ce projet et ne le soutient pas. » Une révélation qui n’a pas de quoi surprendre Didier Poulmaire, car lorsqu’il a demandé à rencontrer ces partenaires omanais, il n’a obtenu qu’une fin de non-recevoir. « On était à l’hôtel, on m’a indiqué qu’ils étaient dans leur chambre, mais ils n’en sont pas sortis pour me rencontrer. » En clair, il ne faut pas s’attendre à voir un projet QSI-bis au stade Bollaert-Delelis, l’homme d’affaires polyvalent – ses activités vont de la production d’engrais au négoce de café en passant par la gestion immobilière – arrivant pour le moment seul. « Dans mes habitudes de business model, nous investissons directement et nous faisons appel ensuite à d’autres investisseurs » , a-t-il récemment expliqué à L’Équipe. Une manière de dire que les gros poissons suivront, et que dans un premier temps, il a les reins suffisamment solides, preuve en est l’implication du cabinet d’expert comptable francilien Wingate, qui s’il « ne croit pas en mon projet, ne va pas me suivre » . Didier Poulmaire est plus sceptique, même s’il « s’interdit d’être critique à ce stade » . La raison ? Il n’a pas eu de retour concret quand il a demandé des garanties sur les fonds promis. « On a vu beaucoup de situations où les gens arrivent avec plein de belles paroles, moi je demandais à ce que l’on puisse vérifier que les fonds étaient disponibles sur des comptes français. » Or, le projet de Charles-Kader Gooré prévoit un investissement de 50 millions d’euros sur cinq ans avec le dépôt d’une caution de 30 millions pour couvrir les trois premières années, avec en prime, une enveloppe n’excédant pas 2,5 millions d’euros, selon le JDD, proposée à l’avocat d’Hafiz Mammadov pour qu’il passe la main. On est loin de l’investissement de Roman Abramovitch à Chelsea, mais les montants n’en sont pas moins conséquents.
RC Lens, monument en péril
Reste à confirmer que les sommes sont bien disponibles dans la trésorerie de l’Ivoirien. Libération évoquait récemment un veto de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), hypothèse non confirmée par les autorités françaises, le ministre des Sports Patrick Kanner invitant à « être prudent sur ces informations » . Au niveau politique, le bruit court que Charles-Kader Gooré, proche de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, ne serait pas le bienvenu sur le sol français comme propriétaire d’un club de football de haut niveau, avec les avantages en matière de visibilité que cela implique. Alors que le projet de rachat du Racing pouvait apparaître de prime abord comme une sortie du tunnel pour le club artésien, ses supporters risquent de continuer à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête encore un certain temps. Que ce soit à la mairie de Lens, au cabinet Clifford Chance – qui assiste Gervais Martel – ou encore du côté de maître Pardo, le représentant d’Hafiz Mammadov, personne ne souhaite s’exprimer à cette étape du processus. Par peur d’un nouveau contre-pied ? Le Racing est clairement aujourd’hui un monument du football français en péril, mais personne ne veut assumer la responsabilité de sonner l’alarme.
Par Nicolas Jucha
Propos de Didier Poulmaire recueillis par NJ