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Charles Itandje : « C’est l’expérience qui a fait la différence »
Tout juste retraité des terrains après une dernière pige effectuée sous les couleurs du FC Versailles (N3), Charles Itandje a vécu avec émotion le sixième sacre européen de Liverpool, dont il a porté les couleurs deux saisons, entre 2007 et 2009.
La finale de Coupe d’Europe, c’est un truc que tu connais bien puisque tu as remporté l’Intertoto avec Lens contre Cluj en 2005. Alors quand un gardien se prend un penalty au bout de trente secondes, ça la fout un peu mal, non ?À ce moment-là, ça a dû être la panique totale. Ça a complètement remis en question le plan de Pochettino et son 4-5-1 avec un bloc qui reste bien bas en vue de se projeter, pas forcément sur les côtés, mais plutôt dans l’axe. Et là, putain, se prendre un penalty après moins d’une minute, surtout au vu du contexte, c’est fou, c’est inédit ! Mais c’est aussi ça qui fait la beauté du football.
Lloris aurait-il dû exécuter l’une des petites danses dont tu avais le secret pour déconcentrer Salah ?(Rires.) On parle d’un contexte complètement différent. Pour moi, Lloris est dans le top 5 mondial des gardiens sans discussion possible, je ne veux rien savoir. On le voit chaque année en club comme en équipe de France. Et puis, c’est aussi le seul gardien français qui a une telle prestance à l’étranger, ce n’est pas pour rien qu’il est capitaine, c’est très difficile en Angleterre. Alors dans le cas d’une finale de Ligue des champions, ce n’est pas une petite danse sur la ligne qui va changer quoi que ce soit. Je pense que dans ce genre de moment, l’attaquant ne te voit même pas, cela n’aurait eu absolument aucune incidence sur Salah. Chacun est complètement dans sa bulle. Mais en même temps, j’en suis venu à me dire qu’il n’allait pas pouvoir marquer tant la pression était forte et tant le scénario était dingue.
En face, on a évité la répétition du scénario catastrophe que nous avait servi Loris Karius la saison dernière.Becker a fait ce qu’il fallait sans être extraordinaire. Il a les qualités requises pour jouer dans un club comme Liverpool où on ne demande pas obligatoirement aux gardiens d’arrêter les ballons dans la lucarne, mais d’inspirer de la confiance, de capter les ballons proprement. Et c’est ce que l’on a vu aujourd’hui : même quand il se troue, il continue d’aller de l’avant et il est très fort dans ses prises de décision et ses duels, tout en sachant qu’il a des lacunes, notamment dans le jeu au pied, mais ce qu’il fait reste propre et cohérent. Et à ce niveau-là, ça suffit. Le temps fort de Tottenham sur la fin, c’est trop peu sur une finale de Ligue des champions. Ceci dit, ça peut être suffisant puisque Liverpool n’est rentré que trois fois dans la surface. Et ils ont marqué deux fois. C’est l’expérience qui fait la différence. On l’a vu également lors de la finale entre Arsenal et Chelsea. Techniquement, Arsenal n’était pas inférieur à Chelsea, mais en matière d’intensité, d’impact et de réalisme, il n’y avait pas photo.
Pour Jürgen Klopp, ça doit être une belle revanche, puisque ça brise la malédiction de ses trois finales européennes perdues.C’est des conneries, ça. Klopp, on remarquait déjà une énorme progression dans son coaching et son management et une évolution dans son projet de jeu depuis son arrivée à Liverpool. Il a très bien su s’adapter aux différents joueurs qu’il a eus et surtout, à les faire progresser. Salah par exemple : il y a trois ans de cela, à la Roma, il fait une saison exceptionnelle, mais jamais je n’aurais imaginé qu’il ait le potentiel pour jouer à Liverpool. Klopp a su le déceler et n’a pas hésité à mettre 45 millions d’euros pour l’avoir. Ce sont peut-être des détails, mais cela prouve que Liverpool est vraiment une institution malgré son énorme budget et possède tout un tas de gens qui travaillent très bien.
C’est la stabilité la clé de sa réussite ?J’ai vécu sous l’ère Benítez et je vois que sous l’ère Klopp, on remarque que personne n’est laissé de côté, que tout le monde se sent concerné. Aujourd’hui par exemple, on a vu Wijnaldum sortir à l’heure de jeu. Il ne fait pas la tête et il embrasse son entraîneur. Pareil avec Firmino, on ne sent aucune rancœur lorsqu’il doit céder sa place, c’est bien la preuve que le collectif prime sur les objectifs personnels. Tout ça est assez parlant. J’ai d’ailleurs lu un article dans la presse dans lequel il était écrit que Klopp disait, en parlant du ramadan, qu’il y avait des choses bien plus importantes que le football dans la vie. Mais putain, c’est un énorme message de tolérance qu’il fait passer là, surtout quand ça vise l’un de ses top joueurs ! À mon sens, Klopp était vraiment l’homme de la situation et c’est grâce à lui que Liverpool est devenu ce qu’il est aujourd’hui. D’ailleurs, ce club, c’est une institution avant d’être un club. Beaucoup de jeunes équipes européennes devraient s’en inspirer pour se fixer des objectifs qui vont dans cette direction. Le PSG par exemple.
Propos recueillis par Julien Duez, au Wanda Trabendo