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Chamakh, à la recherche du temps perdu
Marouane Chamakh va mieux. Transféré cet été chez le promu Crystal Palace, l'attaquant vient d'inscrire trois buts lors de ses trois dernières sorties en championnat. Une bouffée d'air inattendue pour celui qui n'a cessé de galérer en Angleterre depuis son arrivée à Arsenal, en 2010. À 29 ans, l'heure était enfin venue de reprendre en main une carrière vacillante.
On l’a oublié, mais Marouane Chamakh a un jour été hype. Un temps où, grâce à prestations étincelantes et des coups de tête de bonhomme, Booba lui dédiait encore dans l’album Lunatic, sorti fin 2010, une phase de rap pleine de subtilité : « passements de jambe, frappe d’enculé à la Chamakh » . Une époque aujourd’hui lointaine. Révolue. Ne servant plus que de souvenirs pour se consoler. Depuis, le MC des Hauts-de-Seine se paluche sur Balotelli et Benzema pendant que l’international marocain tente tant bien que mal de renouer avec la lumière. Buteur à trois reprises lors les trois dernières journées de Premier League, il a refait parler de lui et connaît un regain de forme inattendu. Histoire que cela se sache, un humoriste anglais fan de Crystal Palace, Jim Daly, a composé la chanson « Chamakh for good » , reprenant le célèbre tube « Back For Good » du boys band des années 1990 Take That. Une lueur bienvenue dans son aventure morose en Premier League. Car, depuis janvier 2011, c’est un véritable chemin de croix – long et cruel – que l’attaquant vit.
Arsenal, ce rêve éphémère
Les débuts, pourtant, fleurent bon l’idylle parfaite. Arrivé gratuitement à Arsenal à l’été 2010 en provenance des Girondins de Bordeaux, Marouane Chamakh entend entrer dans une autre dimension. Au regard de ses six premiers mois, on y a longtemps cru. Les supporters des Gunners aussi. En l’absence de Robin van Persie, habitué à squatter l’infirmerie, il réalise six premiers mois remarquables. Jusqu’à fin janvier 2011, il claque but sur but. Sept en championnat et 3 en Champions League. Des stats plus qu’éloquentes pour un attaquant supposé en phase d’acclimatation. Éric Bedouet, préparateur physique de Bordeaux, a vu grandir le gamin de Tonnens. Et, après l’avoir vu à l’œuvre durant ses années girondines, n’a jamais douté de ses qualités pour s’adapter à la Premier League. « Quand il jouait, c’était un sacrifice. Il se sacrifiait pour l’équipe, il courait de partout. Ce n’était pas le pur buteur comme Pauleta mais il faisait un travail de sape incroyable vis-à-vis des défenseurs. Il usait les défenses sans arrêt, jusqu’au bout, jusqu’à la dernière minute. Il faisait preuve d’abnégation, avait de formidables qualités physiques, se souvient-il avec enthousiasme. Il était inusable ! Vous pouvez demander au cardiologue. C’était un des joueurs qui restaient le plus longtemps dans le rouge. Il y a des joueurs qui rentrent dans rouge puis restent une ou deux minutes. Lui, il restait au-delà des cinq minutes. Il était vraiment dans le dur, il était capable de rester très longtemps et de répéter les efforts. Au niveau physiologique, c’était phénoménal. Il est assez grand, mince mais il fait mal… » .
En Angleterre, où le dévouement reste un principe sacré, l’attaquant fait étalage de toutes ses qualités. Buteur, rapide, altruiste envers ses partenaires, ne rechignant pas aux tâches défensives et possédant toujours ce formidable jeu de tête, il signe ainsi une entame tonitruante. Sauf que la chute en sera tout autant. La faute à un certain Van Persie. Revenu en pleine possession de ses moyens après la trêve hivernale, le Néerlandais enquille les pions comme jamais. Le commencement du calvaire. Dans une formation évoluant à une seule pointe, le Marocain n’entre plus dans les plans d’Arsène Wenger, préférant lui profiter enfin de son joujou RVP. « C’est vrai que Robin a été énorme. Il a été épargné par les blessures et a disputé quasiment tous les matchs. Cela a été compliqué pour Marouane parce qu’il jouait très peu de rencontres. Il n’avait plus trop sa chance et a perdu confiance. C’est ce qui a fait que c’est devenu difficile pour lui de rester performant » , confie Sébastien Squillaci, son ancien coéquipier à Londres durant deux saisons et demi (2010-2013).
La tête dans la cuvette à West Ham
Éric Bedouet, qui a toujours gardé un œil attentif sur la trajectoire de son poulain, affirme lui qu’ « Arsenal l’a tué » . Comment contredire cette évidence visible aux yeux de tous ? Relégué au statut de remplaçant, il voit avec impuissance son temps de jeu réduire comme peau de chagrin. Quelques minutes de jeu grappillées par ci, par là en championnat et même pas les Coupes en guise de réconfort. Chamakh disparaît totalement de la circulation. De manière assez incompréhensible et sans raison valable, Nicklas Bendtner, le Zlatan du pauvre, lui passe même devant. Situation qui ne fait que s’empirer au fil des mois. En avril 2012, photographié en train de fumer de la chicha avec Adel Taarabt après qu’Arsenal s’est incliné contre QPR (2-1), Wenger le réprimande publiquement : « Ce n’est pas la meilleur chose à faire. Nous souhaitons qu’il se concentre complètement – sans fumer » . Et si l’ex-Girondin avait manqué d’implication lors de son aventure londonienne ? Squillaci refuse d’y croire. « Je l’ai vu au quotidien, j’ai passé deux ans et demi avec lui et c’est une personne qui n’a jamais rien lâché. Il ne s’est pratiquement jamais blessé et avait un super état d’esprit. Il s’est toujours battu, même s’il a connu des moments difficiles. À l’entraînement, il a toujours été irréprochable. C’est quelqu’un de sérieux en dehors. Ce n’est pas ça qui a fait qu’il a moins joué » .
Alors, quand West Ham lui propose d’effectuer un prêt de six mois en janvier dernier, le bonhomme accepte volontiers la main tendue. L’occasion, se dit-il, de se relancer et de prouver à Wenger qu’il n’a rien d’un simple lofteur. Sauf que la pige chez les Hammers se transforme en cauchemar. 130 minutes disputées en six mois. Sam Allardyce lui préfère Carlton Cole ou Maïga, pourtant pas des pointures. Le bide total. À court de forme, l’attaquant explique aussi avoir été berné par le club. « J’ai fait un mauvais choix, a-t-il admis en août dernier à L’Équipe. Ça ne s’est pas bien passé du tout. Le manager m’avait promis qu’avec la blessure de Carroll, j’allais avoir du temps de jeu. Il m’a tenu un discours qu’il n’a pas du tout respecté. Alou Diarra m’avait prévenu. Mais je n’en ai fait qu’à ma tête et j’y suis allé quand même. Je me suis fait avoir » . Chamakh le sait, il vient là de rater le dernier recours d’espérer mieux à Arsenal, qui a entretemps recruté Giroud afin de pallier le départ de RVP. Avec du recul, il reconnaît avoir perdu le fil d’une carrière où il n’a pas toujours été le décideur. « J’aurais voulu avoir un peu plus de temps de jeu à Arsenal, mais je n’ai pas toujours eu ma chance. Mais c’est ma faute aussi. J’ai peut-être été trop têtu à vouloir rester aussi longtemps alors qu’on semblait me montrer une autre direction » .
Tout en bas pour mieux rebondir ?
Cette nouvelle direction, ce sera encore Londres. Cette fois, le sud, à Crystal Palace. Une modeste formation jouant le maintien cette saison en championnat, mais parfaite pour emmagasiner de la confiance et se relancer. D’autant que le club affiche un nouveau visage depuis l’arrivée de Tony Pulis, coach capable de miracles avec des moyens dérisoires. Alignée en 4-4-2, un schéma affectionné par le Marocain, la formation sied parfaitement à ses qualités selon David Bellion. « Quand on jouait en 4-4-2 avec lui devant, c’était génial. Il sait jouer avec l’autre attaquant et ses milieux. C’est là qu’il est intéressant. Il sait se montrer simple dans son jeu, détaille celui qui l’a côtoyé durant plusieurs saisons en Gironde. Tout le monde était attiré par Marouane dans le jeu parce qu’il te donne envie de jouer avec lui. C’est vraiment quelqu’un qui partage. C’est un attaquant assez différent du style classique, mais avec toutes les qualités de l’attaquant moderne. Il est vaillant, ne se plaint jamais même quand il prend des coups, excellent de la tête, joue en remise et se montre généreux » . La chance de bénéficier de temps de jeu et, surtout, de retrouver un plaisir quelque peu perdu. Pour autant, il ne souhaite pas a priori s’enraciner chez les Eagles, avec lesquels il a signé un contrat d’un an. Palace sert davantage d’exutoire à ses blessures passées pour mieux regarder vers un horizon plus faste. À bientôt trente piges, le temps a défilé à une vitesse folle pour Chamakh. Trop vite pour espérer une nouvelle mélodie en son honneur ?
Par Romain Duchâteau