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Chaker Alhadhur : « Des gens pensent que je suis gardien pour de vrai »
Il y a deux ans, Chaker Alhadhur s'installait dans le but des Comores, face au Cameroun en 8es de finale de la CAN, pour un match entré dans la postérité. À 32 ans, l'ancien latéral de Nantes, Caen et Châteauroux est aujourd'hui sans club, après une expérience ratée à l'AC Ajaccio. Il était temps pour lui de donner des nouvelles, autour d'un bon chocolat chaud.
Qu’est-ce que tu deviens ?
Je suis à Nantes, le temps de trouver un nouveau club, puisque je suis libre depuis juin 2023. J’ai 32 ans, je pense qu’il me reste encore quelques années. Je me maintiens en forme, et je suis aussi des petites formations pour créer son entreprise, histoire de m’occuper. Je suis sorti de la bulle dans laquelle sont les footballeurs, ça fait du bien. Je n’avais jamais eu cette vie-là.
Ta dernière expérience dans le monde pro, c’était avec l’AC Ajaccio, où tu n’as disputé que trois minutes…
Ça ne s’est pas passé comme je le souhaitais. Je suis resté deux ans là-bas, je n’ai pas eu le temps de jeu que j’aurais voulu. Peut-être que je ne leur convenais pas. Franchement, cet épisode d’Ajaccio, je n’ai pas trop compris.
Dans quelles conditions es-tu arrivé là-bas ?
J’arrive libre de Châteauroux, où ça s’était bien passé, mais je m’étais fait les croisés en novembre 2020. En 2021, je devais prolonger, mais ils sont descendus en National, et je n’ai pas pu prolonger. Ajaccio m’a contacté en octobre 2021, et j’ai accepté. C’était une année où il y avait la CAN, donc il fallait que je trouve un club pour y participer. Ajaccio m’a permis de jouer la CAN, donc pour ça, je les remercie. Moi, je n’étais pas à 100% parce que je revenais de blessure. Ça a été compliqué d’entrer dans la rotation. C’est dommage de me faire venir pour ne pas me donner ma chance. Est-ce que j’ai fait tout ce qu’il fallait pour retrouver mon niveau ? Je ne pense pas. Dans la rééducation, je pense que je n’y suis pas allé à fond, j’ai fait preuve de laxisme. Je ne peux en vouloir qu’à moi-même.
Châteauroux, ce sont les meilleures années de ta carrière ?
Les meilleures footballistiques oui, car c’est là où j’ai le plus joué. Après, mes meilleures années, c’était à Nantes. J’y suis né, j’y ai toute ma famille et je suis arrivé au FC Nantes à l’âge de 5 ans. Je n’ai connu que ce club jusqu’en pro. Je n’ai jamais connu le club du quartier. J’allais tout le temps au stade avec mon père : Denoueix, le titre de champion (2001), Beckham et Manchester United qui sont venus à Nantes, la Ligue des champions… Ça me faisait rêver. Je pleurais pour ce club ! C’est mon club de cœur. Mon rêve à moi, c’était de jouer à la Beaujoire. J’ai franchi toutes les étapes pour réussir à jouer à la Beaujoire, à faire monter l’équipe en Ligue 1, à jouer en Ligue 1. En plus, on avait un groupe exceptionnel, pendant la première saison après la remontée.
Il y a deux ans, tu disputais la CAN. Quel souvenir en as-tu gardé ?
C’est énorme. Je ne parle même pas de ce que j’ai fait personnellement. Faire une compétition internationale avec son pays, c’est incroyable. Peu importent les conditions. Tout le soutien, tout l’appui de ton peuple…
C’est un regret, de ne pas être qualifié pour celle de 2023 ?
Ça n’est pas facile, de se qualifier pour une CAN. Mais il y en a une autre qui arrive, au Maroc (juin-juillet 2025). On va essayer de se qualifier pour celle-ci (il a été appelé pour la dernière fois en sélection en mars 2023, NDLR).
Ce match contre le Cameroun, qu’est-ce que tu en retiens aujourd’hui, avec le recul ?
C’est dur d’y croire. Quand on me le rappelle… C’est loin derrière moi. Là quand je suis sorti de chez moi, j’ai croisé un petit, il m’a dit : « Ah t’es pas à la CAN ? », il m’a fait des signes de gardien.
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Tu en as marre qu’on t’en parle ?
Non, même pas ! Cette histoire, on me la rappellera toujours. C’est toujours marrant. C’est toujours un plaisir de raconter ce genre d’histoires. On m’en parle forcément, quand on me voit. Il y a des gens qui m’ont découvert comme ça. Il y en a qui pensent que je suis gardien, pour de vrai ! Quand je rentre au pays, les gens ne savent pas comment je m’appelle, ils m’appellent juste « gardien ». Ça ne me dérange pas.
Tu gardes de l’amertume à cause de la façon dont ça s’est passé ?
Il s’est passé tellement de trucs, c’est allé trop vite. Comme tu es dans une sorte de bulle, tu prends les choses comme elles sont, et tu avances. Mais en vrai, ça n’est pas normal. Comment, dans une compétition aussi grande que la CAN, un joueur de champ a pu commencer un match gardien de but ? Ça n’est jamais arrivé ! Devoir aller au but pendant un match, ça peut arriver. Mais commencer gardien, ça n’est pas possible. C’était du grand n’importe quoi. La FIFA aurait dû intervenir.
Tu le vois aussi comme une chance, d’avoir pu vivre ça ?
Oui, c’est sûr ! Les trois premiers matchs, j’étais dans le groupe, mais je ne suis pas entré. Ça a joué sur le fait que je veuille jouer. Je ne me suis pas dit « c’est mon moment ». Mais si je peux aider l’équipe, je le fais. Quand je suis venu en sélection, mon objectif était de jouer une compétition avec mon pays. Depuis 2014, j’avais joué tous les matchs, jusqu’à ma blessure. Finalement, je me suis blessé, c’est sûr que je n’étais pas en condition. La seule CAN que j’ai faite, c’est en tant que gardien. Ça n’était pas mon objectif de base. (Rires.) Mais j’ai participé à une CAN ! J’ai aidé la patrie.
Tu as déjà repris les gants par la suite, ne serait-ce qu’à l’entraînement ?
Non ! Gardien, ça n’est pas mon poste. Je n’ai pas joué gardien parce que j’avais des qualités de gardien, mais parce que j’étais le plus apte à y aller, au vu de mon expérience, ma qualité technique. Il fallait quelqu’un qui a du sang-froid, qui peut monter et jouer comme un libéro. Mais j’étais nul en tant que gardien. Même si j’ai fait des arrêts ! Parfois, on reparle de ce match avec Youssouf M’Changama, parce que lui, dans ce huitième de finale, il a été… Il met un coup franc de fou ! Il a aussi eu son moment.
C’était l’accomplissement ultime pour toi, de participer à la CAN ?
Bien sûr ! Notre fédération a été affiliée à la FIFA en 2005, c’est récent. De 2005 à 2014, je ne te raconte même pas ce qui se passait. (Rires.) Force à Kassim Abdallah, Youssouf M’Changama et les autres, qui étaient là à cette période-là, parce que c’était très difficile. C’est à partir de 2014 que ça s’est structuré. Et on a mis sept ans à se qualifier pour une CAN. Oui, c’est le rêve ultime. Après, il y a la Coupe du monde ; et on est bien partis ! On a gagné nos deux premiers matchs contre la Centrafrique et le Ghana. On est premiers avec six points, mais il y a aussi le Mali. Le chemin est long, très long. Ce qui nous rend encore plus fiers, c’est d’avoir développé le football comorien. Maintenant, les jeunes Comoriens viennent de plus en plus tôt en sélection. Ils sont moins réticents qu’avant.
Lors de cette CAN, on a vu la Mauritanie, coachée par ton ancien sélectionneur Amir Abdou. Tu as un petit attachement à cette sélection, du coup ?
Avec Amir Abdou, on a vécu tellement de choses ensemble qu’on sera liés pour toujours, comme avec tous les joueurs. On a commencé ensemble en 2014, quand je suis arrivé. J’attendais le bon moment, avant c’était trop le bordel. C’est lui qui m’a appelé, en même temps que plein d’autres joueurs évoluant en Europe. C’est un peu là que l’aventure a vraiment commencé. Quand il est parti, je lui ai envoyé un message. Je le connais par cœur, Amir. (Rires.) Il y a eu des hauts et des bas, mais on est tous fiers de ce qu’il est devenu. Il est vraiment parti d’en bas. Quand je suis arrivé en sélection, il travaillait dans une mairie. (Il était agent territorial au service jeunesse de la mairie de Bon-Encontre, dans le Lot-et-Garonne.) De voir là où il est arrivé, c’est beau ! On ne peut que le féliciter.
Juste après cette CAN 2021, pendant laquelle tout le monde parlait de toi, ça n’a pas été compliqué de revenir en club, où tu étais au placard ?
De toute manière, la sélection, ça a toujours été comme ça. Quand tu rentres en Afrique, là-bas tu es une autre personne. Tu es la star de chez toi, de ton village, un peu de ton pays. Et quand tu reviens ensuite en France, pas seulement pour moi, mais pour beaucoup de joueurs, tu retournes un peu dans l’anonymat. En plus on est rentrés vite, on est vite passés à autre chose.
C’était dur mentalement ?
Non, j’étais habitué à ça. À Nantes, c’était déjà ça. J’allais au bled, c’était « waouh ! », et quand je revenais en France, c’était la vie normale. Ce match de la CAN a quand même eu un impact en France. Mais en Corse, ça n’est pas pareil que sur le continent. Si j’étais rentré directement à Nantes, j’aurais vu l’effervescence. Mais là, tu rentres en Corse… Peut-être qu’ils n’ont pas regardé la CAN là-bas. (Rires.) Ça ne me dérange pas, à la base je suis quelqu’un de discret, pas quelqu’un qui va sortir dehors et dire : « Regardez c’est moi, le gardien ! » Un truc comme ça, ça a de l’impact pour toute ta famille. Même pour mon enfant, ça aura un impact, quand les gens verront le nom Alhadhur. Ma mère, elle n’était pas d’accord pour que j’aille dans le but, au début… Elle avait peur, elle s’inquiétait pour son fils. Mais c’était trop tard. Ma mère et mon frère n’étaient pas d’accord, mon père et ma sœur m’ont dit : « Fonce ». Finalement, après le match, ma mère était la plus heureuse. Quand je suis retourné aux Comores… C’était une grande fête, c’était énorme.
Dans ton village ?
Oui. Je leur avais dit : « Ne faites rien. » Mais là-bas, les coutumes… Ils m’ont célébré comme si j’étais le président ! Même moi, j’étais choqué. Il y avait tous les anciens du village. (Il montre les photos.) Tu vois, c’était avec des tenues. Mais ce sont des bons moments. (Rires.) Moi, je ne suis pas du tout dans les trucs comme ça. Mais là, je ne pouvais pas l’esquiver, mes parents me l’ont dit. En plus, il fallait que je fasse des discours, ohlala… Il y avait le maire qui parlait, tout le monde ! Moi, je suis là, je joue au foot, mais derrière, tu as une influence sur toutes les personnes de ton village, qui sont fières de toi, qui attendent que tu sois là, que tu parles, et que tu leur donnes de la motivation ! C’est normal, je l’ai compris. Après le match, tous les messages que j’ai reçus, tous les gens que j’ai inspirés… Pour moi, c’était juste un dépassement de fonction. On était éliminés, on avait fait une belle CAN, je me disais que j’allais rentrer chez moi et que c’était fini. En fait, pas du tout !
Propos recueillis par Jérémie Baron, à Saint-Herblain