Chagrin d’amour

Neneh chérie,

Ne te réjouis pas trop vite. Si je t’écris ces quelques mots, ce n’est pas parce que j’ai dévoré cette interview que tu as accordée à la presse de ton plat pays. Interview où tu me fais clairement comprendre que je suis le seul homme que tu as aimé, et qu’entre nous, « la porte n’est pas tout à fait refermée » . Non. Ce n’est pas non plus après avoir vu ton clip plus d’une centaine de fois, seul, torse nu dans mon nouveau canapé en peau de zèbre, en fredonnant ces paroles qui me concernent un peu. Non. Si je t’écris ces quelques mots, c’est parce qu’aujourd’hui, j’ai pensé très fort à toi. Ça va te paraître bête, mais voilà : ce matin, avant de partir pour Nancy, Mathieu Bodmamma m’a enfin expliqué ce qu’était une cagole. Je sais, c’est méchant, mais tu dois me comprendre. Depuis que tu es partie, tu ne te respectes plus. Et puis bon, je te rappelle qu’après avoir posé un genou sur le sable d’une plage de Rio, quelques jours avant d’ouvrir mon Mondial par un but contre l’Angleterre, je t’ai offert deux bagues de fiançailles. Tu m’as rendu la première avant de « confier la seconde à l’église » . Quand j’ai raconté ça à Bodmamma, il a grommelé dans sa barbe. Je l’aime bien, Bodmamma. Il a un physique rassurant. Et puis il est bien élevé aussi, il me tient souvent la porte. Dans le vestiaire, on l’appelle « Hodor » .

Sinon, comme je sais que tu n’as rien raté de mes débuts ici, tu t’es sans doute posé la même question que moi après mon premier match : qui est ce petit être venu m’importuner sur la table de massage ? Eh bien sache que mon enquête avance bien. Comme il était blond avec une coupe alla ciotola, une vilaine peau et un niveau sixième en langues vivantes, j’ai demandé au petit Vincent si ce n’était pas son père. Il me soutient que non, mais le doute subsiste. Koziello, Paganelli… Je reste persuadé qu’il y a un ancêtre commun. Peut-être un Sarde ? Toujours est-il que j’ai donné le gros porte-clés qu’il m’a remis ce soir-là à notre gardien de but qui me suit partout. Il est marrant lui aussi. Lorsqu’il est venu à ma rencontre pour la première fois, il m’a sorti un « Bonjourno Mario, sono Yoan Cardinaléééééé ! » , avant de m’expliquer que « entre ritals, faut se serrer les cannelloni » . C’est vrai qu’il mange beaucoup la pasta, mais je ne suis pas dupe, je sais qu’il se fout de ma gueule, son accent du coin l’a trahi. Je ne comprends pas pourquoi il fait ça, mais tu me connais, ma Neneh, je suis parfois taquin. Du coup, je joue le jeu pour voir jusqu’où il peut pousser le ridicule. Et d’après les anciens du groupe, il est capable d’aller très loin.

À vrai dire, je ne sais pas pourquoi je te parle de mes coéquipiers. Cette fois-ci, promis, aucune chance que je te laisse coucher avec tout le monde, même si on tape le PSG. Sauf peut-être avec le beau Paolo, notre Maldini à nous. Il a des yeux de biche, il te plairait beaucoup. Son truc à lui, je crois que c’est le surf. Je le sais parce c’est le seul dans le vestiaire qui ne porte aucune attention à son look. Et puis lors du déplacement en Allemagne, il regardait un film étranger dans l’avion. Un truc autour d’un type en jaune qui passe sa vie allongé sur sa planche à attendre une vague entre les deux bouées où je fais ma brasse matinale. Oui ma Neneh, tu m’as bien lu, je nage tous les matins. Je crois qu’ici, ils n’ont jamais vu ça. Tant mieux, comme ça je leur prouve aussi que Super Mario ne craint pas l’eau, même sans son étoile. Et puis Mister Luciano tient à ce que je retrouve vite la forme. Tu sais, Mister Luciano, c’est un Suisse, il est pragmatique. Alors, comme on m’a un peu imposé à lui, je me dois de gagner rapidement sa confiance. Pas pour marcher sur le championnat, hein, puisqu’apparemment, j’ai juste besoin d’une paire de crampons pour ça. C’est surtout parce qu’il est persuadé qu’on a un coup à jouer en Ligue Europa, et qu’il a vu à quel point j’étais à la rue contre Schalke. Je respecte son ambition, mais je t’avoue que je compte également profiter de ce que mes potes de Manchester appellent la French Riviera. Et salement.

Comme je suis un homme de parole, j’ai déjà commencé cette semaine en retournant Monaco. L’ASM, l’épouvantail de ce début de saison, l’équipe du p’tit blond qui zozotte. Celui que je suis censé remplacer et qui avait, soi-disant, mis la barre beaucoup trop haut pour moi. En attendant, on est leaders et j’en ai déjà planté quatre en deux matchs. Grâce à moi, même Pléa devient crédible. En parlant de ça, tu te souviens quand je disais que je ne célébrais pas mes buts parce c’était mon travail et qu’un facteur ne sautait pas de joie lorsqu’il livrait un colis ? Eh bien sache qu’après être allé à La Poste de mon quartier pour acheter ce joli timbre orné d’un aigle, je songe à revenir là-dessus. Si toi aussi tu pouvais renier tes principes et arrêter de te foutre à poil, ma Neneh, j’aime à croire que notre avenir pourrait s’éclaircir à nouveau. D’ailleurs, j’ai appris que tu t’étais installée sur Paris pour assouvir tes passions. Le PSG, la nouvelle écurie de l’autre grand talent que je suis censé remplacer, celui qui regarde les matchs en tribunes avec des humoristes. Mais passons… Tout ça pour te dire que j’ai jeté un œil au calendrier, on les joue le week-end du 10 décembre. Comme le président ne peut rien me refuser, ils vont tous rentrer sans moi et on ira faire nos courses de Noël ensemble. Rien que tous les deux, main dans la main aux Galeries Lafayette, comme au bon vieux temps. Je t’embrasse en sex friend.

Ton plombier,

Mario

PS : Si tu reviens, j’annule tout.