- Angleterre
- Premier League
- 8e journée
- Manchester City/Tottenham
Chadli, le gamin de Liège a bien grandi
Derrière le début de saison tout feu tout flamme de Nacer Chadli, il y a une enfance en banlieue liégeoise et des choix de carrière alambiqués, mais déterminants. Portrait d'un homme qui a un jour accepté de faire trois pas en arrière pour mieux rebondir.
À première vue, Nacer Chadli pourrait bien être un footballeur comme les autres. De ceux qui offre un sac Louis Vuiton à leurs proches, de ceux qui roulent en Porsche et envoie balader leur manager de toujours quand leur carrière décolle pour de vrai. En cela, le reportage « Profession Manager » diffusé en Belgique il y a quelques semaines dans le cadre de l’émission culte Tout ça (ne nous rendra pas le Congo), digne héritière de Strip-tease, n’a pas été tendre avec Nacer Chadli. Daniel Évrard, à l’époque manager du jeune Nacer, en a lui profité pour déballer sa frustration d’avoir vu son protégé lui filer sous le nez au dernier moment : « Nacer avait un peu peur, il craignait que nous soyons un peu isolés et que nous ne soyons pas en mesure de satisfaire ses désirs. » Le silence de Nacer Chadli envers son manager durera 6 semaines. Le temps pour le joueur de Twente de conclure le deal avec Tottenham, le temps de comprendre pour Daniel Évrard qu’il s’était fait berner.
Adolescence foireuse
Nacer Chadli avait donc fait son choix. Ce sera la porte pour Daniel Évrard, un petit manager belge qui courait derrière le gros transfert de son poulain depuis trois ans, et les sirènes aguicheuses de la Premier League pour lui. Direction Londres, donc. Dans le Nord, du côté de Tottenham précisément. Un choix sportif presque évident, mais surtout une forme d’accomplissement pour un footballeur de 24 ans en recherche de réussite professionnelle depuis près d’une décennie. Pour le comprendre, il faut, en effet, remonter le fil du temps. De huit longues années exactement. Nacer Chadli a alors 16 ans. Une période sportivement catastrophique pour lui.
On est en 2005 et son club de toujours, le Standard de Liège, lui signifie qu’il ne croit plus en lui. À la même époque, Axel Witsel, son ami d’enfance, est convoité par toute l’Europe et s’apprête à ramasser tout ce qu’il est possible comme distinctions sportives en Belgique. Le décalage est énorme, le jeune homme gamberge, mais va finir par se recaser. Aux Pays-Bas, mais en deuxième division. Pas pour y jouer, mais pour y finir sa formation. C’est en tout cas l’idée. L’exil durera finalement un peu plus longtemps que prévu. Deux saisons plus tard, Chadli décide de poursuivre son apprentissage de la langue de Vondel en mettant les voiles vers le club semi-professionnel de l’AGOVV Apeldoorn, toujours en deuxième division. Toujours aux Pays-Bas. Pas une franche évolution donc, mais déjà une première indication de ce à quoi pourrait bientôt ressembler la carrière de Nacer. Le club coincé en plein cœur des Pays-Bas vient de faire parler de lui en révélant Klaas-Jan Huntelaar.
Solitude hollandaise
Pas de quoi fanfaronner pour autant. Chadli sait que le chemin vers l’éclosion est encore long. Il durera en fait trois saisons. Pas toutes forcément folichonnes, mais la progression est continue. De plus en plus de matchs, de plus en plus de buts, Chadli devient tranquillement une valeur sûre de la Eerste Divisie locale. Son père, Ramdan Chadli, se souvient bien de cette époque : « Il a très vite joué avec Van den Brom(son entraîneur de l’époque, ndlr), ils se sont toujours bien entendus. Je sais même qu’il allait parfois souper dans sa famille. » Confirmation que si le Liégeois touche au but, il est encore terriblement seul. Après avoir été contraint de se coltiner le microcosme familial de son jeune coach pour égayer ses longues soirées d’hiver, il ne pourra que se ravir de l’arrivée d’un autre petit Belge en la personne de Dries Mertens. Aujourd’hui, international belge confirmé et joker de luxe à Naples, hier jeune pousse égarée dans le bourbier hollandais, Dries Mertens partage manifestement bien plus qu’une nationalité avec Nacer Chadli. Les deux gamins ne tarderont pas à se lier d’amitié.
Amine, le grand frère de Nacer, en atteste : « Ils se sont connus à Apeldoorn, mais sont restés en contact depuis. Ils sont d’ailleurs partis quelques fois en vacances ensemble. Ils sont allés au Mexique il y a deux ans, avec d’autres amis, et l’an passé à Las Vegas. Ça montre bien que tout ça, ça va au-delà du foot. » La galère, ça rapproche. Tant mieux, cela évitera à Nacer de devoir encore faire de la lèche à son coach. De toute façon, l’éclaircie ne va pas tarder à arriver. En Belgique, tout le monde pense que c’est ce génie de Michel Preud’homme qui a sorti de sa lampe magique ce jeune gars de 21 ans. En fait, ce n’est pas exactement comme cela que les choses se passeront. Là encore, c’est son grand frère qui l’explique le mieux : « En 2010, Preud’homme arrive à Twente et demande à son T2, Alfred Schreuder, s’il n’a pas d’idées de renforts offensifs parce que lui a besoin de quelqu’un… Celui-ci avait repéré Nacer à Apeldoorn et connaissait bien son style de jeu. Il l’avait convaincu. Il l’a donc présenté à Preud’homme à travers des vidéos et il a directement passé un coup de fil. » La réponse ne tardera pas. Chadli tient enfin son transfert vers un club capable de lui apporter la renommée qu’il mérite. Pour sa première saison en division 1, Chadli découvre aussi la Ligue des champions avec Twente. D’emblée titulaire, il trouve aussi le temps de planter trois pions en six matchs de C1. Dont deux contre Tottenham.
Thrift Shop en région liégeoise
En quelques mois, Nacer Chadli devient donc logiquement la nouvelle grosse hype de l’équipe nationale belge et éclipse même Eden Hazard du onze de base de Georges Leekens. Suffisant pour lui faire dire qu’entre le Maroc et la Belgique il n’y a plus lieu de tergiverser. Ce sera les Diables rouges. Plus travailleur qu’Hazard, Chadli étincelle aussi par son agilité balle au pied. Son premier match officiel contre l’Autriche en mars 2011 restera longtemps le match référence de cette génération de vainqueurs emmenée par Axel Witsel. C’est là, sur la pelouse de Vienne, qu’il redevient enfin l’égal de son meilleur ami. Ce soir-là, Witsel inscrira les deux buts du succès belge. Pour la première fois dans le milieu professionnel, les deux gamins de Droixhe, cité HLM de la banlieue liégeoise, sont à nouveau réunis sur un terrain de foot. Le début d’une longue série de succès que les deux potes de toujours apprendront vite à partager ensemble.
Le père Chadli ne pouvait d’ailleurs que le confirmer en juin dernier au moment de s’épancher sur la carrière de son fils dans les colonnes de SudPresse : « C’est encore son meilleur ami aujourd’hui, malgré la distance qui sépare leurs clubs respectifs. » Une amitié qui s’éternise et qui se dévoile parfois au grand jour. Comme au lendemain soir de la qualification des Diables rouges pour le Brésil il y a un an. Ce soir-là, les Diables font la fête à Bruxelles, mais Axel Witsel et Nacer Chadli, accompagné pour l’occasion de Steven Defour, reçoivent un bon de sortie pour s’éclipser du reste du groupe. Pour eux, la fête ne se fera pas au très branché Havana Club de Bruxelles, mais bien sur le podium du Fiesta Club de Boncelles en région liégeoise. Un peu moins glamour, mais tellement plus authentique.
Par Martin Grimberghs