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C’était Tola Vologe
En intégrant le Groupama OL Training Center, ce mercredi, les joueurs de l'Olympique lyonnais ont laissé derrière eux le centre Tola Vologe. Plus que de simples installations sportives, c'est la mémoire d'un homme qui est en danger. Résistant et sportif exceptionnel, Tola Vologe mérite que son souvenir traverse les âges.
Tout bon Lyonnais s’intéressant de près ou de loin à la chose footballistique connaît le centre d’entraînement Tola Vologe. Là-bas, à quelques pas de la plaine des jeux de Gerland – où évoluent les plus jeunes joueurs de l’académie -, les supporters ont vécu des moments forts : les entraînements ouverts au public, pendant lesquels petits et grands s’entassent autour des grilles, le retour du bus après les derbys à Saint-Étienne, ou de longues heures d’attente à espérer un autographe. Bref, chez les Gones, le nom de Tola Vologe évoque forcément un bon souvenir. Seulement voilà, depuis le 5 juillet, l’OL a déménagé près de son stade, dans le nouveau centre d’entraînement Groupama. Pas de quoi en faire une montagne ? Si, justement. Car cette fois-ci, le naming pose un réel problème de mémoire. En abandonnant le nom de Tola Vologe, le club abandonne aussi l’héritage d’un homme pas comme les autres. Oublié d’une bonne partie de la population, Tola Vologe survivait avant tout grâce à ce centre d’entraînement. Il mérite de rester dans les mémoires de tous.
« Il était dans tous les coups »
Grand sportif lyonnais, ancien adjoint aux Sports du maire de Lyon Louis Pradel et grand ami de Tola Vologe, Tony Bertrand, 104 ans, se souvient : « Vologe avait un caractère entier. C’était un homme débordant de santé. Il était dans tous les coups, de partout. Il était tellement débordant d’énergie… » Né le 25 mai 1909 à Vilnius, en Lituanie, Tola Vologe émigre à Paris et devient rapidement un sportif hors pair. En 1936, il termine quatrième du hockey sur gazon aux Jeux olympiques de Berlin. Il excelle également en athlétisme et au tennis. « Sa maman a quitté Paris pour se mettre à l’abri des Allemands en 1940. Immédiatement, il a pris les contacts avec les clubs sportifs de Lyon – et notamment avec le LOU, le Lyon Olympique Universitaire. Le LOU avait une très bonne équipe de hockey » , explique Tony Bertrand. « Il est venu jouer et s’occuper de l’équipe. Il s’est occupé beaucoup de l’athlétisme, aussi. Et comme moi j’étais entraîneur en athlétisme, on a pris contact tous les deux. On a fini par faire une équipe tous les deux, aussi bien sur les pistes qu’en dehors. Pendant l’occupation allemande, il avait réussi à regrouper à Lyon la quasi totalité de l’équipe de France d’athlétisme. Pour moi, c’était un grand plaisir. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai été nommé par la Fédération entraîneur national. À ce titre, j’ai fait trois Jeux olympiques. »
Officier pendant la courte guerre de 1940, Tola Vologe s’engage dans la résistance à Lyon. Avec son ami Tony Bertrand, il organise le réseau Sport Libre. Par ce biais, il évite à de nombreux jeunes hommes le STO ou pire, la déportation. Décrit par son ami comme « une grande gueule » , Tola Vologe est finalement arrêté par des miliciens français – suppôts de la Gestapo – le 24 mai 1944 dans un bar de la rue Bellecordière. Quelques jours plus tard, alors interné à la prison de Montluc, Tola Vologe est réquisitionné pour déblayer la cour de l’école de santé militaire, alors siège de la Gestapo à Lyon, qui avait été bombardée le 26 mai. Sur place, un sous-officier allemand, joueur de hockey dans le civil, reconnaît le champion et décide de lui faire payer ses nombreuses victoires sur l’Allemagne. D’après André Frossard, ancien compagnon de cellule de Tola Vologe, le champion lyonnais aurait alors subi de nombreuses brimades avant d’être finalement fusillé au début du mois de juin. Avant de mourir, Vologe aurait refusé une bière proposée ironiquement par le sous officier allemand en ajoutant : « Un officier français ne boit pas après un sous-officier allemand. » Quelques jours plus tard, le 10 juin, Vologe est enterré au cimetière de la Croix-Rousse. Tony Bertrand est présent : « Vologe, je l’ai accompagné avec deux trois amis jusqu’au cimetière après son assassinat. On n’était pas nombreux ce jour là. » Le cœur lourd, Tony Bertrand doit annoncer la nouvelle à la mère de son ami. « Mon amitié avec Vologe était très profonde. Quand j’allais chez lui, je faisais connaissance avec sa maman dans la banlieue de Lyon. Après l’assassinat de Vologe, sa maman m’a fait cadeau de sa montre. Je l’ai gardée un moment, mais elle était un héritage trop précieux pour moi. Je l’ai remise au musée de la résistance, à Lyon » , confie-t-il.
Tola Vologe à l’honneur du CHRD
À Lyon aujourd’hui, le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation, situé dans les anciens locaux de la Gestapo, rend aujourd’hui hommage à messieurs Vologe et Bertrand avec l’exposition « Le sport européen à l’épreuve du nazisme » . À cette occasion, la revue Les rues de Lyon a édité un numéro spécial dédié à la relation entre les deux hommes. Grâce à la bande dessinée de Yann Le Pont, l’histoire du sport résistant lyonnais est devenu intelligible par tous les Gones. Une initiative importante, cruciale même, pour éviter que le nom de Tola Vologe ne tombe dans l’oubli, après le départ des joueurs de l’Olympique lyonnais. « J’étais chargé des sports à la mairie de Lyon. J’ai suggéré, et le maire avait accepté, qu’on donne le nom de Vologe, après son décès, aux nouveaux équipements de Lyon. Notamment aux terrains d’entraînement – il y en avait deux à l’époque – Vologe 1 et Vologe 2. Mes successeurs ont supprimé Vologe 2, mais Vologe 1 est devenu le centre d’entraînement permanent des joueurs de l’Olympique lyonnais » , explique Tony Bertrand, forcément déçu de voir le club se délocaliser si loin de la ville et de son héritage. « Ah, alors ça, ça me pose un problème. Les gens avaient l’habitude de venir au terrain d’entraînement Vologe. Avec le transfert de l’Olympique lyonnais à l’extérieur de la ville, les gens sont privés de leurs joueurs. Je n’ai que des bons souvenirs au centre d’entraînement. Dès qu’il y avait un entraînement là-bas, il avait un gros succès. » Un succès qui faisait résonner quotidiennement le nom de Tola Vologe, légende du sport lyonnais et de la résistance face à la tyrannie nazie. « Tola est mort. Il y a autour de ce fait le silence qui suit les grandes choses, comme un réveil dans la nuit » , écrivait en 1946 Loys Van Lee dans L’Équipe. Tola Vologe est mort une seconde fois. Il faudrait qu’il y ait autour de ce fait le bruit qui suit les grandes disparitions.
Par Gabriel Cnudde
Tous propos recueillis par Gabriel Cnudde sauf les propos d'André Frossard, tirés d'Agoravox.fr
Le sport européen à l'épreuve du nazisme : exposition au CHRD de Lyon jusqu'au 29 janvier 2017. Plus d'informations ici.