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C’était l’Inter du triplé

Par Markus Kaufmann
5 minutes
C’était l’Inter du triplé

La saison 2009/2010 du couple Inter-Mourinho fut un épique combat contre et pour l'histoire. Non seulement le clan Moratti ramène finalement la Ligue des champions à la maison après quarante-cinq ans d'attente, mais surtout la Beneamata devient le premier club italien de l'histoire à réaliser le triplé C1-Scudetto-Coppa Italia, un an après le grand Barça de Guardiola. Récit d'un aller simple vers l'histoire.

La mariée

Quarante-cinq longues années. Une vie, plus ou moins. Le temps de voir un fils reprendre le poste de président de son glorieux père, du moins. À peu près quatre générations de joueurs, aussi. Et autant d’entraîneurs que de lourds échecs sur la plus grande scène continentale. Une attente interminable, donc. Mais en 2008, exactement quarante ans après la fin du tandem Angelo Moratti-Helenio Herrera, Massimo Moratti unit José Mourinho au projet noir et bleu. À l’été 2009, le Portugais et Marco Branca réalisent l’un des meilleurs mercatos de l’histoire du football. En quelques semaines, l’Inter fait venir Eto’o, Sneijder, Milito, Thiago Motta, Lúcio, puis Pandev en janvier, le tout avec un bilan positif grâce à la vente d’Ibrahimović au Barça. Tous titulaires, tous décisifs dans le sprint final.

D’une part, le bataillon est expérimenté. Une expérience qui se résume en un chiffre : neuf joueurs sont ou ont été capitaines de sélection (Zanetti, Lúcio, Stanković, Pandev, Chivu, Muntari, Córdoba, Eto’o, Sneijder), sans compter Materazzi, Toldo, Samuel, Cambiasso… Du savoir-faire, de l’expérience, de la ruse, aussi. Bref, une équipe où Thiago Motta fait figure de novice… De vieux guerriers d’un côté, et des héros talentueux de l’autre : Eto’o, Sneijder, Milito, Balotelli, Maicon… Un groupe dont le grand point fort restera l’intelligence tactique, capable de contrôler le jeu en toute situation, avec ou sans la possession, dans les moments forts et les moments faibles.

Le marié

Dans sa peau de président-tifoso, Moratti a toujours eu des relations exceptionnelles avec ses joueurs. Mais le cercle ne s’était jamais ouvert à un entraîneur. En 2009, l’effet Mourinho change tout. Les Moratti rêvent d’un entraîneur sachant allier l’affectif et les résultats, à l’image de ce club si complexe, paradoxal, humain, qui se veut à la fois familial et international, exigeant sur les résultats tout en conservant une approche paternelle avec les joueurs et les tifosi. Mourinho tombe amoureux de ce combat éternel et ne tarde pas à séduire à son tour les foules intéristes. Dès la fin de saison 2008/2009, il lance la campagne « Zeru Tituli » , parle de la « prostitution intellectuelle » de la presse transalpine et fustige tous les clubs rivaux de la Pazza Inter. Il lui arrive d’embrasser l’écusson en conférence de presse – jamais vu avant, jamais vu depuis avec le Portugais. Et devient une icône en réalisant le geste des menottes à la demi-heure de jeu de Inter-Sampdoria (l’Inter se retrouve à 9), qui lui vaudra quatre matchs de suspension. L’Inter est mourinhesque, et Mourinho est intériste. Et pourtant, les résultats ne viennent pas immédiatement : en décembre 2009, la rayée se fait éclater par le Barça au Camp Nou (2-0). Personne n’y croit vraiment.

Cinq mois au ciel…

L’Inter de 2010 naît donc seulement en janvier, au milieu de la saison, à l’occasion du second derby, remporté 2-0 en finissant à neuf le 24 janvier (le premier avait été gagné 4-0 le 29 août devant le public du Milan). À partir du moment où ton équipe l’emporte 2-0 contre son rival en finissant à neuf, tu te dis que tout peut arriver. Puis vient le Chelsea d’Ancelotti, battu à l’aller et au retour dans un style de caméléon ponctué par la passe de Sneijder pour Eto’o et l’expulsion de Drogba, excédé par Motta. Tout s’enchaîne. Le CSKA de Honda et Krasić : deux fois 1-0. Et puis, l’épreuve du Barça. Jusqu’en avril 2010, non seulement Guardiola était imbattable, mais il semblait aussi impossible de mieux jouer que ses Blaugrana. L’Inter l’aura fait durant soixante-dix longues minutes à Milan, avant de s’adapter à ses limites physiques et de changer une nouvelle fois de stratégie. Une énième victoire intelligente. Sur les deux matchs de la demi-finale, le Barça commet plus de fautes que les Nerazzurri.

En finale, c’est le Bayern de Van Gaal qui se présente à Madrid. Diego Milito un, Diego Milito deux. Presque une formalité, à côté de l’exploit réalisé à Barcelone, l’arrosage automatique du Camp Nou, l’expulsion de Thiago Motta… Cette saison-là, tout pouvait arriver. Diego Milito, auteur de tous les buts de toutes les finales (C1, Coppa Italia, dernière journée de Serie A) devient l’un des joueurs les plus décisifs de l’histoire du jeu sur une saison, marquant aussi à tous les tours éliminatoires de C1. Sneijder met des doublés sur coup franc. Walter Samuel joue avant-centre et marque. Maicon plante ce but unique contre la Juve dans la course au titre. Júlio César réalise cet arrêt impossible face à Leo Messi. Et Pazzini met fin aux rêves romains de Ranieri en marquant un doublé à l’Olimpico… En poule, cette Inter aura eu à jouer les champions sortants d’Espagne, de Russie et d’Ukraine. En phase finale, ils auront éliminé les champions d’Angleterre, de Russie, d’Espagne et d’Allemagne. Qui dit mieux ?

…pour une éternité sur le toit du monde

L’Inter est sur le toit du monde. Mais ce toit est glissant. Plus facile de l’atteindre que d’y rester, entend-on partout. Le lendemain de la victoire intériste n’a pas été géré. Cette victoire était certainement trop intense pour la famille Moratti. C’était une fin en soi, au contraire du triplé munichois de cette saison, qui ouvre le club à de nouveaux investissements (Götze, Thiago) et à un nouveau projet (Pep). Depuis, les entraîneurs ont valsé avec plus (Leonardo) ou moins (Benítez, Gasperini, Ranieri, Stramaccioni) de succès. Les grands joueurs ont été vendus sans être remplacés (Balotelli, Eto’o, Sneijder). Oui, le toit du monde est glissant.

Mais cette Inter de 2010 n’a pas eu à se poser la question de sa chute. Elle a préféré, ou plutôt Mourinho a préféré pour elle, mourir sur le coup. Tout là-haut. Au bout de la soirée victorieuse du 22 mai 2010, l’Inter ouvre les portes du stade Giuseppe Meazza pour une nuit de communion entre ses tifosi et ses joueurs, arrivés aux alentours de quatre heures du matin. Mourinho, lui, n’est pas à Milan. Resté à Madrid avec la direction madridiste, il ne célèbre pas le triplé. Moratti raconte : « Malgré tout, j’ai encore beaucoup d’affection pour Mourinho. Disons les choses ainsi : il s’est comporté comme un mari qui trahit sa femme, mais qui ne veut pas la faire souffrir. Il n’a pas eu le courage de le lui dire et s’est échappé par la fenêtre. » Le toit du monde est glissant, mais cette Inter de 2010 n’a même pas eu le temps de s’en rendre compte, n’a même pas eu le temps d’être vaincue. « Retrouvée morte sur le coup de la victoire » , dira-t-on. Peut-être qu’elle y est encore aujourd’hui. Peut-être qu’elle y sera toujours. Un aller simple vers l’histoire.

Un derby, deux grands corps malades

Par Markus Kaufmann

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