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C’était le théâtre de la Copa América
Qu'est-ce qui fait une grande compétition, finalement ? Le nombre de buts ? Les grands noms ? Le niveau de jeu ? Les tribunes ? Les jolies images ? Le vainqueur final ? Le suspense ? Ou les petites histoires ?
Le numéro 7 d’Alexis Sánchez se penche sur le côté et laisse le ballon flotter délicatement dans l’air pollué de Santiago. Le ballon de la Copa América est parti pour toujours. Un tir au but piqué par la grande star locale, dans le grand stade local, pour la grande sélection locale, et voilà que l’aventure est bouclée. Le stade explose. Le ballon finit de tourner dans les filets. Leo Messi regarde la pelouse comme s’il allait y trouver des réponses sur le niveau de ses coéquipiers ou celui de la défense chilienne. Jorge Valdivia court la bouche ouverte parce que son pays est champion de quelque chose pour la première fois de sa longue histoire. Les larmes coulent sur les joues de Javier Mascherano et voyagent sur toutes les joues des supporters argentins ayant traversé les Andes pour vivre la tragédie de plus près. Et, enfin, Jorge Sampaoli laisse retomber la pression qui faisait chauffer son crâne chauve et balader ses courtes pattes depuis 24 jours. Car après plus de trois semaines d’attente, ceux qui ont suivi la Copa América ont enfin eu la réponse à leur énigme. Le Chili a gagné et a joué le meilleur football de la compétition. Messi, Neymar et James n’ont pas suffi. Et Luis Suárez a manqué. Mais une fois que ces lignes sont écrites, que reste-t-il vraiment ?
La construction d’une attente
Une compétition internationale, a posteriori, n’est donc qu’une ligne de plus dans l’histoire. C’est presque un constat, la réponse à une question. Qui a gagné la Copa América 1995, par exemple ? L’Uruguay, en battant le Brésil en finale, aux tirs au but. Et c’est tout ? Une fois que la compétition est terminée, le vainqueur raflerait la mise et s’approprierait ce qui reste pourtant une aventure humaine de près d’un mois, engageant douze nations et des millions d’amoureux du ballon ? Impossible. Comme tous les grands tournois, cette Copa América a avant tout été une belle attente. Une attente jamais assez longue. Jeudi 11 juin 2015, à l’Estadio Nacional. Alexis Sánchez tente ses premiers crochets épicés, et on imagine déjà Leo Messi redescendre en diagonale tout le terrain face au Paraguay deux jours plus tard à La Serena. Le 13 juin, justement, alors que l’Argentine vient de se faire rejoindre par un imprévu nommé Lucas Barrios, on se demande quel visage va montrer le Brésil le lendemain de l’autre côté du pays, à Temuco. Et ainsi de suite.
Une fois que toutes les nations sont entrées dans la compétition, la réflexion et les rêves ont été emmenés sur les prochains tours. Qui va finir premier ? Quel favori va tomber sur un autre gros dès les quarts de finale ? En parallèle à toutes ces interrogations structurelles, la Copa América a évidemment offert d’autres débats autrement plus substantiels. Le Chili peut-il aller au bout avec sa possession ? Quand est-ce que Leo Messi va-t-il définitivement apparaître et régler tous les problèmes collectifs argentins d’un coup de baguette magique ? Les épaules frêles, mais vives de Neymar peuvent-elles porter les attentes de plus de 200 millions d’habitants ? Un tournoi se vit au quotidien à travers la construction d’une attente, d’un suspense. Il y a douze équipes au départ. Et à la fin il ne reste plus que onze perdants, un champion, et une tonne d’émotions.
Effort et grandes vacances
Qu’est-ce qui importe le plus pour juger de la grandeur d’une compétition ? Cela pourrait être le niveau de jeu. Au Chili, les nations sud-américaines, accompagnées par la Jamaïque et le Mexique, ont dévoilé un jeu peu fluide. Si les quatre demi-finalistes ont bien été les quatre sélections qui jouaient avec les idées les plus claires, peu d’équipes ont pris l’initiative dans le jeu. D’ailleurs, la compétition restera pour toujours marquée par la crise de l’animation offensive brésilienne, les contre-performances colombiennes et le manque de ressources offensives des Uruguayens. Sur les cinq favoris de la compétition, trois ont déjoué. Mais ça n’a pas empêché d’offrir un beau spectacle, des transitions péruviennes à l’organisation paraguayenne en passant par la réduction des espaces à l’uruguayenne, et enfin surtout le mouvement chilien. Le quart de finale Chili-Uruguay, par son intensité, sa tension, l’opposition des styles de jeu et ses petites histoires, restera d’ailleurs certainement le grand moment de la Copa América 2015. Un match très sud-américain, fait de tacles gras et de petits ponts fins. Des latéraux grossiers et des milieux élégants réunis pour offrir un spectacle nuancé, fascinant, culturel. De toute façon, « le foot, ici, c’est un effort » , dit Ivan Zamorano.
Heureusement pour l’attente, les deux autres favoris se sont retrouvés en finale. Si l’attente a été belle, c’est bien parce qu’elle a été prolongée jusqu’à la dernière torsion de la cheville droite d’Alexis Sánchez, après deux heures d’une finale rêvée. L’Argentine et le Chili ont rythmé cette Copa América parce qu’ils ont insisté sur leur identité et qu’ils ont tous les deux grandi à leur manière. L’Albiceleste dans le jeu, la Roja dans la tête. Et si la finale a accouché d’un 0-0 plus tendu et physique que technique et lyrique, le spectacle et le suspense ont été au rendez-vous. Parce qu’une grande compétition, c’est comme les grandes vacances. Ce n’est pas le nombre d’endroits visités qui importe, et ce n’est pas le nombre de buts qui comptent. L’essentiel n’est pas d’avoir vu la mer, et le fait de ne pas avoir vu Messi gagner n’est pas non plus primordial. L’important, c’est le vécu. Les émotions, la tension ressentie, le bonheur soulagé, la surprise imprévue. Et les souvenirs. Or, les petites histoires de grande importance n’ont pas arrêté de se multiplier en trois semaines.
Quelques photos
Il y a eu le match d’extra-terrestre d’Arturo Vidal contre le Mexique, suivi de son accident et son erreur profondément humaine. L’accident de géographie – très drôle – d’Edinson Cavani, suivi de l’accident – très grave – de son père. Il y a eu le match monumental de Neymar contre le Pérou, suivi de son énervement contre la Colombie, et sa logique suspension. La révélation de Murillo. La compétition complètement absurde de Thiago Silva, passé de remplaçant à leader, puis de héros à zéro. Les numéros de Valdivia contre la Bolivie et l’Uruguay. Le match maradonesque de Messi contre le Paraguay, suivi de la finale perdue. Les appels de Charles Aránguiz. Il y a eu l’histoire de ce Paraguay plus modeste et déterminé que jamais, grand champion des matchs nuls. La fausse surprise des buts d’Edu Vargas. Il y a eu le Pérou qui a joué un football à la hauteur de son maillot légendaire. L’amour du peuple chilien pour Gary Medel. Il y a eu cet Uruguay orphelin de son seul génie qui est passé à dix minutes de s’offrir une séance de tirs au but méritée. La science du jeu de Marcelo Diaz. La tragédie argentine et les larmes de Mascherano. Cette Copa América, c’était beaucoup de football au milieu d’un grand théâtre humain.
Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili
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