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Arman Soldin : une vie de rire, de guerre et de foot

Par Clément Gavard
12 minutes

Le journaliste de l'AFP Arman Soldin a perdu la vie, ce mardi en Ukraine, en faisant son métier. À 32 ans, il était un reporter tout terrain, capable de couvrir la guerre comme un match de Premier League. Il était aussi un passionné de foot, un amoureux du Stade rennais et d'Arsenal et plein d'autres choses encore. C'était Arman.

Arman Soldin : une vie de rire, de guerre et de foot

Ces derniers temps, Arman Soldin passait d’un terrain à un autre comme si de rien n’était. Le journaliste avait fait partie des premiers envoyés spéciaux de l’Agence France Presse à se rendre en Ukraine après l’invasion russe, en février 2022. Il s’était immédiatement porté volontaire. « Quand le conflit a éclaté, il nous a prévenus très vite qu’il avait postulé, rejoue David Rivet, rédacteur en chef du football anglais chez Canal +, où le reporter était correspondant à Londres pour couvrir la Premier League. Il me donnait toujours ses dates de retour et on se calait avec les autres correspondants pour essayer de lui faire de la place. » En un claquement de doigts, Arman pouvait ainsi passer de l’extrême dureté de la guerre à la grande légèreté du football. De ces paysages dévastés par les bombes aux couleurs d’un stade de foot. De ces gens faisant face au pire à des supporters trinquant à la victoire de leur équipe préférée. « La dernière fois, il était rentré le vendredi soir assez tard après avoir pris plusieurs trains, un vrai périple comme il aimait l’appeler, se souvient David Rivet. Et dès le lendemain, le samedi, il était avec nous pour parler de la Premier League. Il ne rentrait pas pour se reposer, il switchait très vite, c’était assez fou. »

Arman passait généralement six semaines en Ukraine, revenait pour une quinzaine de jours à Londres, puis repartait. « Ces deux semaines en Angleterre, ça devait être deux semaines de pause. Je ne comprenais pas trop ce besoin d’adrénaline, on en avait parlé, pose Lucas Colin, lui aussi journaliste et surtout grand ami d’Arman, avec lequel il a longtemps été en colocation à Londres. Il me disait que pour lui c’était une échappatoire, un truc un peu hors du temps. Il se rendait compte aussi de la chance qu’il avait de faire des duplex sur la Premier League, de passer à la télé… Ça rendait très fière sa famille. » La dernière fois, c’était le 15 avril, à Stamford Bridge, pour un Chelsea-Brighton. La prochaine, ça devait être à la fin du mois pour la dernière journée de Premier League. « Il devait rentrer le 26 mai, il m’avait dit qu’il était dispo, soupire David Rivet, très ému. Je l’avais prévu dans mon dispositif. Il était avec nous pour la 1re journée de la saison sur Crystal Palace-Arsenal, on allait boucler la boucle. »

Il devait rentrer le 26 mai, il m’avait dit qu’il était dispo. Je l’avais prévu dans mon dispositif. Il était avec nous pour la 1re journée de la saison sur Crystal Palace-Arsenal, on allait boucler la boucle.

David Rivet, rédacteur en chef du foot anglais sur Canal +

À 32 ans, Arman Soldin a perdu la vie ce mardi lors d’une attaque de roquettes russes près de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, où il se trouvait en reportage avec plusieurs collègues. Face à l’effroi et à la tristesse infinie, les mots peuvent manquer, mais ils peuvent aussi être des remèdes. « Quand je suis rentré dans ma chambre d’hôtel mardi soir, j’ai écrit un texte que je n’ai pas publié. Ça m’a fait du bien d’écrire que c’était quelqu’un de super et qu’il allait beaucoup me manquer, confie Paul Tchoukriel, qui a commenté la demi-finale de Ligue des champions entre le Real Madrid et Manchester City à peine une heure après avoir appris la disparition de son ami. J’avais connu Arman sur l’un de mes premiers commentaires en Premier League, en 2019. On a sympathisé tout de suite. Je me disais : “Pourquoi on ne s’est pas rencontré avant, on a perdu du temps !” C’était un mec super. » C’était Arman.

Kouchner, chemises à dragons et underdog

Les hommages pleuvent autant que les larmes depuis mardi soir. Chacun ouvre sa boîte à souvenirs, dans sa mémoire ou dans son téléphone. « On trouve souvent plein de qualités aux gens une fois qu’ils ne sont plus là, mais Arman avait vraiment de très grandes qualités humaines, pose Frédéric Happe, travaillant lui aussi pour l’AFP et qui se souvient avoir rencontré le reporter pour la première fois un soir de Chelsea-Rennes, en novembre 2020. On était en plein Covid, les mesures étaient assez strictes et je vois un type qui vient s’asseoir juste à côté de moi, alors que c’était interdit. Il m’a expliqué qu’il était rennais, et on a commencé à sympathiser. » Né à Sarajevo en 1991, Arman Soldin est arrivé en France un an plus tard, au début de la guerre en ex-Yougoslavie, à bord d’un avion dans lequel se trouvait notamment Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé. C’est en 2002 qu’il s’installe à Rennes, dans le quartier de Maurepas, avec sa maman, sa sœur et son frère. La passion du ballon rond est déjà présente chez Arman, qui tâte le cuir aux Cadets de Bretagne, à l’ASPTT et… au Stade rennais, dont il porte les couleurs en U13 et U15, entre 2006 et 2008, sans non plus caresser l’espoir trop longtemps de devenir un jour professionnel.

Son poste ? Milieu offensif, capable de jouer à gauche comme à droite, voire comme deuxième attaquant. Son dribble préféré ? Le crochet derrière la jambe d’appui, aussi appelé la Cristiano, la Carlos ou la Drogba, c’est selon. « Il était ultrarayonnant, il n’était pas trop dans le délire de footeux non plus, c’est sûrement pour ça qu’on s’est rapproché », rembobine François, qui a partagé de nombreux entraînements avec lui au Moulin du Comte, à quelques centaines de mètres du Roazhon Park, et sur le terrain du quartier de Villejean. Un souvenir de match ? Non, plutôt de vestiaire : « À l’époque, il avait un look dégueulasse, il portait des chemises avec des motifs de dragons et des flammes. On se foutait de sa gueule avec ça, rien de méchant, il en rigolait aussi. Dès qu’on le voyait, on parlait de ses putains de chemises comme des vieux combattants et ça partait en fou rire. » Retour au terrain : Pierre a rencontré Arman quand celui-ci était au lycée Saint-Martin, dans le centre-ville de Rennes, à une époque où ils aimaient se retrouver soit au bar, soit autour d’un ballon du côté de Bourg L’Évêque. « À vrai dire, j’ai le souvenir d’un joueur assez personnel. Il était très bon techniquement, mais ce n’était pas toujours le meilleur dans les choix, se marre-t-il. Il était souvent avec son maillot Airness du Stade, bien moulant. Et c’était un gros chambreur, ça pouvait agacer quand tu étais en train de perdre. »

Il était souvent avec son maillot Airness du Stade, bien moulant. Et c’était un gros chambreur, ça pouvait agacer quand tu étais en train de perdre.

Pierre, un copain rennais de Arman

Entre deux sujets pour l’AFP, il continuait de jouer avec les copains à Londres et « détestait quand quelqu’un annulait à la dernière minute, c’était le pire truc pour lui », selon son ancien coloc Lucas. Ce dernier se rappelle des longues sessions de FIFA et des soirées Ligue des champions à la maison. « Il adorait l’underdog, l’outsider, il pouvait rendre fous les gens avec ça, poursuit-il. On se disait parfois que c’était impossible de regarder un match avec lui. Il n’arrêtait pas de charrier, tout le temps à défendre le plus petit. J’ai deux potes supporters du PSG qui ne voulaient plus venir vivre les matchs chez nous, ils allaient dans un pub à Londres tous les deux. » Reste que le rire du bonhomme était communicatif à souhait et que son sourire quittait rarement son visage. Le mot « solaire » revient dans la bouche de tous ceux qui l’ont connu, de près ou de loin.

Arman sous le maillot du Stade rennais.
Arman sous le maillot du Stade rennais.

Ils décrivent aussi un garçon « immensément brillant », doté d’une grande culture générale et passionné par la politique internationale. Le foot, c’était pour la détente, pour s’évader, et aussi un peu pour lui offrir des petits plaisirs. « Le maillot de foot, c’était un cadeau facile pour son anniversaire. Chaque année quasiment, on lui en offrait un, précise Lucas. Il en avait un de la Bosnie, bien sûr. Il avait aussi acheté un maillot manches longues de Boca Juniors qu’il avait trouvé dans une fripe. » Arman avait deux amours : le Stade rennais et Arsenal. Il n’avait pas pu se rendre à l’Emirates pour assister à la rencontre entre les deux équipes en mars 2019. La saison dernière, il avait eu la malchance de voir Tottenham-Rennes annulé en Ligue Europa Conférence, alors qu’il avait prévu d’aller soutenir les Rouge et Noir au stade en tant que supporter pour la première fois depuis cinq ans. Ce dimanche, le club breton a prévu de lui rendre hommage avant la réception de Troyes.

D’interprète des Bleus en Bosnie à journaliste de sport

Le foot comme un loisir, un passe-temps, mais aussi comme une source d’opportunités. En 2010, un peu plus d’un an après avoir décroché son baccalauréat, il se retrouve à accompagner l’équipe de France en Bosnie pour faire l’interprète lors de la conférence de presse. Sur sa terre natale, les Bleus s’imposent 2-0, et Arman profite de l’occasion pour claquer quelques selfies avec Mamadou Sakho, Bacary Sagna et compagnie.

Il n’avait jamais fait de duplex ni de lives. Il ne savait pas du tout faire, c’est assez rigolo de revoir ses premiers passages.

Lucas Colin, ami et ancien coloc
Arman avec Mamadou Sakho en 2010.
Arman avec Mamadou Sakho en 2010.

C’est près d’une décennie plus tard, en 2019, qu’il met un pied à Canal +, en recherche de correspondants à Londres après avoir obtenu les droits de la Premier League. « Il m’avait dit qu’il avait un peu menti en disant qu’il avait de l’expérience devant la caméra », rigole Joffrey, avec lequel il a collaboré bénévolement pour le podcast God Save The Foot, un site indépendant consacré au foot anglais. Son nouveau rôle pour la chaîne cryptée lui permet de varier les plaisirs, lui qui se voit proposer un contrat par l’AFP dès 2015, avant même la deuxième année de master qu’il s’apprêtait à commencer à l’ICOM, à Lyon. « Il a eu les couilles de se lancer avec Canal, enchaîne Lucas, passé de camarade de promo dans la capitale des Gaules à grand pote dans la capitale anglaise. Il n’avait jamais fait de duplex ni de lives. Il ne savait pas du tout faire, c’est assez rigolo de revoir ses premiers passages. » Un problème ? Non, une bénédiction, comme le détaille David Rivet : « C’était un garçon différent, il n’avait pas ces codes qu’on peut avoir à Canal pour les duplex. Il était brut, solaire, souriant. Il fallait le cadrer, mais sans le dénaturer, car ça permettait de compter sur un journaliste qui n’entrait pas dans notre moule. » Arman se prend rapidement au jeu, ça le change des reportages sur le Brexit ou sur le Covid à Rome, une période durant laquelle Canal ne peut plus envoyer de journalistes en Angleterre, et compte donc encore un peu plus sur les correspondants sur place.

Barbe de Père Noël, débrief du pub et stand-up

Un nouveau terrain sur lequel il peut s’amuser. Une fois, le voilà avec un masque en carton de Jürgen Klopp, une autre, il surprend le présentateur en plateau à Paris en réalisant son duplex avec une barbe de Père Noël au moment des fêtes. Une blague, mais pas seulement. « Il s’était cassé la dent de devant et il a mis cette barbe pour le cacher pendant son passage », révèle Lucas.

La concrétisation d’un rêve a priori inaccessible pour ce passionné de foot : il couvre des rencontres anglaises, a la chance d’interviewer des beaux noms (John Terry, Kalidou Koulibaly, Thiago Silva, etc.) et a même le droit à sa pastille pendant la pandémie, Le Debrief du Pub, dans laquelle il se rend dans les pubs pour recueillir les réactions des supporters entre deux bières. Paul Tchoukriel se souvient d’un moment partagé à Belfast, en marge de la Supercoupe d’Europe entre Chelsea et Villarreal en août 2021, quand Arman lui avait commandé « une gaufre avec du bacon et du sirop d’érable, un truc dégueulasse qui nous avait bien fait marrer », et aussi de cette journée où ils s’étaient donné le défi de faire le plus de stades possibles à Londres, de Brentford à Leyton Orient. « Il avait tout organisé avec l’insouciance et l’enthousiasme qui le caractérisaient, retrace le commentateur. Il m’avait fait découvrir la ville, ça s’était terminé par un resto et une soirée, il m’avait fait écouter de la musique. On avait fini éclatés de fatigue, mais c’est un souvenir très précieux. Il bossait avec autant de sérieux que de plaisir et il le transmettait. »

Il avait trouvé un sens à son métier, à son travail, c’était quelque chose de très fort pour lui.

Lucas Colin

À l’automne, il avait profité de son passage à Paris pour faire un tour dans les nouveaux locaux de Canal +, à Issy-les-Moulineaux, avant de prendre la direction de la gare Montparnasse pour retrouver sa famille à Rennes. « Il a pu rencontrer des personnes de la prod avec lesquelles il communiquait pour ses duplex. Et il a pris chacune d’elles dans ses bras, décrit David Rivet. Ça, c’était Arman, avec ce côté humain, souriant, chaleureux. » Ses amis, ses collègues, ses proches font tous un lien entre son engagement en Ukraine et son histoire personnelle. Frédéric Happe, qui l’avait vu au stade avant la Coupe du monde, parle d’une sorte « d’appel ». Lucas ne dit pas autre chose : « Il avait trouvé un sens à son métier, à son travail, c’était quelque chose de très fort pour lui. Il n’hésitait jamais à repartir et quand il revenait, il préférerait nous raconter des histoires de dates ou de bars à Kiev plutôt que le reste. C’était un très bon conteur, Arman. »

En Ukraine, il tenait à informer le plus grand nombre à travers ses images et ses récits. Il aimait mettre en lumière les gens ordinaires touchés par cette guerre : une femme s’occupant de son potager à Tchassiv Yar ; un livreur de pain à scooter sur les routes du Donbass ; une partie de jeu vidéo en ligne entre un père enrôlé dans l’armée et son fils réfugié à l’étranger ; et même le sauvetage d’un hérisson retrouvé blessé. Arman Soldin avait du talent, du courage et une vie devant lui pour accomplir un tas de projets. « Son prochain objectif, c’était de faire du stand-up, assure Lucas. Il était très drôle, en tout cas il se faisait beaucoup rire. Il avait même un petit carnet où il écrivait des blagues. On lui avait offert des cours de comédie, mais il n’était pas très bon administrativement. Il n’en a pas encore profité et il ne le fera jamais. » Il revient désormais aux autres d’honorer sa mémoire et de raconter des histoires. Les mots, toujours les mots. Et Arman, surtout.

Dans cet article :
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Par Clément Gavard

Tous propos recueillis par CG

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