- Hommage de Darren Tulett à Michael Robinson
« C’est trop tôt, 61 ans… »
À la suite de la triste nouvelle du décès de Michael Robinson, SO FOOT a proposé à Darren Tulett de rendre hommage à l'une de ses idoles. Voici ses mots, en version originale.
Michael Robinson est mort et je passe ma journée à me souvenir de lui, de ses buts, de cette foutue finale de FA Cup en 1983 ( « and Smith must score! » ), de mon adolescence que ce grand attaquant a marquée et de cette magnifique journée que j’ai eu la chance de passer avec lui à Madrid grâce à So Foot, en 2006. Le nom de Michael Robinson ne veut pas dire grand-chose en France, je le sais, ça ne vous parle pas trop, même à ceux d’entre vous qui ont l’âge de se souvenir du titre de champion d’Europe de Liverpool en 1984. Robinson y était. Certes dans l’ombre de Kenny Dalglish et de Ian Rush, mais l’ancien attaquant de Brighton a foulé la pelouse du Stade Olimpico lors de cette finale européenne, tout comme il était, douze mois auparavant, sur celle de Wembley. C’était la finale de la Cup, 1983 donc. Brighton & Hove Albion, mon club, l’équipe que je supportais depuis tout petit, allait affronter Manchester United pour le trophée ! Brighton, qui n’avait jamais rien gagné et qui était sur le point d’être relégué en deuxième division après quatre saisons dans l’élite (les seules de son existence jusque-là). C’étaient mes Seagulls (les Mouettes ; je sais, c’est naze comme surnom, mais que voulez-vous, on habitait a côté de la mer et ces foutus oiseaux étaient omniprésents). Celles que j’encourageais du North Stand, debout derrière le but, depuis mes 12 ans et ce premier petit boulot (laveur de taxis le dimanche matin, vu que vous me demandez) qui me permettait de payer ma place au Goldstone Ground (stade qu’un salopard qui a failli ruiner le club a vendu il y a quelques années désormais et où il y a aujourd’hui l’équivalent d’un Castorama ; j’ai un fucking pincement au cœur chaque fois que je passe devant).
Brighton en finale de la Cup, c’était un miracle. Un doux rêve. On avait gagné à Anfield pour sortir le grand Liverpool et maintenant on allait jouer contre Manchester United à Wembley ! N’importe quoi ! Le jour de la mise en vente des billets pour la finale, au Goldstone Ground, c’était la folie. Des queues énormes ! (If you excuse my french.) Avec mes potes, on avait 17 ans et on était un peu cons, donc on a sous-estimé l’excitation autour de la toute première visite au temple du foot de notre club chéri. On est arrivé trop tard. On a bien fait la queue, comme tout rosbif qui se respecte, mais il n’y avait plus de places pour nous. La déception avalée, on ne se laisse pas abattre. Le jour de la finale, on se retrouve tous à l’Empire Club, espèce de pub réservé aux membres, qui vendait la bière moins cher qu’au pub, justement. Et si je n’avais pas encore l’âge légal pour y être, ça n’avait pas l’air de déranger grand monde. Le match était beaucoup plus équilibré que les experts avaient prédit. Gordon Smith, notre attaquant écossais, marque un beau but de la tête pour donner l’avantage à nos Seagullset la bière vole ! On est Brighton, on joue la finale de la FA Cup, le monde entier regarde et on bat Manchester fucking United 1-0 à la pause ! Évidemment, c’était trop beau pour durer. Frank Stapleton égalise, et puis Ray Wilkins, le maître de la passe horizontale, le mec qui n’avait pas fait une passe vers l’avant depuis 12 ans et qui n’avait pas marqué un but depuis 47 ans, choisit ce jour – of course!– pour inscrire l’un des plus beaux buts dans l’histoire des finales de la Cup. De 30 mètres. Normal.
Mais ce n’est pas fini, les amis. Car Gary Stevens, notre Beckenbauer à nous, marque à trois minutes de la fin et nous voilà à 2-2 ! Extra-time ! Trente minutes de plus. À l’Empire Club, on est tous plus ou moins bourrés, avouons-le. Je ne me souviens de plus rien à part cette foutue dernière minute. Michael Robinson récupère un ballon et avance tel un taureau vers le but des Diables rouges. Dans mon souvenir, il court à peu près 150 mètres avec le ballon, c’est le chemin d’une victoire qui est sûrement au bout de cette action. Le temps s’arrête. À l’Empire Club, on est tous debout. Robinson entre dans la surface, il peut tirer, mais il voit Smith à sa droite, tout seul ! On joue les dernières secondes. Robinson, qui avait déjà marqué le but vainqueur lors de la demi-finale, glisse le ballon à son partenaire. Le commentateur hurle : « And Smith must score! » Et Smith tire dans les jambes de Gary Bailey, le gardien de United. Et Brighton ne gagne pas. Ne bat pas Manchester United. Ne remporte pas la FA Cup. Évidemment, j’arrive à me procurer des places pour le replay et évidemment on perd 0-4. Brighton est relégué, et Michael Robinson signe pour Liverpool.
Plus tard, Michael Robinson finira sa carrière de joueur en Espagne, avec Osasuna. Il s’y plaît. Assez rare pour un sujet de Sa Majesté, il apprend même à parler espagnol et il reste y vivre. Son accent charme les Espagnols, il commence à être sollicité par la télévision et, tellement il est bon, ce charmeur de Michael Robinson, il se trouve plus tard à présenter ses propres émissions. Bientôt, c’est le présentateur préféré des fans de foot en Espagne, une vraie vedette ! Et ce jeune magazine de foot français, So Foot, me propose d’aller passer un moment avec lui à Madrid, histoire de se raconter des histoires et comparer nos parcours. Michael Robinson nous reçoit dans son bureau, nous pose plein de questions, est à l’écoute, nous séduit. Il nous emmène déjeuner dans un restaurant super chic où il nous explique qu’il mange à l’œil grâce à un petit arrangement qu’il a avec le proprio. Et en effet, il a une salle privatisée, on y va et on porte des toasts à Brighton, à cette foutue finale et à Gordon Smith, quand même. Michael Robinson nous raconte des histoires sur ses potes footballeurs, nous régale avec des anecdotes sur sa vie et ses aventures. Il nous parle de son pote Severiano Ballesteros, le joueur de golf fantasque, qui aimait appeler pour proposer des sorties de dingues genre « on part jouer au golf sur la Côte d’Azur et puis on ira au casino de Monte Carlo, tu es partant ? » Et Michael Robinson qui répondait « quand ça ? » Et Seve qui disait « dans quelques minutes, là, je monte dans l’hélico ! »
Donc, on écoute les histoires de Michael Robinson. Il nous fait manger, il nous fait boire. Il nous fait rire. Il nous fait rater notre avion de retour, car tout d’un coup, il est tard ! Dieu sait combien de temps on est resté à table avec lui, mais on n’a jamais pensé regarder nos montres. Michael Robinson appelle son assistante, fait acheter de nouveaux billets d’avion et refuse de nous laisser payer. Il veut même nous conduire jusqu’à l’aéroport, mais on est tous un peu pompette et il finit par nous payer un taxi. Ce fut une journée magique pour le fan que j’étais, que je suis encore. Vous le savez, on dit qu’il ne faut jamais rencontrer ses héros. Eh bien voilà le contre-exemple parfait. Bref, je me suis réveillé aujourd’hui avec la nouvelle de la mort de Michael Robinson et ça m’a foutu un sacre coup au moral. C’est trop tôt, 61 ans. Et c’est trop près de mon âge ! Ce soir, je compte boire un bon coup à ce joueur de foot qui a marqué mon adolescence et à l’homme qui a marqué la vie de tellement d’autres fans de foot.
Par Darren Tulett