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C’est quoi la Home Grown Player Rule ?
Alors que le directeur général de la Ligue de football professionnel et Jean-Michel Aulas réclament l'établissement en Ligue 1 de quotas de joueurs formés localement, l'UEFA a depuis longtemps mis en place sa Home Grown Player Rule dans les compétitions européennes. Justement, c'est quoi cette HGPR ?
Si l’Ajax n’est plus le club qu’il était, c’est la faute à Bosman. Si l’Inter gagne la Ligue des champions sans le moindre Italien, c’est la faute à Bosman. Le refrain est connu, mais comment un milieu de terrain du Royal Football Club de Liège a-t-il engendré un bouleversement des flux migratoires footballistiques en Europe ? Tout commence dans les années 60 avec l’apparition des premières clauses de nationalité restreignant le nombre de joueurs étrangers pouvant participer à une compétition nationale.
Plus tard, en 1991, l’UEFA propose la règle du 3+2 consistant en une limitation pour chaque club de ne pouvoir aligner qu’un nombre limité de joueurs étrangers. La règle permet alors de présenter trois étrangers ainsi que deux autres ayant joué de manière ininterrompue durant cinq ans dans le pays de la Fédération, dont trois dans les catégories de jeunes. L’UEFA avance alors l’argument de la nécessité de maintenir un lien avec les supporters s’identifiant aux joueurs locaux, ainsi que celui de l’équité de la compétition, impossible à maintenir en cas d’absence de règle, car les clubs les plus puissants économiquement accapareraient alors les meilleurs talents.
Quotas, algèbre et UE
Mais ça, c’était avant Bosman. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE), dans son arrêt, annonça que les limitations de joueurs ressortissants des États membres correspondaient à une violation de la liberté de circulation. L’UEFA, fâchée, se refuse pendant une année à prendre en compte l’arrêt. Mais à la suite des pressions de la Commission européenne, l’UEFA cède. Ce que ne fait pas son patron, la FIFA, proposant une variante du 3+2 avec la règle du 6+5. La FIFA, tentant d’inverser le raisonnement du 3+2 limitant expressément la présence de joueur étrangers, propose que des onze joueurs alignés, six soient éligibles à une sélection en équipe nationale. Mais là encore, la CJCE met son veto. Du coup, l’UEFA tente une autre alternative avec sa Home Grow Player Rule, avançant l’argument non plus de la spécificité du sport, mais de la contribution à l’éducation et à la formation. Et ça, évidemment, cela plaît à l’UE.
Ainsi, bien que reconnue comme une restriction à la liberté de circulation, la HGPR se trouve justifiée par l’objectif légitime de contribution à l’éducation. La règle, discutée avec les institutions européennes, est adoptée au Congrès de Talinn en 2005. Mise en place pendant la saison 2006-2007, elle impose que les clubs participant aux compétitions européennes se doivent alors de disposer de quatre joueurs formés localement sur les vingt-cinq inscrits. La saison suivante, six joueurs formés localement sont requis. Et en 2008-2009, le chiffre s’élève à huit. Est considéré comme joueurs formés localement le joueur qui, indépendamment de sa nationalité, a été formé par le club ou un autre club de la même Fédération, durant une période de trois ans entre ses quinze et vingt et un ans. Pour chacune des années de mise en place de la règle, la moitié des joueurs formés localement doit correspondre à des joueurs formés au club, l’autre à des joueurs formés au sein de la Fédération.
Une règle très bio mais très limitée
Mais comme toute règle, la HGPR s’applique dans la mesure que ses propres limites lui imposent. Ainsi, une étude commandée par la Commission européenne et réalisée par l’Edge Hill University dans le Lancashire rappelle que la HGPR est bel et bien une restriction de la liberté de circulation, mais que celle-ci est justifiée par un objectif légitime. Cependant, elle annonce que si toutefois le rapport coût/avantage de la règle venait à disparaître, la HGPR ne serait, dès lors, plus légale. Quand le droit de l’Union entre en conflit avec la spécificité du sport. Mais pas besoin de l’intervention de l’UE pour trouver des failles à la règle. L’UEFA s’en sort toute seule. Ainsi, quand Manchester City est sanctionné pour des manquements au fair-play financier par une réduction du nombre de joueurs inscriptibles sur la liste Champions, le quota habituel aurait dû être d’un joueur local pour 3,125 joueurs non locaux, 8 sur 25. La restriction imposée par l’UEFA suppose que Man City ne puisse inscrire que vingt et un joueurs. Ainsi, le nombre de joueurs locaux aurait dû être, suivant le quota réglementaire de 1 pour 3,125, de 6,72 joueurs locaux. Et pourtant, suite à une requête de la FIFPRO, le syndicat des joueurs, l’UEFA cède et accorde à Manchester City de ne présenter que cinq joueurs locaux sur vingt et un. Merci le lobbying.
La HGPR, bien que romantique dans son aspect local et bio, ne s’applique que dans les compétitions européennes. Or, malgré les encouragements de l’UEFA pour donner une dimension nationale à la règle, des efforts restent à faire. Si la Belgique, l’Allemagne, le Danemark, la Grèce, la Pologne et la Suède ont adopté une réglementation similaire à celle de l’UEFA, c’est le voisin anglais qui est allé le plus loin. Avec 31% de nationaux titulaires en PL lors de la saison 2015-16, on comprend pourquoi. Du coup en 2013, les Anglais ont décidé de redéfinir le joueur formé localement, pour éviter des cas à la Fàbregas ou Clichy, étrangers arrivés suffisamment tôt au R-U pour être considérés comme locaux. Ainsi, le joueur anglais sera local dès lors qu’il aura été formé durant trois ans, jusqu’à son 18e anniversaire, et non 21e comme prévu par l’UEFA. De plus, le nombre de joueurs locaux sera élevé à douze sur vingt-cinq et non huit. En France, le maigre article L 131-16 du Code du sport autorise simplement les fédérations sportives à prévoir des dispositifs relatifs au nombre minimum de sportifs formés localement. Pas suffisant pour JMA, qui s’insurge pour défendre nos produits locaux.
Par Josselin Juncker