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C’est quoi encore ce nouveau « Calcioscommesse » ?
En l'espace de quelques semaines, deux nouvelles affaires de matchs arrangés ont explosé dans les divisions inférieures italiennes. Décryptage.
« Quand y en a plus, y en a encore. » Cela fait quatre ans que les épisodes du Calcioscommesse se succèdent. « Calcio » comme football, « scommesse » comme paris. C’est désormais une habitude, les actualités estivales se partagent entre les rumeurs de transferts et les chroniques judiciaires. Plus de 100 personnes entre joueurs, dirigeants et entraîneurs ont déjà été condamnés dans la cadre de la justice sportive, mais cela n’a visiblement pas suffi. Voici les bonnes questions qu’il faut se poser.
Qu’est-ce que l’affaire « Dirty Soccer » ?
C’est la première affaire. Le 19 mai dernier, tout recommence avec une maxi opération coordonnée par la brigade antimafia de Catanzaro (chef-lieu de la Calabre). Pas moins de 76 prévenus pour une vingtaine de matchs apparemment truqués dans les championnats de troisième et quatrième division (Lega Pro et Serie D). Comme d’habitude, tout est basé en grande partie sur des écoutes téléphoniques, des dizaines de GSM ayant été mis sur écoute pendant des mois. Le schéma est classique, corruption de joueurs pour remporter des matchs, et retour sur la somme investie grâce aux paris sportifs. Enfin, le 11 juin dernier, le même parquet annonce sept nouveaux prévenus pour le match décisif de la promotion de Teramo en Serie B.
Qu’est-ce que l’affaire « Train des buts » ?
C’est la deuxième. Mais les deux enquêtes n’ont aucun lien, celle-ci démarrant d’ailleurs de façon étonnante. Le président de Catania (encore 8e de Serie A il y a deux ans) a porté plainte après les menaces de ses propres supporters suite à la relégation de l’été dernier en Serie B. Et c’est en partant de ce postulat que les enquêteurs, toujours moyennant des écoutes téléphoniques, ont finalement découvert qu’Antonio Pulvirenti et son staff auraient acheté entre 5 et 6 matchs au printemps pour se sauver. L’enquête porte ce nom puisque les protagonistes utilisaient un langage crypté, « J’ai le train de 15h » signifiant par exemple que le joueur adverse portant le maillot 15 était corrompu. Là, on passe à un degré supérieur, déjà parce qu’il s’agit de la Serie B et qu’il y a peu encore, Antonio Pulvirenti siégeait au conseil de la Fédération, en plus d’être un grand pote des hommes forts de la Ligue, le duo Galliani-Lotito.
La Mafia y est-elle mêlée ?
La Sicile, la Calabre, les matchs truqués… Facile de faire des raccourcis. Et bien non, lors d’une récente mise à jour, le parquet de Catanzaro a tenu à exclure que ces trafics servaient à la Mafia ou que cette dernière en était la promotrice. Ainsi, si Pietro Iannazzo, proche du club de Neapolis et membre de la ‘ndrangheta, est parmi les prévenus, c’est seulement pour ses intérêts dans le monde du football. On part donc sur une simple association de malfaiteurs visant la fraude sportive, ce qui est déjà pas mal.
Où en est la justice ordinaire ?
Les enquêtes se poursuivent, même si elles ont été rendues publiques. On notera une fois de plus la fuite des informations avec la diffusion des écoutes dans la presse. Un classique en Italie, utile pour s’informer, mais aussi exercer une pression populaire parfois néfaste, on a déjà connu ça. Et puis toujours ce petit côté « justice spectacle » avec des conférences de presse en grande pompe convoquées par des magistrats un poil zélés. En tout cas, les premiers interrogatoires des personnes suspectées ont eu lieu, si beaucoup ne lâchent pas le morceau malgré les écoutes objectivement compromettantes, le président de Catania, lui, vient d’avouer avoir acheté cinq rencontres.
Et la justice sportive ?
On arrive au but. Stefano Palazzi, célèbre procureur de la justice sportive depuis une décennie, a reçu la documentation de l’enquête « Dirty Soccer » . Croulant sous le travail, il a déjà demandé une prolongation de 40 jours avant d’instruire un procès et a à peine débuté ses auditions. On parle là de centaines de pages à lire et décrypter, et le dossier de Catane n’est pas encore arrivé. Pour ne pas parler des nouvelles informations découlant du tout premier Calcioscommesse de 2011. Hristiyan Ilievski, un Macédonien financeur de matchs truqués, s’est rendu aux autorités italiennes en mars après une cavale de quatre ans. Il a ainsi donné sa version des faits et cela pourrait rouvrir certains procès déjà conclus par la justice sportive, notamment celui du capitaine de la Lazio, Stefano Mauri.
Quelles sanctions ?
Plusieurs dirigeants étant concernés, la responsabilité directe et objective coule quasiment de source et de nombreux clubs devraient être sanctionnés. Points de pénalités, mais surtout relégation administrative. Voilà qui pourrait retarder le début du championnat de Serie B, prévu pour le 22 août, et celui de Lega Pro dans la foulée. Il est clair que la justice sportive ne pourra instruire tous ces procès en moins de deux mois. L’été sera long, très long, et de nouveaux éléments ne sont pas à exclure.
Comment est-ce possible ?
C’est la question que tout le monde se pose. Présomption d’innocence mise à part, dirigeants et joueurs trafiquent tranquillement les rencontres alors que les scandales s’enchaînent. Un début de réponse pourrait venir de la situation économique globalement critique. Beaucoup de joueurs sont mal payés (voire pas payés du tout) et tendent ainsi à accepter beaucoup plus facilement 10 000 € pour truquer un match, somme qui correspond peut-être à 6 mois de salaire qu’ils n’ont pas touché et ne toucheront jamais si leur club fait faillite. On ne les excuse pas, mais avoir permis de parier sur des rencontres de Serie D a également poussé beaucoup de monde à la faute. Plus incompréhensible en revanche, les nombreux avertissements de la société Sport Radar, leader dans la lutte contre le match-fixing, et partenaire de la Lega Pro, mais que le président de cette dernière avait qualifié de « potins et de stalking médiatique » avant que les affaires n’éclatent.
Et les spectateurs dans tout ça ?
La Codacons (association de consommateurs italiens) n’a pas tardé et demande déjà 2000 € par spectateur pour offenses morales et dégâts patrimoniaux. Sur son site, il est possible de télécharger un formulaire à remplir afin de demander cette indemnité. Une action qui avait fonctionné pour un Bari-Lecce truqué de 2011 « C’est une décision qui va faire jurisprudence, ceux qui veulent continuer ces matchs arrangés y penseront à deux fois. La façon la plus efficace est de les toucher au portefeuilles » , avait déclaré l’avocat de la Codacons en novembre dernier au moment de la sentence.
Et les arbitres ?
Aucun n’a figuré sur les registres des différentes affaires du Calcioscommesse en quatre ans. Comme quoi, le bashing incessant dont ils sont victimes en Italie prête à sourire.
Par Valentin Pauluzzi