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C’est quoi encore ce bordel en Côte d’Ivoire ?
Il ne se passe quasiment pas une semaine sans que l’élection à la présidence de la Fédération ivoirienne de football (FIF) livre un nouveau rebondissement. Didier Drogba n’est plus du tout certain de pouvoir être candidat, et la FIFA a même décidé de mettre les pieds dans le plat, afin d’apaiser les tensions. Bref, un joyeux merdier qui ne profite pas à un football ivoirien déjà patraque.
À l’autre bout du fil, Eugène Diomandé est presque fataliste. Le président du Sewé Sports de San Pedro (Division 2), qui avait abandonné l’idée d’être candidat pour rejoindre la Team Drogba, est conscient du burlesque qui entoure cette élection à la présidence de la FIF, pour succéder à Augustin Sidy Diallo. « Vous avez une idée de la façon dont se déroule une élection en Côte d’Ivoire. Ce n’est que du football, et pourtant, il y a beaucoup de tensions, de coups bas… Vous comprenez mieux pourquoi, quand il s’agit de politique, ça se passe rarement bien ? Au moins, dans l’élection pour la présidence de la FIF, il n’y a pas de violences physiques, mais ce n’est pas normal que les choses se déroulent ainsi… » Ambiance.
La FIFA s’en mêle
Dans un monde idéal, le nom du successeur de Diallo aurait dû être connu le 5 septembre. Mais cela faisait déjà un bail que tout le monde avait compris que cette date était évidemment intenable. Aujourd’hui, le processus électoral a été bloqué, après une intervention de la FIFA. La cause ? Le 26 août dernier, la commission électorale de la Fédération ivoirienne estimait que les candidatures de Didier Drogba et de Paul Koffi Kouadio, président du centre de formation Aeternum Académie, n’étaient pas recevables, faute de parrainages valables. Seules celles de Sory Diabaté, numéro 2 de la FIF et patron de la Ligue, et d’Idriss Diallo, un ancien vice-président, ont été acceptées. Les deux recalés avaient la possibilité de saisir la commission de recours de la FIF. Drogba a préféré viser plus haut et alerter la FIFA. Laquelle, après avoir demandé à étudier certains documents, a tranché en mettant sur pied une commission composée de deux de ses membres, deux représentants de la FIFA et un de l’Union des fédérations ouest-africaines (UFOA). Ces cinq personnalités seront chargées de procéder à plusieurs auditions – par visioconférence, crise sanitaire oblige – mais pas des candidats recalés.
?#ÉlectionFIF : La Commission Électorale rejette les demandes de candidatures de Messieurs Kouadio Koffi Paul et Drogba Tébily Didier Yves (Communiqué). pic.twitter.com/LHxMSIuJ19
— La 3 (@La3officiel) August 27, 2020
Après ces auditions, la FIFA et la CAF annonceront la suite du programme. En attendant, Drogba et ses partisans sont accusés par leurs détracteurs « de manipuler la FIFA ». « On nous prête un sacré pouvoir », rigole Diomandé. Depuis que l’ancien attaquant a annoncé sa volonté d’être candidat, les obstacles s’accumulent. Les statuts de la FIF précisent que chaque postulant, pour être candidat, doit être parrainé par au moins un groupement d’intérêts (arbitres, médecins, entraîneurs, joueurs et anciens joueurs). Le 9 août dernier, déjà, la FIFA était intervenue dans cette salade ivoirienne pour obliger la Fédération à rétablir la commission électorale, laquelle venait de valider la candidature de l’ex-attaquant de Chelsea et de l’OM. Seulement, cette commission avait oublié de notifier cette décision à tous les candidats, entraînant la suspension de ladite commission. Vous suivez toujours ? « Le problème, c’est que le processus électoral est compliqué, avec ce système de parrainage qui favorise clairement certains candidats », regrette Paul Koffi Kouadio.
Domoraud versus Drogba
Drogba n’a également pas pu compter sur le soutien de l’Association des footballeurs ivoiriens (AFI), dont il est pourtant vice-président. Cyril Domoraud, l’ancien coéquipier de Drogba chez les Éléphants qui préside l’AFI, lui préfère Idriss Diallo. Et Domoraud s’était fait clasher sur un plateau de télé par Blaise Kouassi, proche de Drogba et qui soutient son pote, au même titre que Yaya Touré ou Copa Barry. « Le climat autour de cette élection n’est pas bon. Je pense qu’avant de saisir la FIFA, Drogba aurait dû d’abord saisir la commission de recours pour contester le rejet de sa candidature. Mais il est évident que la personnalité de Drogba, qui est très populaire, qui semble être le favori d’une majorité d’Ivoiriens, rend cette élection très médiatique. Aujourd’hui, nous sommes suspendus aux décisions de la FIFA et de la CAF, mais le plus ennuyeux, c’est qu’aucune compétition n’a lieu. Il y a la crise sanitaire, qui a privé les joueurs et le public de matchs. Et désormais, c’est cette élection qui bloque tout. À mon avis, tant qu’un nouveau président n’aura pas été élu, les championnats ne reprendront pas, et c’est un vrai problème », regrette Salif Bictogo, le président du Stella Club d’Adjamé.
Le palais présidentiel la met en veilleuse
Mais aux yeux de Diomandé, seule la FIFA peut mettre de l’ordre dans cet immense foutoir. « Je vais être clair : nous n’allions pas saisir une commission que nous ne reconnaissons pas ! Il faut savoir que tout est fait, depuis le début, pour empêcher Drogba d’être candidat. Ce ne sont que manœuvres et coups bas. Le but, pour ceux qui sont en place, est de pérenniser le pouvoir, de se le passer (Sory Diabaté est soutenu par Augustin Sidy Diallo, le président sortant, alors qu’Idriss Diallo l’est par Jacques Anouma, ancien président de la FIF, N.D.L.R.). Ils ont compris que Drogba est populaire, qu’il a un vrai programme, des réseaux, et une volonté de changer les choses. On espère donc que la FIFA l’autorisera à défendre son projet. Après, on verra bien qui est élu… »
Sory Diabaté : ‘‘On ne force pas ! On avait besoin de 8 parrainages, on en a eu 45’’ #ÉlectionFIF ??⚽️https://t.co/PiyF7OlFMW
— MondialSport.ci (@MondialSportci) September 4, 2020
Les plus optimistes espèrent que l’élection aura lieu avant la fin du mois de septembre, afin de mettre fin à ce cirque préjudiciable pour l’image d’un football ivoirien qui ne pète pas vraiment le feu. « Nous n’avions pas besoin de ça. On a un championnat d’un niveau très moyen, des stades quasiment vides, les clubs souffrent financièrement, et la sélection nationale n’est plus ce qu’elle était. Il faut que la fédération ait un président rapidement », soupire un dirigeant. C’est aussi le souhait du pouvoir politique, étonnamment discret depuis le début de la campagne, lui qui a l’habitude de se mêler de tout et surtout de foot, surtout quand il peut en tirer des bénéfices. « Il y a une élection présidentielle le 31 octobre prochain. Ce que l’État veut, c’est que cette élection à la FIF se fasse vite, et qu’on passe à autre chose », souligne Bictogo. Ce n’est pas gagné…
Par Alexis Billebault