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C’est quoi ces scores fous en Estonie ?
Eesmärk, eesmärk, eesmärk ! Ce samedi en Coupe d'Estonie, le panneauteur du Lasnamäe KJH Stadium a eu pas mal de boulot pour indiquer les 36 réalisations des locaux d'Infonet contre les amateurs de Virstu. Pourtant, au nord de la Baltique, les casquettes, c'est devenu une habitude pour la plupart des clubs.
Anatoli Novožilov, recordman de buts inscrits en un match (10) lors d’une victoire 24-0 en 1993, Aleksandrs Čekulajevs meilleur buteur du championnat 2011 avec le chiffre messien de 46 pions ou encore Sergei Zamogilnõi, buteur à 43 ans : la D1 estonienne a plutôt la réputation d’être un championnat où les buts s’amassent. « En Meistriliga, il y a cinq équipes beaucoup plus fortes que les autres, elles écrasent le reste du championnat, et le titre se joue uniquement entre ces équipes. Les autres ont un niveau bien plus faible. » Depuis deux ans et demi, le Congolais Allan Kimbaloula arpente le milieu de terrain de Viljandi linnastaadion, Pärnu Kalevi Stadium et Kadrioru Stadium du pays balte le plus au nord. 48e championnat européen, calée notamment derrière le Luxembourg, le Liechtenstein et Malte, la Meistriliga n’a que six championnats derrière lui au classement.
Hégémonie à cinq
« Pourtant, il commence à y avoir de grosses évolutions ici, estime Kimbaloula.Les quatre premières équipes (Kalju, Flora, Levadia, Infonet et Silamae) sont proches d’un niveau du top de la Ligue 2. » Au départ, il y a bien sûr eu un peu d’argent injecté dans chaque club, mais le fait de jouer la Coupe d’Europe chaque année a rapporté pas mal dans les caisses. « Et puis les participations aux coupes d’Europe ont aidé les clubs estoniens, renchérit Kimbaloula.Il y a plus d’exposition, plus de recruteurs et plus de joueurs qui viennent de l’extérieur pour amener un plus au championnat… ça aide beaucoup l’Estonie à évoluer dans le monde du football. » C’est ainsi qu’en août 2013, le club de Kimbaloula, Nõmme Kalju FC, a réussi l’exploit d’éliminer le HJK Helsinki au second tour des éliminatoires pour la Champions League.
Des pères de famille non affûtés
Cette réussite partielle met un voile sur l’incroyable différence entre les clubs dits du top du championnat et les autres qui se font gentiment massacrer par les gros bras lors des premiers tours de la Coupe d’Estonie, comme cela a été allègrement relayé dans la presse ces derniers jours. Comme en Coupe de France, le tirage au sort peut très bien faire tomber Kalju, actuel leader de la D1, contre le modeste Rajajoen Pallo 39, pensionnaire de Rahvaliiga, l’équivalent de la 7e division locale. « Mais ici, pas de magie de la Coupe, glace Kimbaloula. Il y a un trop grand écart de niveau. En France, dans une équipe de CFA 2, il y a peut-être des joueurs qui ont déjà été professionnels, donc il y a un certain niveau. En revanche ici, à partir de la 4e ou 5e division, aucun des joueurs n’a goûté au plus haut niveau. Ce n’est pas leur métier, on retrouve donc parfois des pères de famille qui ne sont pas forcément affûtés pour jouer au foot et qui le font juste pour s’amuser. » Résultat des courses : des 14-0, des 20-0 et même ce fameux 36-0 entre Infonet et Virstu, score devenu co-record du plus gros écart entre deux clubs dans une compétition professionnelle. Le précédent était détenu par Arbroath et Bon Accord, qui s’étaient quittés sur le même score dans le cadre de la Coupe d’Écosse… 1885.
Six buts en 15 minutes
Allan Kimbaloula a bien entendu déjà joué ce type de rencontres déséquilibrées, il a donc largement pu voir de ses propres yeux le très faible niveau des équipes de divisions inférieures. « L’année dernière, on avait eu une rencontre très facile (18-0 contre Ambla Vallameeskond, ndlr). Je n’ai pas joué beaucoup, parce qu’on avait un match de championnat à préparer par après, mais en quinze minutes, j’ai dû marquer cinq-six buts, c’était probablement le match le plus facile de ma vie… » Le problème dans ces cas-là, c’est que les gagnants vont chercher à s’amuser, comme Infonet qui a laissé tous ses joueurs de champ inscrire au moins un but sur les 36 enfilés à Virstu. « C’est difficile à gérer quand on met des scores comme ça, se défend Kimbaloula. Inconsciemment, on a l’impression d’être facile. Et quand on est facile, c’est un manque de respect. En général, le coach titularise alors des joueurs qui ne sont pas souvent alignés. Ces gars-là ont faim, ils veulent montrer au coach leur valeur, donc ils ne lèvent pas le pied, c’est une occasion à ne pas louper pour eux. »
« Ils viennent prendre du bon temps »
En Estonie, tout le monde trouve ces scores normaux, même si ce tirage au sort ne permettra jamais aux équipes de bas niveau d’évoluer. « Ce serait préférable qu’elles fassent d’abord des tours préliminaires entre elles et qu’après seulement, les quatre vainqueurs des groupes commencent à rencontrer les équipes professionnelles. Ça serait plus intéressant pour tout le monde » , pose alors Kimbaloula en guise de solution. Mais la Fédération estonienne ne semble pas vouloir spécialement changer les choses, d’autant que les petits clubs ne sont pas les premiers à rouspéter. Battu 36-0, le petit village de Virstu, 500 âmes, a pris la défaite à la rigolade en disant que cela avait permis au club « de décupler le nombre de visiteurs sur son site » . « Toutes ces équipes savent dès le de début du match qu’elles vont se faire rouster, assure Kimbaloula. Pour tous ces gens, c’est plutôt une fête : souvent ce sont des petits villages qui viennent jouer, donc ils prennent ça comme un occasion pour prendre du bon temps et gagner un peu en notoriété, donc ils viennent simplement en étant contents d’être là. » En plus, ils ne se seront pas fait chier à se mettre tous les buts contre leur camp comme les Malgaches du stade olympique L’Emyrne l’avaient fait 149 fois en 2002, pour protester contre la prétendue protection de leur adversaire, l’AS Adema.
Par Émilien Hofman