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C’est quoi ce bordel entre les Américaines et leur Fédération ?

Par Mathieu Rollinger
C’est quoi ce bordel entre les Américaines et leur Fédération ?

Il n’y a pas qu’à la CAN que les conflits entre les acteurs du jeu et les instances fédérales pimentent une compétition. En effet, les Américaines disputent en parallèle du Mondial un match autrement plus complexe que ceux sur le terrain, et qui les oppose cette fois à leur propre Fédération.

Un quintuplé comme une barricade sur laquelle grimper. Quelques minutes après avoir étrillé la Thaïlande le 11 juin dernier, Alex Morgan en profitait pour délivrer un message. « Pour notre équipe, ce match est une bonne opportunité pour montrer que nous travaillons dur et que nous méritons les mêmes efforts financiers pour la sélection féminine(que pour la masculine, N.D.L.R.), assurait la star américaine. J’espère que cette Coupe du monde nous offrira une belle exposition, que le public pourra découvrir de belles équipes et profiter de matchs de qualité. Mon souhait serait de pouvoir mettre la pression sur la Fédération américaine pour avoir plus de reconnaissance envers la section féminine » . Pour comprendre cette sortie, il faut savoir qu’avant d’assaillir les défenses thaïlandaise, chilienne ou suédoise, les Américaines étaient déjà à l’attaque.

US et coutumes

En mars dernier, vingt-huit joueuses internationales ont intenté un procès à leur Fédération, la puissante USSF, pour « discrimination sexiste généralisée » . Un conflit qui se déroule comme un fil rouge dans ce tournoi. Et c’est peu dire qu’un nouveau titre mondial serait un argument de plus dans leur combat. Dans le cahier de doléances, il est forcément question d’argent. Sont notamment dénoncées les conditions de travail actuelles et le manque d’investissement. Pour elles, difficile de comprendre pourquoi elles se coltinent plus de terrains synthétiques — sur lesquels elles ont joué 21 % de leurs matchs entre 2014 et 2017, contre 2 % pour leurs homologues masculins — et pourquoi elles n’ont bénéficié d’aucun vol spécialement affrété pour faire leurs déplacements, privilège dont les hommes ont eu droit à 17 reprises en 2017.

Mais le nerf de la guerre reste le volet salarial puisque leurs avocats s’appuient sur deux lois — l’Equal Pay Act de 1963 et le Civil Rights Act de 1964 — qui induisent que tout citoyen américain doit être rémunéré de manière égale pour un travail égal. Or, selon leurs calculs, le compte n’y est pas, surtout si on le met en rapport avec les résultats sportifs. Entre les émoluments touchés par les filles de l’USWNT — triples championnes du monde et quadruples championnes olympiques — et la sélection masculine, abrégée USMNT — qui en 30 ans n’a pas dépassé la barrière des quarts de finale de la Coupe du monde —, la différence salariale reste défavorable pour les femmes. Une question aussi épineuse que complexe, car le soccer est bourré de particularités. En effet, si les joueurs internationaux sont salariés par leur propre club ou franchise, les femmes sont elles employées directement par l’USSF. Une manière de les garder sous le coude pour chaque rassemblement et qui explique aussi pourquoi elles tentent rarement une aventure à l’étranger. Ainsi, il est difficile de comparer les fiches de paie des hommes et des femmes.

Les Gilets blancs, Acte II

Pour se faire une idée des disparités économiques, mieux vaut mettre dans la balance les primes de victoires. Ainsi, la convention collective entrée en vigueur en avril 2017 prévoit une prime maximale de 8 500 $ (soit 7 469 €) par joueuse pour une victoire en amical contre une équipe du top 4 et le Canada, quand les hommes peuvent encaisser 17 625 $ (soit 15 488 €) pour une victoire lors d’une rencontre amicale contre une équipe du top 8 mondial ou le Mexique. Certes, voir les Américaines triompher contre l’Angleterre ou la France est moins rare que voir les mecs se faire le Brésil ou l’Espagne, mais le gap est là. Et encore : ces tarifs sont ceux en vigueur depuis la dernière convention collective, résultant d’un premier coup de gueule en 2016 de cinq pontes de la sélection, où Hope Solo, Megan Rapinoe, Becky Sauerbrunn, Alex Morgan et Carli Lloyd étaient déjà montées au créneau.

Avant ça, les joueuses internationales percevaient un salaire de base de 72 000 $ (63 270 euros) auquel il fallait ajouter une moyenne de 54 000 $ pour la saison avec leur club (versés aussi par la Fédé), les primes de victoires et de qualification ainsi qu’un intéressement sur la billetterie sur les matchs disputés sur le sol américain (1,20 $ par joueuse et par billet). Si la parité n’est pas encore d’actualité, ce premier coup de pression a été utile. Depuis 2017, selon les informations de la journaliste américaine Caitlyn Murray, le salaire annuel est passé à plus de 100 000 $ pour une rémunération totale de 225 000 $ par an, sans compter les revenus publicitaires. Même la sélectionneuse Jill Ellis a bénéficié de cet épisode. Celle-ci touchait encore dix fois moins (318 533 $ annuels) que le sélectionneur des hommes de l’époque, Jürgen Klinsmann et ses 3 millions de dollars, et a reçu récemment une augmentation « substantielle » . De belles avancées, avec des pactoles qui placent dans tous les cas les Américaines dans une autre dimension que les joueuses d’autres pays, mais leur situation reste inégale par rapport aux bénéfices que l’USWNT dégage.

« We can do it »

De son côté, la Fédé ne compte toujours pas fléchir. Selon elle, ses équipes féminine et masculine « fonctionnent selon des conventions collectives indépendantes l’une de l’autre et dont les budgets tiennent compte des revenus engendrés par les équipes, et ce sans que le facteur du genre n’entre en compte » . L’USSF soulignait notamment les différences de dotation de la FIFA (9 millions de dollars pour le huitième de finale des hommes au Mondial 2014, contre 2 millions seulement pour le sacre des filles en 2015). Mieux, selon son dernier rapport financier, la Fédération a dépensé plus de 17 millions de dollars pour la sélection féminine entre le 1er avril 2017 et le 31 mars 2018, soit environ 2,5 millions de plus que pour les hommes. Même Donald Trump, qui « aime regarder le football féminin » , a apporté son grain de sel dans un entretien pour The Hill. Sans prendre clairement position, le président américain a estimé que tout ça était « avant tout lié à des problématiques économiques et que les revenus des joueurs dépendent aussi de l’argent engendré » . Pourtant, selon le Wall Street Journal, depuis la dernière victoire mondiale en 2015, les matchs des filles ont engendré 50,8 millions de dollars, contre 49,9 millions pour les hommes.

Le week-end dernier, le dialogue semble s’être rouvert, le Wall Street Journal assurant qu’un accord de médiation a été trouvé et les négociations devraient être entamées à l’issue du Mondial. De quoi envisager une nouvelle convention, même si le porte-parole de l’USSF regrettait que « l’avocat des plaignantes ait jugé nécessaire de partager publiquement ces informations pendant la Coupe du monde féminine » , dans un souci de causer « le moins de distraction possible à l’équipe » durant la compétition. Les résultats des filles de Jill Ellis et une victoire finale semblent être (malheureusement) la meilleure carte à jouer pour prétendre à cette égalité, et passer l’obstacle français est une étape comme une autre vers la reconnaissance de leurs droits. Si bien qu’aujourd’hui, en plus d’asseoir un peu plus sa domination sur le football féminin, la Team USA cherche surtout à rejoindre la Nouvelle-Zélande dans un palmarès un peu spécial : depuis le mois de mai 2018, les Football Ferns sont les seules à bénéficier d’un traitement égal avec leurs homologues masculins. Un exemple qui prouve qu’il n’y a pas besoin de grimper sur le toit du monde pour être considéré à sa juste valeur.

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Ben Old, un Néo-Zélandais sur le green
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