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C’est qui le plus fort, le lion ou l’éléphant ?
Décevants lors de leurs deux premiers matchs, Cameroun et Côte d'Ivoire se disputent ce soir une qualification pour les quarts de finale. Entre dissensions internes, niveau de jeu en berne et terrains rapiécés, un poids lourd du continent va tomber.
Pour ceux qui en doutent encore, le lion, c’est quand même très très fort. Pour s’en assurer, il suffit de se plonger dans la conférence de presse délivrée par Volker Finke, devant un parterre de carnivores aux crocs acérés. Agressifs, ces derniers ne tardent pas à attaquer : « Coach, vous lisez certainement la presse camerounaise et vous êtes au courant que la plupart des Camerounais vous détestent. Si le Cameroun est éliminé, est-ce que vous allez finalement démissionner ou est-ce que vous allez attendre qu’on vous chasse ? » Assis à ses côtés, Stéphane M’Bia en prend lui aussi pour son grade, en référence à une embrouille présumée à l’entraînement avec le Lyonnais Clinton Njie, depuis boycotté. « En fait, vous n’avez pas l’impression que le problème de ce groupe du Cameroun, c’est vous Stéphane M’Bia ? » Dure adversité, mais un lion indomptable sait gérer. « Non, je ne crois pas. Vous dites ça alors qu’on est très sereins dans la tanière, ça se passe bien. L’important, ce sont les résultats et je ne pense pas que le problème, ce soit M’Bia » a expliqué le roi de la savane, avant de laisser la parole au boss allemand, accusé de tout lui céder : « Arrêtez de bavarder ! C’est moi qui fais l’équipe, vous faites beaucoup de bruit dans vos papiers, mais je ne fais pas un vote pour savoir qui joue. J’ai préféré(à Clinton Njie, ndlr) Salli et Moukandjo qui ont fait des très bons matchs. C’est tout. Je travaille tous les jours avec les joueurs, je crois que je les connais. »
Bien sur ses appuis, le lion vit sur ses acquis. En l’occurrence, des qualifications réussies, où les Camerounais ont triomphé de la Sierra Leone et de la RDC, en plus de bouffer du pachyderme à Yaoundé. Une victoire 4-1 en bonne et due forme, avec des doublés d’Aboubakar et Njie. De quoi envisager la suite avec sérénité… Seulement, entre préparation physique tronquée et choix tactiques policés, les deux premiers matchs de poules ont été poussifs. Au centre des critiques, Volker Finke n’a encore utilisé que 14 joueurs sur les 23 sélectionnés, snobant de fait certains éléments décisifs pour la qualification. Tendue comme jamais, l’ambiance autour de la sélection camerounaise n’incite pas franchement à l’optimisme du côté de Yaoundé. « Ils auraient dû gagner ce match, mais ils auraient pu le perdre » a expliqué Joseph Antoine Bell, l’ancien gardien de l’OM, à propos de la dernière rencontre contre la Guinée : « Ils ont eu des occasions de buts, c’est vrai, mais ils les ont ratées. Ils auraient même dû perdre parce que l’arbitre a fait une bêtise monumentale en refusant de siffler un penalty évident pour leurs adversaires. » Alarmé, le légendaire Roger Mila a lui aussi sonné le tocsin : « Quand on regarde les deux matchs, on a été impuissants. (…) On n’est pas à la hauteur tactiquement. Il est inadmissible que toute une équipe soit désordonnée sur le plan tactique. Il faut avoir au moins deux ou trois joueurs capables de tirer les autres. » Malgré tout, ce dernier a tenté de positiver : « Cela ne veut pas dire qu’on va les battre, mais la Côte d’Ivoire est encore pire que nous (rires). Quand vous regardez leurs deux premiers matchs, c’est la plus mauvaise sélection de toute la CAN. »
Lion vs éléphant
Vraiment, Roger, t’es sûr que le lion, il est plus fort que l’éléphant ? En réalité, rien n’est certain, parce que toute leur force est concentrée dans la trompe. Éliminés pour 32 secondes à la Coupe du monde, quand les Camerounais s’affichaient, les coéquipiers de Yaya Touré sont intrinsèquement redoutables. Grand habitués des matchs à pile ou face, les Éléphants s’avancent avec la certitude d’un gros du continent : « La sérénité des joueurs, leur implication depuis le début du tournoi dans le travail, la réaction après la mauvaise première période des deux premiers matchs me rendent optimiste. Dans une compétition comme une Coupe d’Afrique, l’important, c’est de monter en puissance petit à petit, et de ne pas faire le contraire : démarrer très très fort et s’épuiser au fil des minutes. On finit très bien les matchs, donc il n’y a pas de raison que ça ne se passe pas bien » a confié le sélectionneur Hervé Renard, avant de rassurer ses troupes quant aux derniers affrontements : « On s’était fait étriller à Yaoundé. Tout le monde sait que le Cameroun est un très grand pays de football en Afrique, mais quand on a joué en septembre, c’était après la Coupe du monde, beaucoup de joueurs n’avaient pas encore rejoué dans leurs clubs. Le moral était bas, les joueurs très affectés. Au retour, on avait fait un bon match, on avait touché la barre et on avait dominé à dix contre onze. Entre les deux matchs, de nouveaux joueurs sont arrivés, la sérénité est revenue. »
Celle-ci peine encore à se montrer. Franchement mauvais contre la Guinée, les Ivoiriens ont réagi dans les dernières minutes face au Mali, un match au cours duquel Gervinho a été expulsé. À l’image du Romain, Yaya Touré peine encore à prendre le relais des anciens cadres qu’étaient Didier Drogba et Didier Deguy Zokora, dit « le Maestro » . Affaiblis par les retraites unilatérales de leurs leaders, les Éléphants se sont transformés en éléphanteaux. « La Côte d’Ivoire de 2014 n’est pas la Côte d’Ivoire de 2010 » expliquait Sory Diabaté, le vice-président de la FIF, en novembre dernier : « Nous avons déjà dit que la CAN 2015 n’est pas la priorité de la Fédération. Hervé Renard a été recruté pour bâtir une équipe et préparer la CAN 2019. » Ambitieux, l’entraîneur français s’est mis la pression tout seul avant le tournoi, en déclarant que s’il avait gagné avec la Zambie, il pouvait bien gagner avec la Côte d’Ivoire. Il a néanmoins concédé qu’une élimination prématurée ne serait pas une catastrophe : « Non, car la vie continue. Lors de cette CAN, l’Égypte et le Nigeria ne sont pas là, et ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas revenir plus forts. On se construit parfois avec des performances moyennes ou même mauvaises. Prenez la Zambie, ils ont été éliminés hier, mais ils ont pris l’option de venir avec une équipe de jeunes joueurs qui auront appris quelque chose. »
Duel à mort
Alors, qui triomphera entre le lion blessé et l’éléphant inexpérimenté ? Nul ne le sait encore. Un match nul pourrait même qualifier les deux équipes, si le Mali et la Guinée ne parviennent pas non plus à se départager… Mais au vu des égos sur la pelouse disposés, l’affrontement pourrait bien tourner au duel à mort. Ce qui est sûr, c’est que « la rigueur sera de mise » lors du choc entre ces deux poids lourds du monde animal : « Le spectacle ne sera peut-être pas le plus beau, les coups de pied arrêtés auront une importance capitale. Il faudra tout bien faire défensivement, se lâcher sur les actions offensives, tout en gardant un bon équilibre » a prévenu Hervé Renard, prêt à piéger le prédateur imprudent : « Le Cameroun est redoutable quand il récupère le ballon et part en contre-attaques, mais il a eu plus de mal contre des équipes retranchées autour de leur but. » Pas effrayé, son homologue allemand a lui estimé que « le match se jouera sur l’état d’esprit » , avant d’annoncer la couleur au milieu de la mêlée : « Je crois que nous allons nous qualifier. » Ainsi va la vie dans la savane. Ce soir, au centre des regards, un gros du continent va tomber. Et la réponse va enfin éclater.
Par Christophe Gleizes