Il est comment aujourd’hui Maradona, à 55 ans ?
Déjà, il fait la preuve qu’à 55 ans, il possède un physique hors du commun parce que peu de gens le voyaient capables d’arriver jusque-là. Pour presque tout le monde, il était condamné à une vie très courte. Lui-même, alors qu’il venait de fêter ses 40 ans à Cuba, a dit : « J’ai l’impression d’en avoir 80. » Du coup, c’est comme si, aujourd’hui, Maradona avait 110 ans. Il est plus que jamais un vrai mythe, avec ses imperfections certes, mais surtout on va rentrer dans une année particulière en 2016, puisqu’on va fêter les 30 ans de Mexico 86. Le moment où il est entré dans la légende.
Comment il gère ce statut de mythe du football qui ne rechaussera plus jamais les crampons ?
Je ne suis pas certain qu’il se voit comme tel. Je me souviens que lors de son dernier match, ce fameux jour où il a prononcé « le ballon ne se salit pas » , il n’a jamais parlé de retraite, pour lui c’était un hommage. Pour lui, il est toujours cet homme, en short et en crampons. Je me souviens qu’une de ses filles lui avait demandé : « Papa, quand est-ce que tu vas rejouer comme dans les vidéos ? » C’est ça, sa vie, le terrain, c’est là où il s’est le mieux exprimé et il aura toujours du mal à laisser derrière lui sa carrière de footballeur.
Aujourd’hui, il se sent toujours joueur de football ?
Oui toujours. Si tu lui demandes ce qu’il est, il va te répondre qu’il est joueur de football. Il ne dira jamais que c’est un ancien joueur. S’il doit remplir un formulaire, en face de la case profession, il écrira joueur de foot. Il n’y a qu’à le regarder quand il touche un ballon, malgré les difficultés qu’il peut avoir, son visage s’illumine. C’est clairement ce qui le rend le plus heureux.
Quel regard porte l’Argentine sur Diego ?
Ce qui me surprend le plus, c’est que même ceux qui ne l’ont jamais vu jouer, ou alors juste sur des vidéos, lui vouent une admiration sans borne. Ensuite, c’est un sujet controversé. Diego est adoré et détesté. Ceux qui le détestent, détestent le personnage Maradona, mais le Diego footballeur fait l’unanimité. En fait, Diego représente beaucoup de questions liées au concept même « d’argentinité » , dans le bon comme dans le mauvais. Se sentir fort dans l’adversité, lutter contre les obstacles, jouer à Barcelone ou à Naples et chercher la même chose peu importe le contexte. Et d’un autre coté, la fanfaronnade, la contradiction, mais qui fait partie du personnage. Dire que Maradona n’est pas un homme rempli de contradictions serait mentir. Il y a eu un début de polémique sur la présence de Diego chez les Pumas lors de la Coupe du monde de rugby, les gens disaient qu’il ne représentait pas les valeurs des Pumas, mais voici ce qu’a répondu Agustín Creevy, le capitaine : « Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, nous l’avons invité, on le voulait dans le vestiaire, c’est un symbole. » Diego c’est « l’argentinité » personnifiée dans tous les sens du terme, c’est un débat à lui seul.
Il est critiqué plus qu’il ne le mérite ?
L’Argentin moyen vit de controverse en controverse. Moi, ça fait 30 ans que je vis avec Maradona, ce Noël, ça fera 30 ans que j’ai écrit mon premier article sur Maradona. Je ne suis pas un défenseur, pas un fondamentaliste de Maradona, loin de là, je l’ai critiqué. Mais je n’ai jamais cessé d’essayer de le comprendre. Ce que ne font pas les gens qui le critiquent constamment. Qui serait capable de se mettre à sa place, de vivre ce qu’il a vécu ? Il y a d’autres footballeurs, avec des histoires similaires venant d’endroits similaires et qui n’ont presque pas changé, c’est vrai, mais aucun n’est Maradona. Personne n’est Maradona. Aujourd’hui, Maradona déchaîne les passions dans les mêmes propensions qu’à son apogée footballistique. Il a ça en lui, c’est dans ses gênes.
Son opinion vaut encore quelque chose ou ses contradictions permanentes font qu’on ne lui prête plus une réelle attention ?
Non, il continue d’avoir un vrai poids. Il y a plus que jamais un fanatisme autour de Diego. Et on peut le comprendre. Il reste encore celui qui a apporté la dernière Coupe du monde au pays, celui qui a battu les Anglais, celui qui a fait chuter le Brésil en 90, qui s’est battu contre la FIFA… Il est tellement profond qu’on ne peut le comparer à rien d’autre.
Tu as déjà rencontré un génie comparable au sien ?
Maradona est intégral. Le génie de Maradona n’aurait pas la dimension qui est la sienne sans l’exagération, la transgression qui l’accompagne. Au-delà du fait que j’ai pu ou non rencontrer un génie dans son genre, il n’y a qu’à écouter les anciens joueurs, les joueurs avec lesquels il a joué, et même ceux qui ne l’ont pas connu sur le terrain, tous disent plus ou moins les mêmes choses. Même quand on parle de Messi, on ne dit pas pareil. Mais moi, je ne veux pas de cette comparaison.
Pour moi, la vie de Maradona depuis les années 90, ce n’est que morts et résurrections
Il est toujours un héros moderne ?
Oui, il a quelque chose de la figure du héros, du rebelle. C’est ce qui plaît tant aux Argentins, la lutte contre l’adversité. Le mythe Diego s’est forgé dans le ressentiment. En 86, au Mexique, c’était « tous contre nous ? Je serai plus fort » . Cette logique lui a même valu de s’inventer des combats.
Diego a profité de sa résurrection pour vivre d’une autre façon ou alors il ne sait pas vivre autrement ?
C’est simple, pour moi, la vie de Maradona depuis les années 90, ce n’est que morts et résurrections. J’avais fait une infographie qui répertoriait : de Villa Fiorito à Barcelone, de sa chute à Barcelone, avec une hépatite et une fracture au ciel de Naples, puis du ciel de 86 au dopage de 91. Tout ça, en tant que joueur, est déjà symbolique, mais après sa carrière, c’est devenu réel. Maradona est mort plusieurs fois. En 2000, en 2001, en 2004. Si on fait une compilation de ses visages entre sa naissance et son 55e anniversaire, on va trouver bien plus que 55 visages différents. Ce sont des métamorphoses, des transformations. De morts et de résurrections, c’est ainsi qu’est faite la vie de Maradona, et heureusement, il ressuscite à chaque fois.
C’est quoi la suite ? Entraîner de nouveau ? Finir sa vie à Dubaï ?
Je ne crois pas qu’il entraînera à nouveau. Il doit assumer son statut de mythe et vivre comme tel. Moi, je ne voulais pas que Diego soit nommé sélectionneur parce que c’est un poste ingrat et qu’il mettait son statut de mythe en jeu parce qu’il ne pouvait pas se défendre sur le terrain. Les fois où je l’ai vu à Dubaï, ce sont les fois où je l’ai senti le mieux. Moi, j’aime le voir en ambassadeur du sport argentin, quand il va voir les Pumas ou les athlètes argentins aux Jeux olympiques. Bon, ce n’est pas un ambassadeur diplomatique, parce que s’il y a bien une chose que Diego n’a pas, c’est la diplomatie. J’aimerais qu’il savoure sa vie.
Tu es celui qui l’a le plus interviewé ?
Je peux me targuer de la longévité de notre collaboration. Personne n’a passé 30 ans avec lui. Personne n’est resté aussi longtemps. Peut-être que d’autres journalistes sont plus amis avec lui après tout. Mais moi, je suis heureux de cette longévité et d’avoir toujours chercher à le comprendre. Et je crois que je l’ai souvent compris. Mais oui, sur 30 ans, je dois être celui qui l’a le plus interviewé, je crois qu’on en a fait plus de 200 ensemble…
« Les traditions ne sont pas une raison pour ne pas arrêter les chants homophobes »
Propos recueillis par Aquiles Furlone // Traduction : Alex G.