Est-ce que pendant votre carrière de joueur vous aviez déjà pensé à votre reconversion comme consultant ?
Non pas du tout. J’ai toujours rêvé d’être footballeur, mais pas consultant. Très jeune j’avais des étoiles dans les yeux quand j’allais voir les entraînements des pros. Ensuite (après ma carrière, ndlr), je me suis d’abord plutôt occupé de faire venir des joueurs, ce genre de choses (il a également été agent de joueurs, ndlr). Mais j’ai plus tard rencontré Charles Bietry et il m’a dit un jour : « Toi, tu dois faire de la télé. » Je lui avais répondu : « Mais non, comment ça ? Je parle mal, j’ai un accent. » Il m’avait répondu : « Ça va venir avec le temps, quand tu ne sais pas quoi dire, tu souris, tu rigoles. » (rires) Ça date de l’époque où Canal avait lancé le match à la carte, au début des années 90.
C’est un rôle qui vous a tout de suite plu ?
Oui, parce qu’on a une espèce de sensation d’être privilégié, de pouvoir être l’accompagnateur du spectacle. Et en même temps, on n’a pas beaucoup de risques, de critiques. On n’a pas l’enjeu, la pression des footballeurs. En plus, j’ai rapidement été axé sur le football d’Amérique du Sud, d’Espagne. Un football qui me convient vraiment, auquel je m’identifie plus. Je préfère mille fois voir des dribbles, des petits ponts, je suis plus dans l’éloge de la beauté gestuelle que d’un beau tacle ou une défense renforcée qui tape dans les tribunes. Je me suis vite demandé ce que je pouvais apporter, comment je pouvais m’améliorer. Pour moi, le côté accent et le côté grammaire française, ça reste encore, même maintenant, un obstacle. Je sais que je commets des fautes, je tiens à ne pas en faire. Je cherche à ennuyer le moins possible le spectateur avec ça.
Votre accent vous dérange ?
Au début, je me suis dit que j’avais un poids, un handicap. Alors que maintenant, beaucoup voient ça comme la différence, l’originalité. À l’époque, il n’y avait que George Eddy comme étranger. C’est très très rare de voir des étrangers commenter, dans n’importe quel pays d’ailleurs. En Argentine ou au Brésil, je n’ai jamais vu un étranger commenter. Certains me disent : « Tu forces ton accent » , mais non pas du tout, j’aimerais plutôt l’atténuer. Mais je n’y arriverai jamais, je n’ai pas été à l’école, je n’ai pas la mécanique de la langue pour pouvoir sortir les bons sons. En français, les voyelles, ce n’est pas évident par exemple.
Au final, c’est ça qui fait votre charme, non ?
Oui, quelque part, ça me différencie, ça me démarque très vite. Quelqu’un qui m’écoute va savoir que c’est moi dès la première phrase. Alors qu’il lui faudra sûrement plus de temps pour reconnaître un autre commentateur.
Selon vous, quel est le rôle des commentateurs ?
Nous sommes des accompagnateurs, la musique dans le film. Je ne crois pas que nous puissions rendre meilleur le match. On est une sorte de complément, quelque chose de festif. Moi, j’ai une culture où on ne regardait pas la télé, on regardait (sic) la radio. On la mettait au milieu, avec mon grand-père, mes neveux, mes cousins. On écoutait les commentateurs argentins qui étaient des fous furieux. Ils sortaient des phrases très imagées. Tu n’avais pas une seule image, mais à tout moment, tu pouvais tout imaginer. De quelle façon le joueur allait frapper, comment il était habillé, si la frappe était puissante… Tout était imagé, tu avais un complément d’information. C’est beaucoup plus facile pour nous qui faisons de la télévision.
Justement vous vous êtes inspirés de ces commentateurs sud-américains ?
Oui, je me suis inspiré de ces commentateurs. Disons que j’ai toujours eu cette image du match commenté. J’étais étonné quand je suis arrivé ici, de voir les gens parler de façon posée. Chez nous, le match, on le crie, on le raconte, on le met constamment en débat. Celui qui a un gros nez, il l’appelle « Manija » pour poignée de porte. Un mec qui est un peu métisse qui joue à River Plate, il l’appelle « el Negro » . Celui avec des grandes oreilles, il le surnomme « antennes paraboliques » . T’as envie de l’écouter. Moi, je l’écoute, je me le mets sur internet. Je regarde l’image sur la télé, mais je l’écoute en même temps. Ici (en France, ndlr), on ne pourrait jamais imaginer ça, des surnoms par rapport au physique. Pour moi, ça reste un privilège que nous avons de raconter un match de foot. Bien sûr, il y a des enjeux importants, c’est une industrie, mais ce n’est jamais grave. Il y a une nuance entre important et grave. Grave c’est la guerre, les maladies, la mort. Grave, ce n’est pas le foot.
C’est de ces commentateurs argentins que vos envolées vous viennent ?
Je n’ai aucune prétention à dire que je peux copier les commentateurs argentins. J’ai toujours écouté, et vu le football comme ça. Même le rugby, j’ai regardé Argentine/Australie avec les commentaires en argentin, tu as la chaire de poule (il imite un commentateur argentin). Tu es dans le match, tu as presque envie de jouer. C’est complètement partial, le mec est pour l’Argentine à fond. Moi, j’ai toujours grandi avec cette histoire. Je ne me dis pas : « Attends, je vais faire ça. » Ça vient tout seul.
C’est naturel, du coup, de vous enflammer après un but ?
Je ne comprends pas qu’on puisse ne pas célébrer un but. Quand Di María a dit qu’il ne célébrerait pas s’il marquait contre le Real, ça m’interpelle. Comment tu peux te brider, dans un stade, un moment de communion. Il a parlé du respect du Real Madrid, mais je ne suis pas d’accord. Et les supporters de Paris alors ? Moi quand le mec de mon équipe marque un but, je veux qu’il vienne se pendre au grillage et crie à mon visage. Mais encore une fois, moi, j’allais au stade avec mon grand-père et au moment des buts, c’était une espèce d’émotion, même avec les anonymes à côté de moi. Tu sais, je joue encore au foot. Je suis un vieux con, je ne peux pas m’empêcher, même avec les prothèses, je le vis encore comme un gamin. Ce n’est pas forcé, préparé ou quelque chose qui peut s’étudier. C’est l’environnement, mon enfance, j’ai ça en moi. Moi, une belle action, ça me transporte. Je crois que notre rôle, c’est aussi de transmettre un petit peu d’émotion. Il faut mettre en évidence cette adrénaline.
Comment vous vous préparez avant un match ?
Je lis pas mal de choses. Des fois quand quelqu’un parle bien, je récupère plus ou moins des phrases ou des mots. Parce que la langue française n’est pas la mienne, de temps en temps j’essaye de récupérer des choses. Moi, dire : « Il a fait une passe du plat du pied » 40 fois, ça m’intéresse pas. Ça ne m’intéresse pas de dire toujours la même chose. J’essaye de récupérer des choses. Je prends des bouquins, des magazines, des cahiers. Je suis receveur de phrases, d’images. Qui ensuite me viennent naturellement en match. Je les adapte plus ou moins à ma sauce. Des fois quand je les ressors, on ne me comprend pas d’ailleurs (rires). Être étranger, ça me permet aussi quelques écarts, entre guillemets. J’essaye, avec aucune prétention, de trouver des nouvelles variantes. Je sais par exemple qu’on ne dit pas « titularité » , mais moi, ça me convient comme terme (rires).
Vous commentez beaucoup de matchs en cabine aussi, quelle est la principale différence avec les commentaires au stade ?
Forcément, quand on est au stade, on est imprégnés par l’ambiance, l’atmosphère. On essaye de dire ce qu’on voit. Les couleurs, le public, les journalistes à côté. Pour les gros matchs, tu es obligé d’être au stade, il te manque tout sinon. Pour moi, c’est magnifique au stade. C’est une chance. Je trouve qu’être sur place, ça donne son petit plus, les couleurs, les bruits, les odeurs. En cabine, tu n’as pas tout ça, c’est moins naturel.
Vous êtes donc conscient de votre chance de pouvoir aller souvent au stade ?
Oui, on est des privilégiés, on est dans un confort, hyper bien placés, on a de la place, on s’assoit. On entre par les bonnes portes. On n’a pas de contraintes, on est vraiment des chanceux. Et en plus, on voit un super spectacle. Donc je vis un très bon moment, je suis tellement joyeux, apaisé. Je fais un boulot au-dessus de la réalité de l’existence.
C’est grâce à ça que vous arrivez justement à retransmettre de l’émotion ?
Oui, je crois que ça se ressent dans mes commentaires. Tout est lié. J’ai une situation de vie magnifique. J’ai mes enfants en bonne santé, je suis grand-père. Chacun a son bifteck chaque jour. J’ai pas besoin de bijoux, de voitures, je m’en fiche. J’ai la chance avec beIN Sports de faire ce qui me va le mieux, la Ligue des champions, les matchs espagnols. Si en plus, les gens aiment ma façon de faire, tant mieux. Forcément, on a toujours un orgueil, une fierté. Honnêtement, je suis toujours assez étrangement surpris que les gens m’aiment bien, de recevoir beaucoup de messages. On n’a pas le droit de se plaindre. Je me retrouve à faire quelque chose de magnifique.
Ça vous rend heureux ?
Oui, évidemment. Si on me disait que je « devais mourir demain » (il le chante, ndlr), je voudrais voir Messi dribbler quatre joueurs en finale de Coupe du monde et finir avec une talonnade ou en poussant le ballon de la tête (rires).
Que serait votre commentaire ?
Je ne sais pas. (Il hausse la voix) Messi est un taxidermiste. Il a empaillé le joueur (rires).
Retrouvez le dossier sur les commentateurs dans SO FOOT CLUB #17, actuellement en kiosque.
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